Quand des avocats Suisse aident des riches à se soustraire à l’impôt

L’impôt est essentiel aux pays et aux démocraties. Il permet l’égalité des peuples. Quand des riches essaient de se soustraire à l’impôt, ils commettent un acte grave car il entrave la liberté et le bonheur de leur contribuable.

Ces actes ne peuvent être approuvés, pas plus que ne peut l’être le secret bancaire, crime contre l’humanité par essence, car allant à l’encontre des principes élémentaires d’humanité.

Quand l’argent devient plus important que l’humain, il faut faire cesser ce pouvoir néfaste et enfermer les gens qui se rendent coupables de ce que l’on peut appeler un crime.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 9 Avril 2013

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Avocats suisses, levez-vous !
L’analyse des 2,5 millions de documents  » OffshoreLeaks  » établit le rôle joué par des avocats suisses dans l’évasion fiscale

Au moment de créer une société-écran aux îles Cook, le 15 septembre 1993, l’avocat zurichois Peter Hafter ne pouvait pas imaginer ce qui allait se produire vingt ans plus tard. En ce printemps 2013, le fax qu’il a envoyé pour lancer les opérations, les e-mails qui ont suivi, ainsi que toutes ses communications d’affaires avec la société Portcullis Trustnet, à Rarotonga, la plus grande des îles de l’archipel, ont été copiés et transmis à des journalistes, dans le cadre de l’opération  » OffshoreLeaks « , dont Le Monde est partenaire.

Cette gigantesque quantité d’informations permet, pour la première fois, de comprendre, à travers des centaines de cas réels, comment des avocats et des fiduciaires suisses, de Genève à Saint-Gall, ont aidé des clients du monde entier à monter des sociétés offshore et des trusts, afin de préserver leur patrimoine des appétits du fisc ou d’héritiers trop pressants.

Mais revenons à notre avocat. Les documents en notre possession montrent comment Peter Hafter a participé au montage financier de quelques-unes des plus grandes fortunes d’Europe. En jargon, on appelle cela asset protection, pour  » protection de patrimoine « . En français, il faut traduire par  » optimisation fiscale « , ou pire, par  » soustraction fiscale « .

Peter Hafter, 83 ans, n’est pas n’importe qui. Jusqu’à son départ progressif à la retraite ces dernières années, il était l’un des piliers de Lenz & Staehelin, le plus grand cabinet de Suisse, avec des bureaux à Genève, Lausanne et Zurich et employant plus de 150 avocats. Ce 15 septembre 1993, c’est la première fois – mais pas la dernière – que Peter Hafter fait appel à Portcullis Trustnet, une agence spécialisée dans les montages effaçant tout lien entre des personnes ou des entreprises et leurs actifs. Depuis Zurich, à 16 940 kilomètres, il ouvre la société à responsabilité limitée Triton Limited sur l’île de Rarotonga, perdue en plein coeur du Pacifique sud, quelque part entre la Nouvelle-Zélande et Hawaï. Son client ? Le célèbre Gunter Sachs : photographe d’origine allemande, héritier de la dynastie von Opel (des voitures Opel), ex-mari de Brigitte Bardot, naturalisé suisse en 1976. Gunter Sachs, lui-même, n’apparaît pas dans les documents officiels de Triton. Ses directeurs sont Peter Hafter, ainsi que deux autres personnes de confiance de Gunter Sachs. Sur le papier, ce sont eux qui détiennent les 2 000 parts au porteur de la société.

Peter Hafter organise aussi la création d’une seconde société-écran, Tantris Limited, et de quatre trusts, Parkland Oak, Moon Crystal, Espan Water et Sequoia, tous établis dans les îles Cook, entre le 18 mai 1994 et le 22 juillet 1996. Ces entités abriteront une part importante de la fortune de Gunter Sachs. Peter Hafter siège dans chacune d’elles comme trustee, c’est-à-dire qu’il n’agit pas pour son propre compte, mais pour celui des bénéficiaires, Rolf, Christian Gunnar et Claus Alexander, les trois fils Sachs. Mais dans deux trusts au moins, Gunter Sachs lui-même pouvait profiter de l’argent, en tant que bénéficiaire.

