Le rugby doit se réveiller et ne pas accepter de pratiques inacceptables

Le rugby doit se réveiller et faire le ménage en son sein. Il faut de toute urgence que ses instances cessent de se voiler la face pour engager le combat contre le dopage. On doit rechercher et punir les tricheurs car ils faussent leur sport et induisent des pratiques qui sont nuisibles à leur santé.

On ne peut pas cautionner une pratique de gladiateurs où l’on peut accepter des morts pour le plaisir du public.

Il faut agir avec fermeté, urgemment, pour la beauté du sport et pour préserver la vie de nos athlètes.

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Laurent Benezech : « Le rugby est dans la situation du cyclisme avant l’affaire Festina »
LE MONDE SPORT ET FORME | 04.04.2013 à 16h19 • Mis à jour le 04.04.2013 à 17h08 Laurent Telo

SPORT – Laurent Benezech le 3 avril 2013

Mercredi 27 mars, Françoise Lasne, directrice du laboratoire de Châtenay-Malabry, a créé la sensation devant la commission d’enquête du Sénat sur la lutte antidopage en France en déclarant que le rugby était le sport qui présentait, en 2012, le plus fort taux de cas positifs par rapport au nombre de contrôles réalisés. Laurent Benezech, ancien international (15 sélections en 1994 et 1995) et consultant, n’est pas surpris par cet état des lieux.

Est-ce les déclarations de Françoise Lasne qui vous incitent à parler ?

Non. Elles n’ont fait qu’accélérer une réflexion que je mène depuis quelque temps. Mais elles sont suffisamment importantes pour qu’on ne les néglige pas. Dans ce qu’elle dit, il y a deux informations importantes. D’une part que la préparation des joueurs de rugby est fortement médicalisée. Je n’ai pas été surpris par cette première déclaration, car cela rejoint le fond de mon analyse. En revanche, ce qui m’a interpellé, c’est la seconde information contenue dans ses affirmations qui met au jour la complicité des organismes du rugby, notamment des clubs, au travers de la pratique des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT). C’est un élément nouveau qui explique tout ce que j’ai pu voir ces derniers mois et qui me pousse à m’éloigner de ce qui a été mon sport pendant des années.

Qu’avez-vous noté ces derniers mois ?

Quand je croise des joueurs de rugby, voire des équipes entières, et que je vois, par exemple, une évolution de leur mâchoire, ce qui est la marque d’une prise d’hormone de croissance, je ne peux qu’être inquiet de l’évolution de mon sport et de la santé à long terme de ses joueurs. Je ne remets pas en cause le fait qu’une pratique de très haut niveau doit faire appel à un suivi médicalisé et médicamenteux approprié. Mais là, en quelques mois, il y a eu une accélération qui me paraît dangereuse. Quand j’entends un sélectionneur national annoncer que le temps de jeu effectif, qui est actuellement de quarante minutes en moyenne, doit passer à cinquante minutes pour la Coupe du monde 2015 et que seuls les joueurs capables de tenir ces cadences pourront prétendre à jouer en équipe nationale, je ne peux y voir qu’un appel au dopage. Comment, de façon réaliste, peut-on imaginer augmenter de dix minutes une performance qui s’est déjà fortement accrue ces dernières années ?

Sur quelles preuves vous fondez-vous ?

Les éléments tangibles sont dans le rapport de Françoise Lasne, qui déclare : « Pour 2012, si nous tenons compte de toutes les molécules interdites présentes sur la liste de l’AMA, le sport qui donne le plus haut pourcentage de cas positifs est le rugby. » Cela veut dire qu’aujourd’hui, dans certains clubs, il y a une légalisation du suivi médicalisé à travers les autorisations données par les médecins, les fameuses AUT, sinon les joueurs seraient déclarés positifs lors des contrôles. Les éléments tangibles sont également visibles dans le suivi longitudinal mis en place pour encadrer une pratique médicamenteuse réglementée. Il serait d’ailleurs intéressant de comparer les données du suivi longitudinal sur différentes périodes entre sa mise en place au début des années 2000 et aujourd’hui. Cela permettra sûrement d’expliquer pourquoi on arrive à avoir actuellement autant de joueurs de plus de 130 kilos avec des performances physiques exceptionnelles.

La musculation intensive ne peut-elle pas tout expliquer ?

