Cessons de fournir nos technologies à d’autres

Je ne suis pas favorable au fait d’effectuer des transferts de technologie à la Chine. La France doit garder son indépendance, son savoir-faire en la matière et ne pas partager ce qui la fait vivre. Dans toute entreprise, le plus grand secret est associé aux moyen et aux modes de production. Pourquoi, pour quelle raison, EDF échapperait-elle à ce principe ? Pour gagner de l’argent ? Pendant combien de temps gagnera-t-elle de l’argent à vendre sa plus-value. Il ne faut pas tergiverser, il ne faut pas négocier notre savoir-faire à vouloir le vendre à des voleurs et des copieurs.

Si la Chine ne veut pas de notre technologie car on ne lui vend pas les secrets qui vont avec, tant-pis. Il en va de notre avenir en la matière.

M. Hervé Machenaud n’a aucune vision politique ni industrielle. Il ne se rend pas compte que ce ne peut être que notre plus-value industrielle qui peut faire la différence avec nos concurrents, pas le fait de donner de la technologie. Car celui qui donne la technologie est mort. Hervé Machenaud persiste à penser que cela est bon car cela fera vivre la sous-traitance. Mais pendant combien de temps ?

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 10 Janvier 2013

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Dilemme nucléaire en Chine
Pierre Moscovici tente d’apaiser les relations avec Pékin, où le débat sur le transfert de technologie irrite
Pékin Envoyé spécial

A Pékin, on a peu apprécié le débat français sur la question du transfert de technologie en Chine d’EDF. En visite en Chine, mardi 8 janvier, le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, a tenté de déminer le terrain.

 » Nous nous interrogeons sur la façon dont sont appliquées les consignes stratégiques sur les aspects de transfert de technologie ou de propriété intellectuelle « , a déclaré M. Moscovici. Mais, a poursuivi le ministre, l’interrogation prend la forme d’une  » étude  » menée par l’inspection générale des finances, et non pas d’une  » enquête « , comme on a pu le lire dans la presse française. Au coeur de la mission de contrôle de l’Etat, un projet d’accord entre l’électricien français et son partenaire chinois, Guangdong Nuclear Power Company (CGNPC), qui prévoyait un partage de savoir-faire dans le développement d’un nouveau réacteur.

Ce mémorandum de 2010, dont EDF martèle qu’il n’avait rien de  » secret « , contrairement à ce qui a été dit, puisqu’il avait été vu par le gouvernement, n’a pas été validé à Paris. L’Etat ne souhaitait pas laisser EDF faire cavalier seul avec CGNPC quand Areva développe dans son coin un autre réacteur, baptisé Atmea, aux côtés du japonais Mitsubishi. Finalement, Areva a été associé au projet et un accord tripartite a été signé, le 13 novembre 2012, visant à dessiner ce nouveau modèle.

 » Cette enquête nous paraît, disons, incohérente « , lance un professeur de droit au ministre français au cours d’un débat à l’Université du peuple, mardi.  » Elle traduit surtout une méfiance envers la Chine, n’est-ce pas ?  » Avant de poser la question :  » Est-ce que vous pensez que la Chine a volé la France ?  »  » Il n’y a aucune suspicion « , répond le ministre.

L’affaire de cet accord mort-né de 2010 illustre le dilemme auquel est confrontée la filière française du nucléaire : que convient-il de céder à la Chine, alors que 80 % des commandes faites à la filière nucléaire française pour les quinze prochaines années proviennent de l’empire du Milieu ?

Le 24 décembre, un expert chinois, Pu Jilong, estimait dans le très officiel China Daily que le parc chinois de centrales s’élèvera à 60 gigawatts en 2020, soit un quintuplement de la puissance actuelle installée, et ce malgré l’année de gel des chantiers après la catastrophe de Fukushima.

 » Les Chinois développeront de toute façon un programme nucléaire. La question est de savoir comment être là, comment faire pour qu’ils choisissent la filière française ? « , dit Hervé Machenaud, le directeur de la production et de l’ingénierie d’EDF.  » Si la France ne s’inscrit pas dans le programme nucléaire des Chinois, ces derniers travailleront avec nos concurrents canadiens, russes ou américains « , poursuit cet ancien directeur du groupe en Asie-Pacifique, qui a supervisé le fameux projet d’accord enterré.

M. Machenaud,  » le Chinois  » comme on l’appelle encore chez EDF, est un fervent partisan du partage avec la Chine, au point que le livre commandé à un historien des entreprises sur les succès d’EDF en Chine est titré Le Chemin partagé (François Bourin Editeur, 416 pages, 24 euros).

 » Si les Chinois développent un réacteur qui est dans la lignée de la filière française, avec le retour d’expérience français, les codes et normes français feront référence « , poursuit M. Machenaud. Déjà, sur les seize réacteurs en exploitation en Chine, six sont des CPR 1000, un modèle français de deuxième génération. Certes, les Chinois les construisent eux-mêmes – ils en ont acquis de longue date la technologie -, mais derrière ce qui est désormais présenté comme du 100 % chinois, 85 PME françaises ont des contrats de fournisseurs.

