Jalabert, rattrapé par la patrouille…

A l’époque de la sortie de cette article, j’avais apposé ce titre : « Jalabert, le petit gars propre !… Mais en est-on si sûr ? ». Aujourd’hui, les soupçons ont fait place à la réalité : Jalabert s’est dopé en 1998…

Ah ! Jalabert ! On l’aimait bien, le petit gars propre, comme le sont tous les Français d’ailleurs !

…Mais en est-on si sûr ? Ce petit article remet les pendules à l’heure et pose des questions qui ont eu des réponses depuis.

Reste le cas du petit gars Voeckler qui pose aussi question d’ailleurs, avec sa puissance à 442W, puissance jugée ‘mutante’ car bien au-dessus des 410W considérés comme sains.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 6 Juin 2013

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Antoine Vayer : « Armstrong ? Presque un petit joueur à côté du roi Miguel »
LE MONDE SPORT ET FORME | 06.06.2013 à 16h50

Propos recueillis par Stéphane Mandard

Depuis le « Tour du renouveau », décrété en 1999 après l’affaire Festina, Antoine Vayer passe au crible les performances du peloton en calculant les puissances développées par les coureurs dans les grands cols du Tour de France. Cet été encore, l’ancien préparateur de l’équipe Festina analysera pour Le Monde le relevé des « radars » posés sur le parcours de la 100e édition. Et vendredi 7 juin, il publie La Preuve par 21 (AlternatiV Edition, 148 p., 8,90 €), un hors-série qui compile pour la première fois les performances des vainqueurs du Tour depuis 1983. Un guide utile pour la prochaine Grande Boucle.

Vous avez décrypté les performances des vainqueurs du Tour de ces trente dernières années. Aucun n’échappe au soupçon ?

Un seul coureur semble avoir toujours eu des performances « humaines », Greg LeMond. Il remporte son premier Tour avec une moyenne de 381 watts en 1986, puis 408 watts en 1989, et 407 watts en 1990. Il reste dans le vert. Tous les autres vainqueurs sont « flashés » à un moment ou à un autre de leur carrière au-delà de 410 watts (ce qui représente pour nous le niveau suspect), de 430 watts (miraculeux), voire de 450 watts (mutant). Avec l’arrivée de l’EPO au début des années 1990, un coureur qui pouvait développer 400 watts pendant vingt minutes se met à en développer 440 pendant quarante minutes ! C’est le cas du Danois Bjarne Riis, surnommé « Monsieur 60 % » en raison de son hématocrite largement supérieur aux 50 % autorisés, qui, en 1993, stagne à 399 watts mais passe à 449 watts lors de son Tour victorieux en 1996, à 32 ans. LeMond, lui, restera à 410 watts après 1990 et sera lâché par des ânes devenus des pur-sang.

Lance Armstrong a été décrit par l’Agence antidopage américaine comme le sportif ayant bénéficié du « programme de dopage le plus efficace de l’histoire ». Pourtant, il n’est pas en tête de votre classement des vainqueurs du Tour les plus performants ?

Le « boss », avec sa moyenne record de 438 watts sur le Tour 2001, n’arrive en effet qu’en 6e position de notre palmarès. Il apparaît presque comme un petit joueur à côté du « roi » Miguel Indurain, cinq Tours dans son escarcelle. L’Espagnol paraît indétrônable avec ses 455 watts de moyenne dans l’édition 1 995. Bjarne Riis, Marco Pantani, Jan Ullrich et même Alberto Contador, avec 439 watts en 2009, fait mieux qu’Armstrong. L’Américain a régné sur sept Tours entre 1999 et 2005 en gérant « seulement » entre 428 et 438 watts de moyenne. Le fait que son règne a débuté après l’affaire Festina en 1998 et la mise en place du test de détection de l’EPO l’ont obligé à faire plus « attention ». Il n’a pas pu prendre de l’EPO à la louche comme ses prédécesseurs et a dû être plus précis, minutieux, réfléchi, organisé, intelligent.

A la différence d’Armstrong, Indurain n’a pourtant jamais été inquiété par des affaires de dopage…

Le « roi » Miguel a été contrôlé une fois positif, au salbutamol, en 1994. Mais il a ensuite été blanchi par une formation « disciplinaire » de la Ligue nationale de cyclisme. En fait, le médecin d’Indurain, Sabino Padilla, a été meilleur que celui d’Armstrong, Michele Ferrari. Il a fait d’un coureur de 80 kg un grimpeur ailé montant les cols plus vite que Pantani, 56 kg, dont la plupart des performances dépassent les 450 watts, sur le Tour comme le Giro. A l’instar d’Eufemiano Fuentes, quelques années plus tard, Padilla a permis à un marathonien comme Martin Fiz d’être lui aussi un roi d’Espagne.

Un autre coureur qui n’a jamais été contrôlé positif, c’est Laurent Jalabert. Vous rangez pourtant le Français, de par certaines de ses performances, dans la catégorie des coureurs « mutants » ?

