Apple et Samsung jouent à qui-perd-perd part 2

Moi, ce que je retiens de cette histoire, c’est que pour un même procès en Corée, la justice renvoie dos à dos les deux compères, mais qu’aux Etats-Unis, la justice va dans le sens d’Apple.

C’est quand même bizarre de demander à un pays d’arbitrer entre son champion industriel national et son concurrent étranger.

Je persiste à penser que Google et Samsung feraient mieux de s’associer en se partageant leur clientèle qu’à dépenser des millions en procès.

J’ai un copain procureur qui m’a toujours dit : « Mieux vaut un mauvais accord, qu’une décision de justice ». A méditer.

Le deuxième article est particulièrement intéressant car il montre que l’ambiance du procès est déterminante dans la mesure, où, aux Etats-Unis, c’est un jury populaire, donc, pas nécessairement spécialiste, qui tranche.


Deux articles du journal ‘Le Monde’ daté du 28 Août 2012

**************

Derrière Samsung, Apple veut tuer Google
La condamnation du sud-coréen pourrait rebattre les cartes de l’industrie mondiale du smartphone

Après le coup de tonnerre, l’onde de choc. En donnant raison vendredi 24 août à l’américain Apple dans sa guerre des brevets contre le sud-coréen Samsung (Le Monde daté 26-27 août), un tribunal californien rebat les cartes de la bataille mondiale des téléphones mobiles. Une décision dont les conséquences pourraient être énormes pour l’ensemble de l’industrie et dont les analystes tentent encore de cerner tous les contours.

Les conséquences pour SamsungDès vendredi soir, le groupe sud-coréen a indiqué son intention de tout faire pour  » renverser  » le jugement du tribunal de San José. Mais l’action du constructeur n’en perdait pas moins 6,81 % lundi matin à la Bourse de Séoul.

L’amende de 1,05 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros) infligé au constructeur – que le juge peut tripler dans la mesure où les jurés ont jugé que le coréen avait sciemment violé six brevets d’Apple – est certes largement amortissable par le groupe. Au deuxième trimestre 2012, il a réalisé un résultat net de 3,7 milliards de dollars grâce au succès fulgurant de sa gamme de smartphones Galaxy, dont la dernière mouture, le Galaxy S3, est sortie en grande pompe en juin.

Si Apple obtient le retrait de certains produits Samsung – le juge tranchera le 20 septembre -, le coréen pourrait voir son chiffre d’affaires s’effondrer aux Etats-Unis, au moins pour quelques mois. Car, comme certains analystes l’indiquent, le groupe de Suwon est en mesure de trouver une parade rapidement.  » La structure de Samsung est faite de telle sorte qu’ils sont suffisamment innovants et inventifs pour contourner ces brevets et proposer des produits différents, note un analyste. Un retrait de leurs terminaux du marché américain ne les bloquerait que pour un, voire deux trimestres maximum. « 

Si le coréen fait appel… La cour de San José est tellement encombrée que, selon certaines estimations, le jugement en appel ne pourrait avoir lieu avant 2014. Ce qui laisse aux deux camps le temps de fourbir un peu plus leurs armes. Cependant, en appel, pas de jury populaire qui vaille. Les deux géants devront s’affronter devant des juges professionnels. Une lueur d’espoir pour Samsung. Reste que, bien que professionnels, ces juges n’en sont pas pour autant des spécialistes en nouvelles technologies, ni même en droit de la propriété intellectuelle. Ils pourront, cependant, faire appel à des experts en mesure de les conseiller.

Les armes dont dispose Samsung pour la bataille Apple et Samsung sont très dépendants l’un de l’autre. Le coréen fournit à l’américain un tiers de ses composants – dont le fameux écran à très haute définition dit  » Retina  » -, ce qui fait de la firme à la pomme son premier client. Selon IHS iSuppli, Apple devrait acheter pour plus de 10 milliards de dollars de composants à Samsung en 2012, contre 7,8 milliards en 2011 (5,4 % du chiffre d’affaires).