Selon une note entrée le 4 avril 1999 dans la base de données interne de Portcullis Trustnet, un  » arrangement spécial  » est même trouvé pour garder secret le nom du mandant, Gunter Sachs. Ce dernier reste donc caché au pays du secret, anonyme dans l’anonymat des îles Cook. Il conserve toutefois le contrôle sur les fonds, qui seront notamment gérés jusqu’à sa mort par la société Galaxar SA, basée à Genève. Un cinquième trust suivra même en avril 2007, le Triton Trust.

Tout se corse en 2008, lorsque Gunter Sachs établit de nouveau son domicile en Suisse, après un intermède de quelques années à Londres. Lenz & Staehelin prépare un dossier à l’attention des autorités fiscales. Gunter Sachs déclare environ 470 millions de francs suisses (390 millions d’euros) de fortune. Seulement voilà, dans ses dernières déclarations fiscales que nous avons pu consulter, pas un seul des cinq trusts n’est annoncé. Ni les deux sociétés-écrans.

Manquent également plusieurs sociétés de Gunter Sachs, dont des documents officiels prouvent qu’elles disposaient pourtant de millions d’actifs. C’est notamment le cas de K-Buchs ou K-Erlen, basées à Luxembourg, introuvables dans sa déclaration fiscale. Malgré des affaires florissantes, Gunter Sachs ne payait aucun impôt sur le revenu en Suisse. Mais juste 2,7 millions de francs suisses par an sur sa fortune.

Autre élément curieux : l’inventaire successoral du photographe, rédigé par ses avocats suisses qui est daté de juillet 2012. Ce document évalue l’ensemble des oeuvres d’art ayant appartenu à Gunter Sachs à 48 millions de francs suisses. Pourtant, six semaines auparavant, les 22 et 23 mai 2012, 260 pièces de la collection privée du photographe – c’est-à-dire une partie seulement – ont été vendues par Sotheby’s à Londres. Et elles ont rapporté 41,4 millions de livres sterling, soit 62 millions de francs suisses (51 millions d’euros). Un autoportrait d’Andy Warhol, datant de 1986, s’est vendu à 8 millions de francs suisses, une composition florale est partie à 5,5 millions et un portrait de Brigitte Bardot, toujours d’Andy Warhol, a été adjugé pour 4,5 millions. Dans les documents fiscaux auxquels nous avons eu accès, il n’y avait pas la moindre trace du produit de cette vente.

Confrontée à ces éléments, jeudi 4 avril, avec la publication des  » OffshoreLeaks  » par le consortium international des journalistes d’investigation ICIJ, l’administration fiscale du canton de Berne a décidé de réagir :  » Compte tenu de ces informations, l’intendance des impôts va réexaminer le dossier de Gunter Sachs et, le cas échéant, utiliser les possibilités et moyens juridiques à sa disposition pour prendre des mesures « , a expliqué Yvonne von Kauffungen, la porte-parole. En clair : il s’agit du premier pas avant l’ouverture formelle d’une enquête.