Le directeur de la production d’EDF va plus loin : les Chinois ont également un savoir-faire à apporter à la France.  » La vision de M. Machenaud fait débat au sein même d’EDF. Oui ce sont les Chinois qui ont réussi à couler le béton du socle central en une fois à Taishan, alors qu’on le faisait en trois avec des problèmes de joints, explique une personne qui a suivi le chantier. Mais il y a des gens au sein de l’ingénierie d’EDF qui pensent que nous allons trop loin sur le partage du retour d’expérience. « 

Combien de temps la Chine aura-t-elle besoin des étrangers dans le nucléaire avant d’aller les concurrencer ?  » Tant qu’on leur apportera notre expérience, ils sont prêts à nous accueillir et à nous donner accès à leur marché « , pense M. Machenaud.

Un responsable d’une autre entreprise française du secteur, ayant lui aussi une bonne expérience chinoise, n’y croit pas :  » Notre problème, aujourd’hui, c’est que l’appropriation chinoise de technologie va beaucoup plus vite que le développement de nouvelles technologies par les étrangers. Sur les réacteurs de deuxième génération construits en Chine, les Français n’ont plus qu’un rôle résiduel. Sur les tranches 1 et 2 des EPR de Taishan, il a fallu lâcher un peu, et sur les tranches 3 et 4 tout le monde sait que ce sera bien plus. Moi, je trouve ça bizarre.  » Et d’insister : le programme nucléaire chinois  » a vocation à former une filière autonome. C’est un programme à vocation nationaliste « .

La Chine n’en a jamais fait mystère, elle veut en effet maîtriser à terme l’ensemble de la filière.  » Dans quelques années, nous saurons travailler seuls « , anticipe un expert chinois travaillant sur un programme de développement d’une des technologies nucléaires. Ce connaisseur rappelle que, déjà, le pays a deux centres de recherche sur ses propres technologies dites de troisième génération, au Sichuan (centre) et à Shanghaï.  » Puisque seules la Chine et l’Inde seront de gros marchés à l’avenir, les étrangers ne peuvent pas se passer de nous. Il faut apprendre des Français, des Etats-Unis et de la Russie, obtenir l’ensemble de la technologie et choisir pour nous ce qu’il y a de mieux « , dit-il.

D’ailleurs, pointe cet expert chinois, sur les quatre réacteurs à eau pressurisée (EPR) de troisième génération de conception française en construction sur la planète, les deux européens, surtout celui de Flamanville en France, cumulent les retards. Les deux réacteurs de Taishan, en revanche, respectent le calendrier initial. Parce que les entreprises chinoises chargées de l’ingénierie ont une rapidité propre à celles qui ont enchaîné chantier sur chantier ces dernières années, que le chantier de Taishan bénéficie des retours d’expérience européens, que la main-d’oeuvre chinoise, en nombre, est travailleuse et, enfin, parce que les cocontractants chinois ont un fort intéressement au respect des délais.

La logique politique chinoise veut que l’on finisse un projet à temps, pour pouvoir se targuer d’un succès. Surtout pour CGNPC, qui est lui-même en concurrence sur le marché chinois avec le premier champion étatique, China National Nuclear Corporation, chargé de son côté d’absorber la technologie américaine de troisième génération, l’AP 1000 de Westinghouse. D’ailleurs, les Américains leur ont déjà promis de développer avec eux un nouvel AP 1400, plus puissant donc.  » Les chantiers d’EPR en Europe ne sont pas très fluides et la France peine à trouver l’argent « , constate l’expert chinois. Conclusion :  » Les Français ne trouveront le salut que sur les marchés étrangers, c’est-à-dire en Chine.  » Un ancien haut responsable de CGNPC préfère ce ton diplomatique très chinois :  » L’amitié franco-chinoise dans le nucléaire durera longtemps. « 

La catastrophe de Fukushima n’est pas sans incidence. Après neuf mois d’inspections de ses centrales, le gouvernement chinois a présenté, le 24 octobre 2012, un rapport sur leur sûreté, afin de rassurer l’opinion. Parmi ses problèmes, la Chine y souligne la dispersion des technologies, qui rend le contrôle difficile. Conséquence, il faudra rationaliser.

Si la multiplication des technologies étrangères et des recherches parallèles chinoises fut nécessaire pour accéder au savoir-faire, Pékin pourrait, au cours des prochaines années, se recentrer sur un ou deux modèles de réacteurs, peut-être dans son treizième plan quinquennal qui guidera son économie de 2016 à 2020, mais se préparera avant. Reste à savoir lesquels.

Harold Thibault

    13 milliards d’euros

    C’est le montant des investissements français en Chine, selon le ministre de l’économie, Pierre Moscovici. Un chiffre quatre fois supérieur aux investissements chinois en France (3,4 milliards d’euros). La France est le troisième pays européen destinataire des investissements chinois, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni.

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