Quand Armstrong a pris connaissance des déclarations de « Jaja » devant la commission d’enquête sénatoriale sur le dopage [le 15 mai], il m’a demandé si c’était bien « under oath », à savoir sous serment. « Est-ce qu’on était dopé ? Moi, je crois que non », a répondu Jalabert aux sénateurs. Mais alors comment a-t-il, de meilleur sprinteur, pu se muer en meilleur grimpeur du Tour sous la férule de Manolo Saiz, le mentor de la ONCE et du cyclisme espagnol, qui était récemment sur le banc des accusés à l’occasion du procès Puerto. Lors de la Vuelta, en 1996 et 1997, l’ex-maillot vert a monté le lagos de Covadonga, 8,5 km à 9,18 %, en moins de vingt-cinq minutes, en poussant respectivement 468 et 478 watts. Sur le Tour, nous avons même dû rebaptiser l’ascension du col de Mende « montée Jalabert », après ses 495 watts en 1995 ! Il a aussi déclaré, sous serment que son médecin de l’époque était surnommé « docteur Citroën » par opposition au docteur Ferrari d’Armstrong. Comment se fait-il alors que « Jalabert » apparaisse dans les documents saisis par un juge de Bologne au domicile de Michele Ferrari ? Pourquoi son numéro de téléphone figure dans le carnet du « Dottore » ? Et pourquoi est-il consigné dans ces fiches que son hématocrite passe de 42 % le 19 janvier 1997 à 54 % le 28 août 1997 ? Si j’avais été sénateur, je lui aurais aussi demandé pourquoi, alors qu’il était 3e au général, il s’est enfui du Tour de France en 1998 en suivant son père spirituel Manolo Saiz après l’intervention de la police. Armstrong a dit récemment qu’il serait le premier à aller tout raconter si une Commission vérité et réconciliation était mise sur pied. Laurent Jalabert devrait aussi s’y précipiter.

A travers l’analyse des performances, vous identifiez quatre ères du dopage ces trente dernières années ?

Avant 1990, on est dans l’ère pré-EPO : on flirte avec les 410 watts à base de corticoïdes et d’anabolisants. Puis on assiste à un bond à 450 watts avec l’arrivée et l’usage massif d’EPO jusqu’en 1998. Après l’introduction du test EPO, les transfusions sanguines font leur grand retour : c’est l’ère Armstrong, stabilisée aux alentours de 430 watts. Depuis 2011, on peut parler d’une nouvelle ère « mixte », où les performances sont un ton en dessous mais avec des puissances suspectes au-delà de 410 watts. La raison est simple : l’EPO et les transfusions, trop voyantes et détectables, ont fait place à des produits donnant de la « force » comme l’Aicar. On joue moins sur l’oxygénation et davantage sur la fibre du muscle. On pousse moins de watts longtemps, mais on peut contracter le muscle plus longtemps.

Vous estimez que les performances sont donc redevenues plus humaines ?

Il n’y a plus de coureurs flashés « miraculeux » à nos radars depuis 2011. Cadel Evans est dans le vert, à 406 watts de moyenne cette année-là. En 2012, Bradley Wiggins est jaune à 415 watts avec Christopher Froome et Vicenzo Nibali au-dessus de 410. Cette décroissance des performances permet à des coureurs comme Nibali, à 414 watts de moyenne, de remporter le Giro 2013 avec son équipe Astana, dirigée par Alexandre Vinokourov, un ancien « mutant ».

Aujourd’hui, la plupart des coureurs et des préparateurs utilisent le calcul des puissances pour évaluer les limites physiques. Pourquoi l’Union cycliste internationale (UCI) n’utilise-t-elle pas cette mesure comme une preuve indirecte du dopage ?

Depuis 2012, l’UCI interdit la télétransmission de ces mesures de puissance qui sont pourtant collectées par plus de la moitié du peloton du Tour. Parce que jouer la carte de la transparence serait dangereux. C’est plus commode de se cantonner à la première partie de la définition du dopage : « Pratique consistant à absorber des substances ou à utiliser des méthodes interdites », et d’évacuer la deuxième : « afin d’augmenter ses capacités physiques ou mentales : ses performances ». Or, comme l’a reconnu lui-même l’ex-patron de l’Agence mondiale antidopage, Dick Pound, déceler les produits est difficile et les contrôles restent facilement contournables. Les performances, elles, ne mentent pas.

Vous faites partie de Change Cycling Now, groupe de pression qui s’est constitué après l’affaire Armstrong. Vous demandiez avec Greg LeMond et son fondateur, Jaimie Fuller, la démission du président de l’UCI, Pat McQuaid. Comment expliquez-vous qu’il soit encore en place et prêt à briguer un nouveau mandat en septembre ?

Pat McQuaid aurait dû démissionner après l’affaire Armstrong. Greg LeMond s’était porté volontaire en décembre 2012 pour assurer un intérim. Mais un chien ne lâche pas une saucisse. J’ai rencontré McQuaid en janvier. Il m’a confié qu’il était sûr d’être réélu. Le mode d’élection qui attribue autant de voix à la France qu’à n’importe quel Etat affilié et ses voyages dans les pays lointains lui ont donné suffisamment de garanties. Développer le cyclisme en Afrique ou à Cuba rapporte plus de voix que lutter contre le dopage. Nous avions proposé à Dick Pound de le soutenir pour prendre la présidence de l’UCI mais il a décliné. Nous allons en Australie rencontrer des personnes impliquées dans la lutte antidopage. Peut-être qu’à notre retour nous aurons trouvé un candidat prêt à affronter McQuaid.

Stéphane Mandard

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