Quand l’IFREMER oublie le principe de précaution

Il est assez surprenant que les organismes Français, dont l’IFREMER, oublient le principe de précaution concernant la pêche en eau profonde…

Heureusement que le principe de précaution est inscrit dans notre constitution soit dit en passant !

Il est évident que les organismes Français veulent préserver les pêcheurs en donnant des indications scientifiques biaisés. On est donc champion, en France, pour donner des leçons, mais on ne se les applique pas à soi-même.

C’est assez honteux comme position, il faut bien le reconnaître…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 11 Septembre 2012

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Bataille scientifique autour de la pêche profonde
De nouvelles études confortent la proposition européenne visant à bannir une pratique jugée destructrice

Dures journées pour la pêche profonde. Alors que le Parlement européen se prépare à examiner la proposition présentée en juillet par la Commission de Bruxelles, visant à bannir progressivement les chaluts et les filets maillants de fond en Atlantique du Nord-Est, de récents travaux accablent à nouveau ces engins de pêche.

Une étude publiée dans la dernière édition de la revue Nature évalue l’impact du chalutage profond pratiqué au cours des dernières décennies en Méditerranée du Nord-Ouest. En raclant les fonds marins, les chaluts terrassent les talus continentaux et déplacent des millions de tonnes de sédiments : cette pêche  » est devenue un important facteur d’évolution des paysages sous-marins  » et ce,  » à grande échelle « . Dans la foulée de la proposition de la commissaire à la pêche, Maria Damanaki, nul doute que ces résultats seront enrôlés dans la bataille qui voit s’affronter les défenseurs de la pêche profonde à ses opposants.

Car, depuis le mois de juillet, cette bataille se tient aussi sur le terrain de la science. En France, les acteurs de la filière, de même que l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), affirment que la proposition de Bruxelles est infondée. Face à eux : les ONG (à l’exception de France Nature Environnement), les biologistes de la conservation, mais aussi de nombreux experts de la gestion des ressources halieutiques, assurent que la science impose l’arrêt de cette pratique.

Que dit la science ? L’essentiel des études publiées dans les revues scientifiques suggèrent que les cycles reproductifs des espèces profondes sont trop longs pour que celles-ci puissent être exploitées de manière à la fois durable et rentable. Cette opinion, largement partagée, a été résumée dans une analyse publiée en mars dans la revue Marine Policy, conduite par une quinzaine de chercheurs internationaux, dont Daniel Pauly, professeur à l’université de Colombie-Britannique (Canada), reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes du sujet.

Ray Hilborn, professeur à l’université de Washington, non moins reconnu, assure de son côté que  » la plupart des poissons profonds ont une croissance lente et une durée de vie longue, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être durablement exploités, cela signifie que nous ne pouvons en prélever qu’une très petite fraction chaque année « . Cela s’applique-t-il à la situation actuelle dans l’Atlantique du Nord-Est ? Pascal Lorance, chercheur à l’Ifremer, le pense.  » Les choses ont beaucoup changé, assure-t-il. Jusqu’en 2003, les taux de capture d’espèces profondes étaient clairement non durables dans cette zone, mais depuis, l’effort de pêche y a été divisé par quatre. « 

L’Ifremer en prend pour preuve le dernier avis du Centre international pour l’exploration de la mer (CIEM), l’organisme chargé de prodiguer aux Etats des recommandations scientifiques sur les niveaux de prises à ne pas dépasser. Dans les zones travaillées par les armements français, le CIEM recommande ainsi pour 2013 une augmentation des prises pour le grenadier et le sabre noir. Tom Blasdale, président du groupe de travail du CIEM sur les pêcheries profondes, assure que  » pour certaines espèces, nous avons de bons indices que les taux d’exploitation actuels sont au niveau, ou bien au-dessous des niveaux durables « .

Un diagnostic contesté par certains, à l’image du biologiste Les Watling. Ce professeur à l’université d’Hawaï, à Manoa (Etats-Unis), estime au contraire qu' » en appliquant les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), certaines espèces profondes de l’Atlantique du Nord-Est, comme le sabre noir ou la lingue bleue, devraient être considérées comme en danger d’extinction « .  » S’il y a eu stabilisation de certains stocks au cours des dernières années, celle-ci s’est faite à des niveaux très bas, par rapport au stock initial « , ajoute M. Watling. En outre, estime Claire Nouvian, responsable de l’association Bloom, très engagée contre la pêche profonde,  » le fait qu’il pourrait y avoir eu une stabilisation de deux ou trois espèces sur deux ans n’est pas significatif au regard de la centaine d’espèces non valorisées (rejetées par-dessus bord) concernées par ces pêches « .  » On ne tient pas compte de la destruction de l’ensemble de l’écosystème, ajoute-t-elle. Alors que l’approche écosystémique est théoriquement une obligation du droit européen. « 

Sur vingt-sept stocks d’espèces évalués par les experts du CIEM, vingt-cinq ne sont pas assez connus pour permettre une  » évaluation analytique complète « , poursuit M. Blasdale. Ils ont été soumis à une  » règle d’exploitation  » (une formule mathématique) pour déduire des indices disponibles une recommandation de captures. Selon M. Blasdale, le CIEM a adopté une  » approche de précaution « , ne recommandant une augmentation des prises en 2013 que sur quatre stocks – avec statu quo ou une réduction pour les autres. Cependant, les données utilisées par le CIEM, de même que sa méthodologie, sont contestées. Notamment, dit en substance M. Watling, la  » règle d’exploitation  » est récente et n’a pas encore été soumise à la communauté scientifique, pas plus qu’elle n’a été confrontée à des simulations.

La science sera-t-elle déterminante dans le débat ? Une étude internationale à paraître dans la revue Ocean & Costal Management permet d’avoir une idée de la réponse. Dans le cas de la pêche profonde, les recommandations du CIEM ne sont souvent pas respectées par les Etats de l’Union, qui autorisent des quotas supérieurs dans 60 % des cas. De plus, ces mêmes quotas restent souvent lettre morte.  » Dans 50 % des cas, les quotas ont été dépassés au cours de la période 2002-2011, concluent les auteurs. Les prises déclarées étaient en moyenne 3,5 fois supérieures pour les espèces profondes et, dans certains cas, elles ont été 10 à 28 fois supérieures à ce qui était convenu. « 

Stéphane Foucart

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