 » Les trusts concernés n’ont pas été mis en place pour des raisons fiscales, mais bien plus pour la planification successorale « , a fait savoir l’avocat Peter Hafter.  » L’ensemble du patrimoine de Gunter Sachs au moment de sa mort a été signalé aux autorités fiscales concernées « , a-t-il ajouté. Il assure que, si les trusts n’ont effectivement pas été annoncés aux autorités fiscales, tous les actifs qui s’y trouvaient l’ont été. Cela ne suffit pas pour Bruno Knüsel, l’intendant des impôts du canton de Berne :  » Cette pratique nous laisse dans le flou sur la forme exacte du trust. Et nous ne pouvons rien demander, car nous ignorons que ces avoirs proviennent d’un trust. Cela rend notre travail beaucoup plus difficile. « 

En plus des cinq trusts de Gunter Sachs, l’avocat Peter Hafter a aussi mis en place dix-huit trusts aux îles Cook pour le baron français Elie de Rothschild, fondateur et ancien président de la Rothschild Bank à Zurich, décédé en 2007. Mais le célèbre avocat n’a pas voulu commenter. Il n’a rien dit non plus pour expliquer la création de sociétés pour le compte de l’industriel allemand de l’acier et de l’armement, le baron Hans-Heinrich Thyssen-Bornemisza et son épouse Carmen.

Pour eux, l’avocat Peter Hafter s’est même transformé en acheteur d’art. Grand amateur de tableaux de maîtres, le baron  » Heini  » était devenu citoyen suisse en 1950 et résidait à Lugano. Sa collection privée était déjà mondialement connue lorsqu’il épousa en 1985 en cinquième noce Carmen, Miss Espagne 1961 et ancienne épouse de l’acteur américain Lex Barker (Tarzan, de 1949 à 1953). Dans les années 1990, elle convainc son mari de céder une grande partie de sa gigantesque collection de plus de 1 000 oeuvres à l’Etat espagnol, contre 350 millions de dollars. Pour abriter les tableaux de maître restants et les léguer à sa femme et ses enfants, le baron créa cinq trusts aux Bermudes, portant chacun le nom d’un grand peintre. Le trust Caravaggio fut attribué à Carmen, le trust Gauguin à Alejandro Borja, fils de Carmen et adopté par le baron, etc.

Au même moment, fut créée une société nommée Nautilus Trustees Limited dans les îles Cook pour permettre à Carmen d’acheter discrètement d’autres tableaux. Elle était la bénéficiaire de la société, mais elle restait en retrait. Les directeurs étaient, entre autres, Peter Hafter, de l’étude Lenz & Staehelin, et l’avocat zurichois Patrick Oesch. Les actions au porteur de la société de Nautilus furent envoyées chez Lenz & Staehelin, pour être conservées dans un coffre-fort à Zurich.

En 2002, malgré la cession des 775 oeuvres à l’Etat espagnol dix ans plus tôt, Carmen se retrouve à la tête de l’une des plus importantes collections privées au monde : 655 pièces, évaluées à 541 millions d’euros lors d’une estimation officielle. Un jugement de la Cour suprême des Bermudes du 12 mars 2013, que nous nous sommes procurés, estime le patrimoine du seul trust Gauguin  » aux alentours de 1 milliard de dollars « .

Selon des experts fiscaux suisses et espagnols que nous avons interrogés, la raison du tour de passe-passe par les îles Cook et les Bermudes est évidente. Si Carmen Thyssen possédait directement les oeuvres de sa collection privée, elles auraient été taxées à hauteur de 2,5 % d’impôt sur la fortune en Espagne. Les conseils avisés de ses avocats lui ont donc permis d’économiser au minimum entre 10 et 15 millions d’euros par an. Et au Tessin, où Carmen est de nouveau domiciliée officiellement, elle ne paie pas d’impôt sur la fortune sur ses tableaux, comme le révèle son avocat espagnol Jaime Rotondo. Ces trusts y permettent une économie d’environ 2 millions de francs suisses par an. Largement de quoi amortir les quelques dizaines de milliers de dollars dépensés chaque année pour maintenir ces structures en place.

Catherine Boss, François Pilet et Titus Plattner

 » Le Matin Dimanche « , en collaboration avec Mar Cabra ( » El Confidencial « ), Bastian Obermayer, Frederik Obermaier ( » Süddeutsche Zeitung « ) et Oliver Zihlmann ( » Sonntags Zeitung « ).


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