Bien sûr que non. L’escalade dans la prise de masse musculaire est affolante. Physiquement, les rugbymen n’ont plus rien à envier aux joueurs de football américain. Or, les sports américains ont au moins cette honnêteté de reconnaître leur permissivité en termes d’accompagnement médicalisé à la performance. Je constate que personne n’a fait référence au récent courrier envoyé par la LNR [Ligue nationale de rugby] aux clubs dans le but de les alerter sur certaines dérives, comme la prise trop importante de corticoïdes. Les preuves sont sous nos yeux mais apparemment, ça n’intéresse personne. Le rugby est exactement dans la même situation que le cyclisme avant l’affaire Festina.

On est passé de vingt minutes de jeu effectif à trente minutes à la fin des années 1990, évolution normale due à la professionnalisation des joueurs. Mais on est en train de nous expliquer, alors que l’on est déjà à quarante minutes, que l’on peut passer à cinquante et donc, pourquoi pas, à soixante. C’est précisément ce qui se passait dans le vélo à la fin des années 1990 où la logique poussait à allonger les étapes du Tour de France et à multiplier les difficultés sans que cela pose de problèmes physiques aux coureurs.

Il y aurait donc une forme de dopage organisé dans le rugby…

La déclaration de Françoise Lasne ne laisse planer aucun doute sur la réponse. C’est oui, car il y a une pratique développée des AUT, c’est-à-dire la justification par le médecin d’une prise médicamenteuse dont il est évident qu’elle sert à la recherche de la performance. Il ne faut pas tomber dans le piège tendu par les instances sportives en utilisant ce terme, « dopage ». C’est un mot protéiforme qui permet d’y associer la définition qui arrange son utilisateur. Quand Guy Novès, le manageur du Stade toulousain, dit : « Je ne connais pas de joueur dopé », il joue avec ce mot. Des joueurs dopés, il en connaît au moins un. Car il y a déjà eu un joueur du Stade toulousain contrôlé positif lors d’une finale du championnat de France dans les années 1990 [le talonneur Patrick Soula]. Bien sûr, il a été blanchi pas les instances, et c’est là qu’il est facile de jouer avec la définition du terme. Pour traiter un tel sujet, il est important de parler de pratique médicalisée au service de la performance et de voir jusqu’où on met le curseur. Quelle est la limite ? Prenons l’exemple de l’EPO et du cyclisme. Dans les années 1990, un hématocrite de 50 % était autorisé. Ce qui permettait à un cycliste prenant de l’EPO, mais avec un taux inférieur à 50 %, de ne pas être dopé selon la définition qui arrange le monde sportif.

Que faudrait-il faire selon vous ?

Je ne cherche pas à dire que le dopage, ça n’est pas bien. On n’en est plus là. Non seulement parce que personne n’a envie de voir les matchs des années 1980 où tous les joueurs marchent mais aussi parce que les nouvelles générations de traitements médicaux avec les biotechnologies seront de plus en plus difficiles à détecter à l’avenir. Ce que je cherche à dénoncer, c’est une fuite en avant pas maîtrisée et qui va mettre de plus en plus en danger la santé des joueurs. Le rugby prend le chemin du football, où il est possible de mourir pendant un match sans que cela remette en cause quoi que ce soit. Cette saison, en Top 14, un jeune joueur s’est retrouvé dans le coma lors d’un échauffement d’avant-match. On nous a expliqué que c’était la faute à pas de chance et à la santé précaire d’un gaillard de plus de 100 kilos. Je comprends que « the business must go on », mais on ne peut pas dire qu’on n’aura pas été prévenu !

Que vous inspire la réaction du monde du rugby, qui semble tomber des nues ?

C’est un mélange de politique de l’autruche et de réaction d’une bande de gamins pris la main dans le pot de confiture qui tentent d’expliquer que ce n’est pas de la confiture. La grande famille du rugby s’est ridiculisée en allumant des contre-feux grotesques plutôt que d’aborder le problème à sa juste mesure. Tant qu’on restera dans cet obscurantisme et ce refus de transparence, on ne pourra aboutir qu’à la mise en danger de la santé des sportifs.

Laurent Telo
Dates

1966 Naissance à Pamiers (Ariège).

1985 Signe au Stade toulousain (amateur).

1990 Champion de France avec le club parisien du Racing Club de France.

1994 Première de ses 15 sélections en équipe de France.

1996 Signe aux Harlequins de Londres (professionnel).

2000 Achève sa carrière à Narbonne.

2004 Crée sa société de consulting, BarmaBet.


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