Le gaz de schiste, moins propre qu’annoncé ?

Le gaz de schiste, vis à vis de certains, représentait la panacée : une pollution réduite (mis à part à l’extraction par les techniques de fracture hydraulique). A priori, ce n’est pas le cas : car les fuites sont nombreuses et car elles concernent un gaz beaucoup plus polluant que le dioxyde de carbone, les bienfaits des gaz de schiste sont remis en question.

Il faut donc se méfier des solutions trop belles sur le papier en privilégiant une modération énergétique à tous les niveaux.

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Gaz de schiste : des fuites de méthane plus importantes que prévu
Le Monde.fr | 04.01.2013 à 17h58 • Mis à jour le 05.01.2013 à 08h22 Par Audrey Garric

Un forage de gaz de schiste en Pennsylvanie, en avril 2012.

Quel est le véritable impact pour le climat de l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste ? Le débat est relancé avec la parution d’une nouvelle étude alarmante quant à l’importance des fuites de méthane autour des puits. Des résultats qui interrogent de nouveau le bilan climatique de ces hydrocarbures non conventionnels qui sont en train de transformer le paysage énergétique américain et mondial.

Des chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et de l’université du Colorado ont mesuré, grâce à des équipements au sol ainsi qu’un aéronef, les concentrations de différents polluants dans l’atmosphère, aux abords des puits des champs gaziers et pétroliers du bassin d’Uintah (Utah), raconte la revue britannique Nature, dans son édition du mercredi 3 janvier. Ils ont ensuite déduit, à partir de modèles atmosphériques et des données de rejets des industries, la quantité d’émissions de ces puits.

9 % DE FUITES

Selon les résultats préliminaires, présentés en décembre 2012 lors du colloque annuel de l’Union géophysique américaine (AGU) à San Francisco, les puits de gaz de schiste laisseraient fuir 9 % de méthane (CH4), l’un des principaux composants du gaz naturel, pendant leur durée d’exploitation.

Des chiffres très supérieurs à la valeur retenue par l’Agence américaine de l’environnement (EPA), qui parlait de 2,4 % pour l’année 2009. « Nous nous attendions à obtenir des niveaux élevés de méthane, mais pas de cette ampleur », a admis Colm Sweeney, qui a dirigé la composante aérienne de l’étude.

En cause : les fluides utilisés pour fracturer la roche entraînent avec eux, lorsqu’ils sont pompés pour être ramenés vers la surface, des bulles de gaz naturel qui vont se disperser dans l’atmosphère. La remontée du gaz à l’ouverture du puits se traduit en outre pendant quelque temps par une fuite supplémentaire de méthane. Enfin, les gazoducs ne s’avèrent pas totalement étanches.

UN BILAN CLIMATIQUE SUPÉRIEUR AU CHARBON

De quoi remettre en cause l’un des arguments forts en faveur du gaz de schiste, à savoir son impact climatique réputé plus faible que celui du charbon – sa combustion dans les centrales électriques génère presque deux fois moins d’émissions de dioxyde de carbone (CO2), principale cause du réchauffement climatique. En rejettant du méthane, qui possède un coefficient de réchauffement 25 fois supérieur à celui du gaz carbonique, la production de gaz de schiste par fracturation hydraulique pourrait avoir un bilan en gaz à effet de serre équivalent, voire supérieur, à celui du charbon.

Dans un article publié en avril 2012 dans les Annales de l’académie des sciences américaine (PNAS), des scientifiques de l’université de Princeton et de l’Environmental Defense Fund (EDF) de Boston indiquaient ainsi que le remplacement du charbon par le schiste était profitable au climat jusqu’à un taux de fuite de 3,2 %. Au-delà, l’empreinte carbone du système énergétique s’alourdit.

DÉBAT ENTRE LES SCIENTIFIQUES

Reste à savoir si les résultats obtenus par la NOAA et l’université du Colorado sont représentatifs de l’ensemble de la production de gaz de schiste des Etats-Unis. « Ces données constituent un petit aperçu d’un puzzle beaucoup plus large que la communauté scientifique est en train d’assembler », estime Steven Hambourg, chef de l’équipe scientifique de l’EDF.

En février 2012, une étude de la chercheuse de la NOAA Gabrielle Pétron, publiée dans le Journal of Geophysical Research et portant sur des puits de la région de Denver-Julesburg, au nord-est du Colorado, suggérait qu’entre 2 % et 8 % du gaz de schiste extrait sont relâchés dans l’atmosphère – avec 4 % comme valeur la plus probable, soit un taux deux fois plus important qu’indiqué par l’industrie. L’année d’avant, en mars 2011, le biogéochimiste Robert Howarth, chercheur à l’université Cornell (Etat de New York), estimait dans Climatic Change que 3,6 % à 7,9 % du gaz de schiste produit aux Etats-Unis s’échappaient dans l’atmosphère.

Ces travaux ont toutefois été critiqués. Dans un commentaire publié par Climatic Change, Lawrence Cathles, professeur à Cornell et ancien chercheur pour le pétrolier américain Chevron, assurait que les calculs de Robert Howarth étaient erronés et qu’ils s’appuyaient sur des hypothèses trop pessimistes. De la même façon, Michael Levi, analyste de l’énergie au Council on Foreign Relations à New York, a aussi publié un commentaire revu par les pairs mettant en cause la composition du gaz naturel ventilé prise comme hypothèse par l’équipe de Gabrielle Pétron.

D’autres études devraient être publiées cette année. La NOAA, l’université du Texas à Austin et l’EDF mènent en effet, avec des partenaires industriels, une évaluation globale des émissions de méthane tout au long du cycle de vie du gaz – forage, acheminement et traitement – à l’échelle du territoire américain. Le débat scientifique est donc loin d’être clos.

Audrey Garric


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