La souffrance ne s’oppose pas…

On ne peut pas opposer les souffrances : c’est un principe de base dans l’étude d’un conflit. Dans une période de guerre, les deux camps souffrent. Il y a d’abord celui qui commence et puis tout s’enchaîne : la vengeance entraîne la vengeance, les souffrances entraînent les souffrances.

Les « malgré nous » ont souffert car ils ont été enrôlé de force. Bien souvent, ils ont d’ailleurs été envoyés sur le front de l’est pour éviter qu’ils ne se retournent contre l’armée Allemande. Cependant, on n’a pas pu empêcher certains éléments zélés, Alsaciens, Mosellans, ou bien même Français, de pactiser avec l’ennemi. Le collaborateur a été partout et avait des origines diverses.

Ce que l’on peut retenir de cet article :
– Oui, Oradour a souffert, et beaucoup souffert même. On a atteint le comble de l’horreur dans cet évènement.
– Oui, il y a sans doute eu des éléments zélés parmi les « malgré nous » qui ont participé à cette horreur. Ces gens doivent être condamnés, sans pouvoir bénéficier d’une quelconque amnistie. Ce, même à titre posthume.
– Non, tous les « malgré nous » n’étaient pas des collabos. Ils ont, pour une grande part, souffert de cette situation et doivent être respectés en tant que tels. Les zélés parmi les malgré-nous étaient l’exception, non la norme.
– Oui, il va falloir communiquer entre Alsaciens-Mosellans et ces régions, qui ont aussi, pour une grande part, accueilli les exilés de ces régions.

Retenir ces faits et les appliquer engendrera une paix qui ne peut être que bénéfique pour tous.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 19 Février 2013

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Les plaies d’Oradour
Près de soixante-dix ans après le massacre perpétré par un régiment SS dans ce bourg de Haute-Vienne, l’heure n’est toujours pas à la réconciliation entre Alsaciens et Limousins. La condamnation d’un rescapé du drame de 1944, accusé d’avoir remis en cause le statut des  » malgré-nous « , a ravivé les rancoeurs

C’est l’histoire de deux douleurs, de deux traumatismes collectifs qui se heurtent ; pire, qui tentent de se mesurer. C’est l’histoire d’un drame national qui divise deux régions françaises, l’Alsace et le Limousin. C’est l’histoire d’hommes politiques qui, au nom de l’entente nationale, éditent des principes de responsabilités collectives ou au contraire des lois d’amnistie générale qui ne font qu’enkyster les rancoeurs. C’est l’histoire d’une justice qui se veut de raison et qui est pour cela impuissante face au mal absolu du nazisme. Une justice qui, depuis près de soixante-dix ans, ne fait que rouvrir les plaies à chaque nouvelle décision. La dernière est récente et toujours pendante devant la Cour de cassation. Comme les autres, toutes les autres, elle n’aura réussi qu’à raviver la colère.

C’est l’histoire d’Oradour-sur-Glane, page tragique de la seconde guerre mondiale. 10 juin 1944 : le régiment Der Führer de la Panzerdivision Waffen SS Das Reich investit ce bourg de Haute-Vienne et massacre 642 personnes, dont 221 femmes et 215 enfants de moins de 14 ans. Parmi la poignée de rescapés, Robert Hébras, fusillé dans une grange, sauvé par miracle du coup de grâce puis de l’incendie allumé par les bourreaux. Sa mère et ses deux soeurs sont mortes, brûlées dans l’église. C’était alors un jeune homme de 18 ans, un être agile, ce qui lui sauva la vie. Il a aujourd’hui 87 ans. Droit comme un i, il guide toujours des visites dans le labyrinthe des ruines, jusqu’aux murs de la grange où les hommes ont été fusillés,  » pour le souvenir mais surtout pour le présent « . Robert Hébras a été récemment décoré en Allemagne et en Autriche pour  » son implication passionnée dans le travail de réconciliation « .

Un rescapé qui se retrouve pourtant en position d’accusé : il a été condamné le 12 septembre 2012 par la cour d’appel de Colmar, après une plainte de l’Association des évadés et incorporés de force (Adeif) des Haut et Bas-Rhin. Un euro symbolique et 10 000 euros de frais de justice aux dépens. Incriminé, un récit qu’il a publié en 1992, Oradour-sur-Glane : le drame heure par heure (CMD). Dans ce fascicule d’une trentaine de pages, vendu notamment au Centre de la mémoire, à l’entrée du site martyr, il évoquait  » parmi les hommes de main, quelques Alsaciens, enrôlés soi-disant de force par les unités SS « . Et plus loin :  » Je porterais à croire que ces enrôlés de force fussent tout simplement des volontaires.  » C’était là remettre en cause le statut des  » malgré-nous « , ces jeunes gens des territoires annexés par l’Allemagne en octobre 1940.

