Un retour sur Xynthia

C’est un article très intéressant que livre le Monde daté du 06 Juillet 2012. On y apprend les lacunes de l’état dans l’indemnisation et dans l’entretien des cours d’eau qui ont mené aux catastrophes de 2010.

Enrichissant et intéressant.

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Xynthia : la Cour des comptes accable l’Etat
Les magistrats fustigent les défaillances et le gaspillage dans la gestion des effets des inondations de 2010

On connaissait le bilan humain de la tempête Xynthia – qui avait frappé le littoral atlantique le 27 février 2010 – et des inondations qui, le 15 juin de la même année, avaient submergé les communes du Var : 64 personnes décédées, deux disparues, des centaines de blessés et de familles sans toit. Mais on ignorait le bilan financier de ces deux catastrophes. Dans un rapport rendu public jeudi 5 juillet, la Cour des comptes fixe pour la première fois le montant de la facture : Xynthia et les inondations du Var ont coûté 658 millions d’euros à l’Etat et aux collectivités locales et 1,3 milliard d’euros aux compagnies d’assurances, dont 640 millions d’euros pris en charge par le système de garantie publique  » catastrophe naturelle « .

Pendant plus d’un an et demi, les magistrats de la Cour des comptes ont enquêté sur les causes de ces deux drames, ont étudié les dispositifs d’alerte et de secours et ont évalué la stratégie d’indemnisation et les solutions mises en oeuvre par l’Etat. Le constat dressé dans un document de 300 pages est accablant.

De graves défaillances des systèmes d’alerte et de secours Deux ans après les catastrophes, ces carences n’ont été que partiellement corrigées.  » Il reste beaucoup à faire pour disposer d’un réseau d’alerte de la population performant « , concluent les magistrats. Concernant les secours, les enquêteurs ont découvert que plusieurs casernes de pompiers avaient été construites en zones inondables et envahies par l’eau. C’est le cas notamment de celle de l’Aiguillon-sur-Mer, compétente pour intervenir à la Faute-sur-Mer, en Vendée, là où le bilan humain a été le plus lourd avec vingt-neuf décès. Une partie du matériel de secours fut inutilisable. Et la situation était connue des autorités.

En Vendée, le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques indique  » explicitement  » que le centre de secours de l’Aiguillon-sur-Mer est susceptible d’être le  » plus impacté par le risque de submersion « . La situation est identique à Noirmoutier, Ars-en-Ré ou encore Rochefort, en Charente-Maritime. Inondé en 1999, puis en 2010, le projet de reconstruction du centre de Rochefort est toujours à l’étude. A Draguignan, dans le Var, l’inondation du centre de secours avait noyé les installations téléphoniques et informatiques, rendant toute communication impossible.

Les enquêteurs insistent encore sur le retard des secours héliportés en Vendée, seul département de l’Ouest à ne pas disposer d’hélicoptères publics et obligé d’attendre ceux de Charente-Maritime.  » Le délai d’arrivée des hélicoptères sur la zone sinistrée a handicapé le guidage et la projection des moyens du service départemental d’incendie et de secours « , indique le rapport. Et, lorsqu’ils sont arrivés, des difficultés de transmission entre les hélicoptères et les sauveteurs au sol ont encore entravé les secours.

Un Etat faible, un urbanisme incontrôlé La Cour des comptes souligne les  » insuffisances persistantes  » en matière d’urbanisme qui ont conduit les collectivités locales, sous la pression des promoteurs, à ignorer les risques naturels et à profiter de la  » faiblesse de l’Etat « . Dans les trois départements concernés – la Vendée, la Charente-Maritime et le Var -, les préfets avaient établi un dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM) trop  » général  » et non  » actualisé « .

De leur côté, une minorité de communes avaient élaboré un document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim). Depuis la catastrophe, la situation n’a guère évolué dans le Var : seuls 32 communes sur 153 ont transmis un Dicrim à la préfecture. Autre défaillance : les préfets censés établir et diffuser auprès des collectivités des  » atlas des zones inondables  » – une cartographie des risques qui, en l’absence d’autres documents, peut empêcher des constructions dans les zones inondables – n’avaient pas, dans le Var, transmis ce document aux maires concernés. Sur la côte atlantique, les documents avaient bien été envoyés, mais ils sous-estimaient les risques de submersions.

Le rapport souligne que les plans de prévention du risque inondation (PPRI), adoptés sous l’égide des préfets et qui permettent de maîtriser l’urbanisme, n’ont pas été prescrits dans toutes les zones à risques. Lorsqu’ils existaient, ces plans avaient fait l’objet de trop de négociations pour être encore contraignants.  » L’Etat, à travers ses représentants les préfets, n’a pas toujours su résister aux pressions des élus « , notent les enquêteurs. Deux ans après les faits, les magistrats de la Cour des comptes jugent que  » les oppositions locales, tant des habitants que des élus, n’ont pas disparu « .

Beaucoup de communes touchées par les inondations étaient couvertes par des documents d’urbanisme  » obsolètes  » et  » peu contraignants « . Dans le Var, douze des treize communes sinistrées disposaient ainsi d’un plan d’occupation des sols (POS) antérieur à 1995 ou 1990.  » Depuis la catastrophe, les collectivités n’ont pas vraiment pris d’initiative pour les remplacer « , notent les rapporteurs, avant d’insister sur la faiblesse du contrôle des actes d’urbanisme exercé par les préfets.

Des indemnisations coûteuses et inutiles Concernant la réaction du gouvernement de François Fillon et sa politique de rachat du bâti, la Cour des comptes est encore plus sévère. Elle dénonce une  » précipitation excessive  » après la tempête Xynthia. Sans concertation suffisante, l’Etat s’est hâté de délimiter des zones de rachat amiable, dites de  » solidarité « , avant d’opter finalement, après avis d’experts, pour la définition de zones d’expropriation, beaucoup plus restreintes. Résultat, le coût de rachat des maisons s’est révélé beaucoup trop coûteux et souvent inutile : 316 millions d’euros, dans les deux départements atlantiques. La Cour cite le cas d’un bien immobilier situé à la Faute-sur-Mer racheté 602 776 euros alors qu’il avait été acquis pour 300 000 euros en 2007, soit quatre ans avant la tempête. La plus-value a été totalement exonérée, contrairement aux transactions classiques.

La Cour note que l’essentiel des rachats à l’amiable s’est fait sur la base du code de l’environnement, qui autorise de telles opérations, mais sous réserve que le prix  » s’avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations « . Si la comparaison a été faite dans le Var, il n’en a rien été pour Xynthia. La situation de chaque habitation n’a pas été analysée. De même qu’aucun contrôle n’a été effectué sur l’existence d’un permis de construire ou de contrat d’assurance.

Sophie Landrin

    Des digues délaissées par des propriétaires fantômes

    La prévention des inondations repose en partie sur l’entretien des digues de protection. Or sur 95 % du linéaire en Charente-Maritime, l’Etat n’a pas été en mesure d’identifier le responsable de la digue. Les moyens financiers engagés par les collectivités et l’Etat étaient en outre très insuffisants.

    Dans le Var, les quatre cours d’eau à l’origine des inondations sont toutes non domaniales. Leur lit appartient aux propriétaires des deux rives, en principe tenus à leur entretien. Dans les faits, le rapport note que les rivières n’ont été entretenues ni par les riverains ni par les collectivités, qui auraient pu se substituer aux propriétaires défaillants. La Cour prescrit la mise en place d’une véritable gouvernance des digues.

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