Quand l’Etat ne sait pas utiliser l’arme de la nationalisation

Le titre de mon billet aurait pu aussi s’intituler : « Quand l’Etat ne sait pas gérer une entreprise ». Car, on le voit dans l’article suivant, la différence entre une nationalisation réussie et une nationalisation qui échoue se résume en la capacité d’un Etat à gérer une entreprise. Et parfois, une entreprise se gère en faisant des licenciements pour assainir ses comptes. Quand on nationalise pour ne pas avoir à licencier et pour faire de la démagogie, on se plante forcément.

Ainsi, si Montebourg avait nationalisé Mittal, il aurait fait endosser à l’Etat un boulet qui aurait coûté énormément d’argent, l’équivalent d’une embauche de X fonctionnaires : intolérable à l’aune d’une situation économique déjà catastrophique par la France avec un nombre de fonctionnaires largement trop grand pour notre économie.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 13 décembre 2012

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 » Nationaliser oui, mais pour des raisons qui le justifient « 
Questions à… Elie Cohen, économiste et administrateur de plusieurs entreprises françaises

DIRECTEUR de recherche au CNRS, Elie Cohen s’intéresse de près au rôle de l’Etat dans l’économie. Il explique en quoi le débat français sur Florange est très décalé par rapport au reste du monde.

Alors que la France a renoncé à nationaliser Florange, les Etats-Unis viennent de gagner 23 milliards de dollars (17,6 milliards d’euros) en sauvant AIG. La nationalisation est-elle une solution en temps de crise ?

Les deux cas sont très différents. Quand les Etats-Unis ont nationalisé AIG, il s’agissait d’éviter une catastrophe majeure : la faillite d’AIG risquait d’entraîner un effondrement du système financier américain et mondial. Dans ce type de situation extrême, il est normal que l’Etat intervienne, même dans le pays le plus libéral au monde. La Suède, l’Irlande, la Grande-Bretagne ont fait de même en leur temps.

Il peut aussi y avoir des nationalisations justifiées par l’intérêt national, par exemple pour éviter que des actifs stratégiques dans l’énergie ou la défense ne passent sous contrôle étranger.

Et en France ?

Le cas de Florange est très à part. Ici, il n’y a ni crise majeure ni intérêt national, mais des raisons locales. On se trouve avec un groupe qui prévoit des restructurations et ne demande l’aide de personne. Soudain, l’Etat s’immisce dans l’activité, et dit : les hauts-fourneaux de Florange sont stratégiques, ils doivent être maintenus, et menace de nationaliser non pas le groupe, mais un de ses actifs. Une expropriation pour protéger une activité contre l’avis de l’actionnaire en place : je ne vois pas d’autre pays que la France pour envisager cela.

Les Etats-Unis ont cependant nationalisé General Motors sans menace de crise systémique…

C’est vrai. Cela a d’ailleurs donné lieu à un débat. Nombre de républicains considéraient la faillite comme un mécanisme de régulation de l’économie, alors que les démocrates jugeaient impossible de laisser tomber GM. Sa faillite aurait dévasté des Etats entiers. Obama a choisi d’intervenir.

La différence avec Florange, c’est qu’ici, les dirigeants de GM, les actionnaires, les banquiers, les salariés, les concessionnaires, tout le monde demandait à l’Etat d’agir. En outre, après la nationalisation, Washington a donné carte blanche aux managers de GM pour restructurer, fermer de nombreuses usines, supprimer des milliers d’emplois, abandonner des marques…

Au final, l’entreprise est redevenue rentable, et l’Etat en a profité en tant qu’actionnaire. Tout l’inverse de ce qu’envisageait Arnaud Montebourg pour ArcelorMittal, où il s’agissait d’empêcher des rationalisations nécessaires.

La nationalisation était surtout une menace pour instaurer un rapport de force, non ?

C’est ce que j’ai d’abord cru. Mais ensuite, on a présenté comme crédible cette hypothèse qui ne tenait la route ni sur le plan financier, ni sur le plan juridique, ni sur le plan économique. Sans parler de l’image de la France sur les marchés… L’Etat aurait déstructuré le système productif de Mittal, et reporté les problèmes sur d’autres sites comme Dunkerque.

Quant au nouvel opérateur, il aurait manqué des brevets nécessaires pour fabriquer les produits de Florange. Aurait-on dû aussi exproprier ArcelorMittal de sa propriété intellectuelle ? Et puis, est-ce la priorité de l’Etat de mettre de l’argent qu’il n’a pas dans des hauts-fourneaux déclassés ?

Ces hauts-fourneaux sont des symboles de l’industrie…

Oui. Mais cela fait très cher le symbole !

La nationalisation modèle, ce serait plutôt Alstom ?

Comme pour GM, c’est la direction d’Alstom qui a demandé l’aide de l’Etat. Le groupe était en difficulté parce qu’il avait effectué des acquisitions mal menées et souffrait d’un lourd endettement, mais il avait de nombreux atouts. L’Etat a pris une participation tout en laissant à la direction la liberté d’agir. Cela a permis de passer le cap et de sauver l’entreprise. Et après avoir porté une partie du risque, l’Etat a bénéficié du retour d’Alstom à meilleure fortune. Cela a été une bonne solution.

Après la polémique sur Florange, peut-on encore imaginer nationaliser en France ?

Nationaliser oui, mais pour des raisons qui le justifient. Par exemple pour des groupes représentant des  » hauteurs dominantes  » de l’économie, des entreprises en monopole ou exerçant un service public, des sociétés stratégiques.

Propos recueillis par Denis Cosnard


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