Des soldats d’Alsace et de Moselle furent versés dans la Wehrmacht, à partir de la conscription obligatoire de 1942, puis, pour certains, intégrés directement dans des unités SS à partir de 1944, afin de reconstituer des forces décimées sur le front de l’Est. Cent trente mille partirent et 40 000 ne revinrent pas. Il n’est guère de famille au-delà des Vosges qui ne recense un parent dans ce cas. C’est dire si le sujet est à fleur de peau, même chez les jeunes générations.

 » Ça suffit ! Nous en avons marre de nous faire agresser par des gens qui ne savent pas « , tempête André Hugel, 84 ans, dans son pavillon de Riquewihr (Haut-Rhin), débordant de cartons d’archives sur cette époque. Ce vigneron, membre de l’Adeif, a poussé au dépôt de plainte contre Robert Hébras. Pendant des heures, il raconte l’histoire de sa famille qui est un peu celle de sa région. Son grand-père, qui en 1915 priait  » pour le succès de la France  » quand ses deux fils se battaient dans les troupes du Kaiser. Son père, maire de Riquewihr avant la seconde guerre mondiale, qui avait donné un morceau de son écharpe tricolore à un autre fils, Georges, enrôlé sur le front de l’Est  » sous l’uniforme de l’ennemi  » et qui finira le conflit dans les rangs de la France libre. André Hugel parle, parle sans fin de ces vies écartelées.  » Nous, les Alsaciens, nous ne serons jamais considérés comme des citoyens à part entière. Nous sommes forcément des nazis. Je ne supporte plus ces mensonges. « 

 » Robert Hébras aurait voulu nous faire déchoir de la nationalité française qu’il ne s’y prendrait pas autrement « , affirme également Jean-Paul Bailliard, dans sa maison de Bischoffsheim, d’où l’on voit au loin la cathédrale de Strasbourg. Président de l’Adeif du Bas-Rhin, cet homme de 89 ans a été incorporé de force dans la Wehrmacht en avril 1943 et envoyé sur le front de l’Est, où il a été blessé en 1944. Soigné en Allemagne, il s’enfuit dans un costume chipé dans une teinturerie et se rend aux troupes alliées. Après la guerre, il intègre l’armée française, combat en Indochine puis participe au programme militaire nucléaire du pays, prenant sa retraite avec le grade de général.

Ce monsieur à l’exquise politesse rappelle les pressions sur les familles de ceux qui désertaient, les réfractaires fusillés et les Alsaciens qui étaient internés au camp  » de rééducation  » de Schirmeck (Bas-Rhin), en raison de leur hostilité au nazisme.  » L’Alsace a payé un très lourd tribut à cette guerre, plaide-t-il. Aujourd’hui, nous sommes doublement victimes, car nous avons souffert et nous sommes mis dans le camp des bourreaux.  » Des Alsaciens étaient présents à Oradour-sur-Glane, au milieu des 120 à 200 SS qui commirent les exactions. Quatorze furent jugés par un tribunal militaire à Bordeaux du 12 janvier au 13 février 1953, dont un engagé volontaire, dès 1941, le sergent Georges-René Boos, qui prit une part active au massacre. Le rôle exact des 13 incorporés de force alimenta largement le procès de Bordeaux et la polémique se poursuit aujourd’hui. Pour mémoire, parmi les victimes figuraient également 48 réfugiés d’Alsace-Lorraine dont 39 venus de la commune mosellane de Charly, rebaptisée depuis Charly-Oradour.

André Hugel justifie la plainte contre Robert Hébras :  » Je ne veux pas que ces treize garçons passent pour l’éternité pour des assassins.  » Le tribunal de grande instance de Strasbourg avait débouté l’Adeif en octobre 2010. Il expliquait que  » le livre ne se présente nullement comme une oeuvre historique mais comme un témoignage « . La cour d’appel de Colmar a jugé au contraire que  » l’incorporation de force est une vérité historiquement et judiciairement établie  » et que l’auteur avait  » outrepassé les limites de la liberté d’expression « .  » La cour a estimé qu’il n’avait pas été témoin des incorporations forcées et que donc ce qu’il disait à ce sujet ne pouvait être assimilé à un témoignage « , décrypte Lilyane Anstett, l’avocate de l’Adeif. Cette Lorraine installée à Strasbourg, petite-fille d’un résistant, pensait hériter d’un dossier ordinaire de propriété littéraire.  » Je n’imaginais pas qu’il pouvait y avoir une telle violence, avoue-t-elle. J’ai été traitée de criminelle pendant les audiences. « 