Dans ce contexte, le coréen pourrait, par exemple, décider d’arrêter d’approvisionner le groupe de Cupertino. Apple devrait alors se rabattre sur ses autres fournisseurs, comme LG qui lui vend aussi le  » Retina « . Une solution  » trop coûteuse « , estime un analyste.

Le coréen dispose par ailleurs de brevets dits  » essentiels « , concernant la norme  » 3G  » ainsi que le Wi-Fi, qu’Apple viole en refusant de verser des droits de licence à son concurrent.  » Samsung pourrait épingler Apple là-dessus partout ailleurs dans le monde. Avec les arriérés, ça couvrirait largement l’amende qu’il a été condamné à verser « , note Me Cyrille Amar, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle.

Derrière Samsung, Apple a aussi attaqué Google Pour feu Steve Jobs, Android, le système d’exploitation de Google était un produit  » volé « . Il avait promis de déclencher une  » guerre thermonucléaire  » contre le moteur de recherche. Seulement voilà, le moteur de recherche ne peut pas être attaqué en justice pour son produit pour la bonne et simple raison qu’il n’en tire pas de profit matériel.

En attaquant Samsung, c’est aussi – et surtout ? – Google qu’Apple vise. Car le coréen est le porte-drapeau d’Android. Freiner son avancée sur le marché américain, c’est une manière d’entamer les excellentes parts de marché de Google dans les smartphones. Si le jugement est confirmé en appel, beaucoup de constructeurs risquent de se tourner vers d’autres plate-formes comme Windows Phone, le système d’exploitation de Microsoft.

Android, l’autre victime du jugement de San José Tous les constructeurs de smartphones ayant fait le choix d’embarquer Android – le taïwanais HTC, le sud-coréen LG, le chinois ZTE, le japonais Sony… – se retrouvent fragilisés par le jugement concernant Samsung.  » Tous ces fabricants vont devoir vérifier que leur interface utilisateur ne viole pas de brevet Apple sur le design. Cela va forcément mener à de nouveaux délais de lancements pour certains produits… « , note Wayne Lam, du cabinet IHS iSuppli.  » Apple est aussi en procès contre HTC et vu la sévérité du jugement avec Samsung, le groupe taïwanais va probablement être touché par un verdict similaire « , prévient Alexander Peterc, analyste chez Exane BNP Paribas. Et la victoire contre Samsung devrait même inciter Apple à continuer sa lutte judiciaire pour protéger ses brevets.

Les fabricants vont donc devoir se distinguer davantage, explorer de nouvelles voies… Des innovations qui pourraient à terme fragiliser le grand vainqueur de ces contentieux, Apple.

De nouvelles perspectives pour Nokia et Microsoft Le jugement pourrait, selon Wayne Lam, bénéficier aux plateformes qui n’ont pas connu le succès commercial escompté. C’est notamment le cas de Nokia et de ses smartphones Lumia tournant sous Windows Phone, le système d’exploitation de Microsoft. Ces derniers ont même été brandis comme exemple par Apple pendant le procès pour montrer qu’il existait une alternative à l’iPhone. RIM avec ses Blackberry ou encore HP et son système d’exploitation WebOs pourraient aussi, selon M. Lam, revenir dans la danse.

Sarah Belouezzane, Clément Lacombe et Audrey Tonnelier

    Le coréen épinglé sur l’iPhone, pas sur l’iPad

    Apple reprochait à Samsung d’avoir violé quatre brevets de design et trois brevets de technologie, notamment concernant les fonctions tactiles de ses appareils. Pour le design de l’iPhone, les jurés ont donné raison à la firme à la pomme. Cette dernière estimait que lui revenait la paternité du fameux  » rectangle avec des coins arrondis « , mais aussi de l’écran et de la forme générale du téléphone. La Cour a, en revanche, rejeté la plainte d’Apple concernant le design général de sa tablette iPad. Apple défendait aussi plusieurs fonctionnalités de ses appareils : les listes déroulantes, le principe de rotation de l’image sur l’écran, l’effet  » élastique  » quand l’utilisateur essaie de se déplacer ( » scroll « ) après la fin d’une liste, les techniques de zoom – taper deux fois sur l’écran, zoomer en écartant les doigts… Samsung estimait que son concurrent avait violé plusieurs de ses brevets couvrant des technologies de télécommunications, comme l’utilisation du brevet UMTS/3G et des fonctions spécifiques aux smartphones. Les jurés ont dû répondre à plus de 600 questions pour remplir les 20 pages du verdict.
    **

    Lire aussi le dossier du  » Monde Eco&Entreprise « .

