La Cour de cassation ne s’est pas fait de noeuds au cerveau concernant l’Erika (…ou juste un peu…)

Rappelons-le : le rôle du droit est de servir l’intérêt général. C’est un but, nullement un moyen. Le droit, ce n’est pas un ensemble de textes divins gravés dans le marbre. Le droit évolue en fonction des besoins, et dans un état démocratique, ces moyens sont fondés par l’intérêt suprême de ses concitoyens.

L’avocat général, à la Cour d’appel du procès de l’Erika, a oublié cette règle de base. Il a dit qu’en Droit, la pollution ne pouvait être punie car Marpol ne punissait que les rejets. Comme un rejet entraîne de facto une pollution, je ne vois pas en quoi la pollution ne pourrait être punie alors que sa cause première l’est. Dont Acte. La Cour de cassation impose donc une relecture du droit international pour faire punir la pollution, et renvoyer à ses chères études de Droit un avocat général plus prompt à faire le mariolle, qu’à défendre l’intérêt général.

En droit, on a le droit de punir les conséquences d’un acte puni par la Loi : il n’est pas interdit d’appuyer sur la détente du flingue, pourtant, on est puni quand la balle qui sort du révolver va toucher les fonctions vitales de son vis-à-vis. Personne ne tue avec un pistolet : c’est la balle qui tue ! C’est con comme raisonnement ? Assurément, et c’est le même que nous a servi l’avocat général dans cette affaire : CQFD…

La Cour de cassation elle même s’y est perdue en disant : « L’infraction de pollution involontaire a entraîné des rejets qui ont causé des dommages graves à l’Etat côtier. », soit, en mettant la charrue avant les boeufs. Alors qu’en disant simplement que punir une cause peut conduire à punir ses effets, on n’avait pas besoin de dire n’importe quoi et retourner le droit pour préserver l’intérêt général. Parfois il serait bon que les juristes réfléchissent au lieu de se plonger dans des textes qui n’apportent pas toujours de réponses…

Tout est donc bien qui finit bien.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 27 Septembre 2012

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 » Erika  » : l’arrêt qui bouscule le droit international

La Cour de cassation a confirmé la condamnation de Total, à la grande joie des défenseurs de l’environnement

La défaite, pour Total, est complète. La Cour de cassation a confirmé, mardi 25 septembre, toutes les condamnations prononcées en appel après le naufrage, il y a près de treize ans, de l’Erika au large des côtes bretonnes : le groupe pétrolier avait été alors condamné au pénal à l’amende maximale (375 000 euros), mais la Cour y a ajouté sa responsabilité civile, écartée par la cour d’appel en 2010.

 » L’ensemble des intervenants « , c’est-à-dire l’affréteur Total, la société de certification italienne, l’armateur et le gestionnaire,  » ayant commis une faute de témérité « , devront réparer les conséquences des dommages. La décision ne change pas grand-chose sur le plan financier, Total s’étant déjà acquitté des sommes dues (171 millions d’euros) et la société italienne des 30 millions restants, et le groupe a précisé que ces versements étaient  » définitifs « .

Les 34 parties civiles des collectivités locales et des associations n’ont pas boudé leur bonheur – à l’exception de Robin des Bois, écarté de la procédure.  » C’est une victoire totale, a plaisanté Me Corinne Lepage, l’avocate de dix communes du littoral. La Cour confirme la compétence de la juridiction française, l’existence du préjudice écologique et que Total doit réparer la pollution. C’est treize ans de travail, treize ans de bataille de la part des collectivités locales et un très grand jour pour tous les défenseurs de l’environnement. « 

Pour Me Patrice Spinosi, l’avocat de plusieurs collectivités, dont la Bretagne,  » c’est une très grande décision de la Cour qui marquera le droit maritime, en ce qu’il a été reconnu que toute personne qui intervient de façon fautive dans le cadre d’un naufrage polluant est susceptible de voir sa responsabilité pénale et civile engagée « .

La joie en Bretagne est à la hauteur de l’inquiétude qu’avaient soulevés le 24 mai le rapporteur de la Cour de cassation et, surtout, l’avocat général Didier Boccon-Gibod, qui estimaient que la loi en vigueur à l’époque du naufrage n’était pas conforme aux conventions internationales.

La Cour de cassation a manifestement choisi l’apaisement et, dans un arrêt long de 319 pages, a tranché la question. Les gardiens de la doctrine vont sans doute hausser les sourcils devant la solution dégagée, mais le débat n’est finalement que de pure forme : la nouvelle loi française est désormais conforme au droit international et les problèmes soulevés lors du procès ne se poseront plus.

L’Erika, un navire vieux de vingt-cinq ans qui battait pavillon maltais, a fait naufrage le 12 décembre 1999 au large du Finistère, avec 30 000 tonnes de fioul lourd. La marée noire a souillé 400 km de côtes, et 150 000 oiseaux ont pataugé dans le mazout.

Le pétrolier s’est cassé en deux à une trentaine de milles nautiques des côtes, c’est-à-dire en zone économique exclusive (ZEE). Ce n’est pas la haute mer, ce ne sont pas les eaux territoriales, qui ne s’étendent pas au-delà des 12 milles et où la juridiction française est compétente. Cet  » entre-deux-mers  » a été défini par la Convention de Montego Bay, et une autre convention, dite Marpol, autorise les Etats côtiers à sanctionner les rejets de pétrole en mer.

La loi du 5 juillet 1983, alors en vigueur, permettait effectivement de punir tous les intervenants, du capitaine à l’affréteur, en cas de  » pollution involontaire des eaux territoriales « . Mais l’avocat général avait soulevé plusieurs difficultés, dont une majeure : la loi n’aurait pas été conforme à la convention Marpol, qui réprime  » les rejets « , pas la pollution qu’ils engendrent.

La distinction n’est pas anodine ; la loi française faisait ainsi de la pollution une infraction et semblait aller au-delà des conventions internationales, sans concertation avec les autres pays signataires. La force des traités étant supérieure à celle des lois, ce sont bien les conventions qui s’appliquaient et non la loi de 1983, avait estimé l’avocat général. Les juridictions françaises n’étaient donc pas compétentes pour juger du naufrage.

La Cour de cassation a repoussé l’argument d’une phrase obscure :  » L’infraction de pollution involontaire a entraîné des rejets qui ont causé des dommages graves à l’Etat côtier.  » Les juristes estimaient jusqu’ici que c’étaient plutôt les rejets qui avaient entraîné une pollution involontaire, mais pour la Cour, la loi de 1983 était bien conforme aux conventions de Marpol et de Montego Bay.

La chambre criminelle va plus loin :  » Lorsque des poursuites ont été engagées par l’Etat côtier en vue de réprimer une infraction aux lois « visant » à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, la compétence de cet Etat est acquise lorsqu’elle porte sur un cas de dommage grave. « 

En somme, il n’y a pas à s’inquiéter de cette histoire de rejets et de pollution des côtes, et même si l’Erika avait fait naufrage en haute mer, où s’applique théoriquement la seule loi du pavillon, les juridictions françaises auraient été compétentes. La décision a au moins le mérite de la simplicité.

Franck Johannès


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