La condamnation du rescapé d’Oradour a provoqué un tollé en Limousin. Un comité  » Justice pour Robert Hébras  » a été immédiatement créé. Bernadette Malinvaud, sa présidente, annonce plus de 600 adhésions et plus de 1 600 messages de sympathie.  » Il en est venu d’Alsace, dont plusieurs d’anciens résistants ; l’un d’eux a ajouté : « Ne citez surtout pas mon nom, je serais obligé de quitter la région. »  » Fort de ces soutiens, le condamné a décidé, le 12 janvier, de se pourvoir en cassation. Principal argument :  » La première édition – en 1992 – avait suscité des remous en Alsace ; pour les rééditions qui ont suivi – en 2004 – , j’avais, dans un souci d’apaisement, supprimé ces quelques mots ; une nouvelle réédition, en 2009, s’est faite par erreur à partir des typons de cette première édition sans que j’aie été consulté ; je n’avais d’ailleurs pas signé de bon à tirer.  » Ce sera donc à la Cour de cassation de dire la loi, à défaut peut-être de dire ce qui est juste.

Les historiens se sont saisis de la querelle. Philippe Grandcoing, jeune docteur en histoire contemporaine et enseignant en khâgne à Limoges, dénonce dans le jugement de Colmar  » la confusion qui règne encore aujourd’hui en France entre histoire et mémoire. L’enrôlement forcé de dizaines de milliers d’Alsaciens et de Mosellans sous l’uniforme allemand est une réalité historique d’ordre sociologique. Il n’induit pas que tous les Alsaciens aient été des incorporés de force, ni qu’ils se soient tous comportés correctement. Il y a eu aussi des Alsaciens qui ont fait le choix d’une collaboration militaire avec les nazis, comme d’autres Français. Une règle prévaut dans le droit français : la responsabilité individuelle. En s’appuyant sur une vérité mémorielle collective, et non sur la réalité de la biographie de chacun des participants au massacre, la justice d’aujourd’hui a oublié ce principe « .

L’historien poursuit :  » Les soldats français qui ont fait la guerre en Algérie étaient aussi des « malgré-nous », cela ne préjuge en rien de leur conduite personnelle au cours des opérations. Ce n’est pas à la justice de trancher dans une affaire où chacun des porteurs de mémoire a sa propre part de vérité.  » Jean-Laurent Vonau, professeur d’histoire du droit à l’université de Strasbourg, dit à peu près le contraire.  » Ces treize n’avaient aucune raison ni aucune envie d’être là-bas. Oradour est un crime de guerre commis à partir d’un autre crime de guerre, l’incorporation forcée. Lorsque vous refusez de reconnaître cette évidence, c’est purement et simplement du négationnisme. « 

Enfant, cet homme a connu une aïeule qui attendit jusqu’à son dernier souffle l’improbable retour de son fils, disparu sur le front de l’Est. Aujourd’hui vice-président du conseil général du Bas-Rhin chargé de la mémoire, il est l’auteur d’un livre édité en 2004 par une maison strasbourgeoise, Le Procès de Bordeaux, les Malgré- Nous et le drame d’Oradour, une plongée dans les archives de l’instruction qui a connu un franc succès en Alsace.  » Inutile de dire que vous ne trouverez pas mon livre à Oradour « , regrette-t-il.

A ses côtés, dans les locaux du conseil régional d’Alsace, Alphonse Troestler, délégué à la mémoire régionale, sort un vieux calepin strié de balles. Il appartenait à un  » malgré-nous  » dont il montre la photo, un gamin qui avait tenté de se rendre pendant la bataille de Normandie.  » Il a été abattu par les Alliés « , explique-t-il. Tant d’autres ont subi le même sort. Les désertions étaient risquées, car les résistants ou les Américains ne faisaient pas forcément bon accueil à ces soldats, a fortiori s’ils combattaient sous l’uniforme SS, explique-t-il.

Alphonse Troestler porte le prénom d’un oncle qui déserta deux fois de la Wehrmacht, fut deux fois repris, avant de mourir sur le front de l’Est.  » Les Alsaciens ont appris l’histoire de France, mais les Français n’ont jamais appris l’histoire de l’Alsace. Comme le disait Charles Péguy, quand on a vendu son frère, il vaut mieux ne pas en parler.  »  » Je constate qu’on parle des Alsaciens et pas des Français d’Alsace « , renchérit Jean-Laurent Vonau.

Témoin contre témoin, historien contre historien, souffrance contre souffrance. La querelle dure ainsi depuis soixante-dix ans. Elle a été attisée par les atermoiements de la justice et de la politique . Le procès de Bordeaux de 1953 en a été le paroxysme. Les condamnations des  » malgré-nous  » présents lors du massacre enflammèrent l’Alsace avant qu’une amnistie votée une semaine plus tard par le Parlement ne sème la colère en Limousin.

Enterré au nom de la raison d’Etat, figé dans le silence comme les ruines accusatrices du bourg, le ressentiment couve toujours, l’affaire Hébras le démontre. Sur les plaies d’Oradour, l’acrimonie ambiante pousse à toutes les dérives. En Alsace, sur Internet notamment, des théories scabreuses commencent à remonter. Les femmes et les enfants morts dans l’église auraient été victimes de l’explosion d’un stock d’armement laissé par les maquisards dans le clocher. Un certain Charles Buch, un  » malgré-nous  » incorporé dans la division SS Das Reich, reprend ce scénario qui fut avancé au lendemain d’Oradour par la propagande nazie.  » La mort des femmes et des enfants est donc bien un accident involontaire qu’on a tout simplement romancé afin de pouvoir le mettre sur le dos des « malgré-nous » « , écrit Charles Buch dans un mémoire qui circule très librement en Alsace. Il parle même du  » soi-disant massacre  » de l’église. Les hommes, réunis dans d’autres lieux, auraient ensuite été tués dans l’affolement.

Aux gens d’Oradour de crier cette fois à la falsification et au négationnisme.  » Il suffit de visiter les ruines pour voir que c’est absurde, dit Robert Hébras. Le clocher n’a jamais explosé, il est toujours là soixante-dix ans après ; ce sont les voûtes qui se sont effondrées sous l’effet de l’incendie « , et, ajoute-t-il, le déroulement des faits suffit à démolir cette argutie :  » L’église a brûlé après 17 heures, alors que le massacre des hommes et les incendies dans le bourg avaient commencé dès 15 heures.  » L’historien Jean-Jacques Fouché, maître d’oeuvre de la création en 1999 du Centre de la mémoire d’Oradour, cite des preuves de la préméditation signées de la main de Heinz Lammerding, général de la division Das Reich qui ordonna l’expédition. Dans son livre, baptisé sobrement Oradour, réédité en 2012 (éd. Liana Levi), il rappelle que les témoins SS ont admis qu’ils avaient fait exploser eux-mêmes l’église et donnent le nom de l’artificier, Gnug.

Et voilà dans ce contexte passionnel qu’un nouvel épisode judiciaire s’ouvre, en Allemagne. Le parquet de Dortmund diligente depuis plusieurs mois une enquête sur le massacre, sur la base de nouvelles pièces découvertes dans les archives de la Stasi.

Elles ont permis de retrouver la trace de six SS survivants qui auraient participé aux exactions. Des perquisitions ont été effectuées à la demande du procureur Andreas Brendel. Des enquêteurs se sont rendus en janvier à Oradour, sur la scène de ce crime de guerre, imprescriptible en droit allemand. Le Limousin, trop échaudé dans le passé, n’ose espérer que ce procès aboutisse.

Quelle que soit l’issue de cette procédure outre-Rhin, il n’est pas sûr qu’elle suffise à mettre fin à l’affrontement franco-français. La visite en 1998 de Roland Ries, maire de Strasbourg et fils d’un  » malgré-nous  » à Oradour, fut suivie d’autres cortèges officiels. En 1999, à l’inauguration du Centre de la mémoire, une délégation alsacienne était conduite par Philippe Richert (UMP), alors sénateur du Bas-Rhin, et Catherine Trautmann, ministre de la culture de Lionel Jospin et ex-maire de Strasbourg.

Le maire de la commune de Haute-Vienne, Raymond Frugier, s’est également rendu en Alsace en 2004.  » Les jumelages sont nombreux entre communes limousines et communes alsaciennes, en souvenir de l’accueil fait aux réfugiés de l’exode de 1939-1940 « , constate Bernadette Malinvaud, du comité  » Justice pour Robert Hébras « . Des voyages scolaires sont également organisés pour que les générations futures raboutent enfin les deux histoires. Mais les esprits ne s’apaisent pas aussi facilement. Pour Jean-Laurent Vonau,  » il faut d’abord que chacun accepte de comprendre le drame de l’autre « . p

Georges Châtain et Benoît Hopquin


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