******************

Une guerre des brevets tous azimuts qui soulève nombre de questions

LA GUERRE des brevets fait rage dans la Silicon Valley. Le nombre de procès entre fabricants détenteurs de telle ou telle innovation ne cesse de croître. Tous les constructeurs sont, ou ont été, à un moment ou à un autre, impliqués dans un litige. Certains acquièrent même des entreprises uniquement pour leur portefeuille de brevets, comme Google avec Motorola.

La retentissante victoire d’Apple face à Samsung devant la cour de San José (Californie) pose bien des questions outre-Atlantique. Notamment celle du rôle de la United States Patents and Trademark Office, l’organisme américain dont la fonction est d’enregistrer les brevets. Certains jugent qu’elle en fait trop.

L’institution accepte, en effet, d’enregistrer des brevets qui concernent toute sorte d’innovations, dont certaines sont essentielles et d’autres non. Dans cette dernière catégorie, on trouve des brevets qui ne relèvent pas à proprement parler d’une innovation technologique, mais plutôt d’une idée et de la manière de la mettre en oeuvre sur le smartphone.

C’est le cas de trois des six brevets que Samsung est supposé avoir violés. Parmi eux, le pinch, à savoir agrandir ce qu’il y a sur un écran en écartant les deux doigts, ou encore le bounce qui permet à l’écran de rebondir pour indiquer que l’utilisateur est à la fin d’une page ; sans oublier la forme  » rectangulaire à angles arrondis « . Résultat, un smartphone peut, selon l’International Herald Tribune, être couvert par plus de 250 000 brevets.

 » Il ne faut pas oublier que quasiment tous les constructeurs, sauf Apple, détiennent des brevets dits « essentiels », pointe Me Cyrille Amar, avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. D’ailleurs, certaines entreprises ne vivent plus que des licences ! « 

Jurys populaires

En effet, ceux qui, comme Samsung, ont participé à l’élaboration de normes telles que la 3G, possèdent des brevets dits  » essentiels « , que les autres utilisent en échange du paiement d’un droit de licence.

Cette guerre des brevets outre-Atlantique a, par ailleurs, la caractéristique de se tenir de plus en plus souvent devant des jurys populaires, ce qui, aux yeux de certains observateurs, questionne. Car les jurés ne disposent pas forcément des compétences techniques nécessaires pour rendre les jugements adéquats dans ces affaires.  » Le problème, souligne Me Amar, est que si l’une des deux parties, en l’occurrence Apple, le demande, l’autre partie ne peut s’y opposer. « 

Dans le procès Apple-Samsung, le jury se compose de sept personnes : un ingénieur électrique à la retraite, un propriétaire de magasin de bicyclettes, une femme au foyer ou encore un ancien de la marine.  » Comme les jurés ne comprennent pas forcément tout, les avocats ont plutôt recours à des témoignages qu’à des schémas ou des dessins industriels « , explique Me Amar. Les avocats d’Apple ont ainsi posé un iPhone et un Galaxy S côte à côte, demandant aux jurés si, de loin, ils sauraient faire la différence. Ils ont aussi produit une série d’e-mails internes – Samsung indiquant que le constructeur coréen aurait sciemment décidé de copier le  » best-seller  » de son concurrent.

 » D’habitude, les juges font tout pour tordre le bras des deux parties et les obliger à trouver un arrangement, tant les conséquences peuvent s’avérer désastreuses « , note Me Amar. Une solution qui n’a pu être trouvée dans le cas Apple-Samsung : jusqu’au-boutiste, la firme à la pomme a décidé de faire un exemple, quitte à perdre en appel.

S. B.

Please follow and like us: