Quand on préfère casser le thermomètre

A chaque fois, c’est la même histoire : le dopage, d’après le peloton, est l’oeuvre d’une minorité et il faut arrêter de jeter l’opprobe sur des coureurs qui sont, pour la plupart intègre.

Las, cette affirmation est largement fausse.

L’espérance de vie d’un vainqueur du Tour de France était, au début du XXe siècle de 80 ans quand celui de la population était de 60. Aujourd’hui, elle est de 60 quand celui de la population est de 80. On le voit donc aujourd’hui : le dopage, dans ce sport, est et a été institutionnalisé. Le tour du renouveau de 1999, celui qui a eu lieu après l’affaire Festina, a vu la montée en puissance de Lance Armstrong, considéré comme le plus grand tricheur de tous les temps.

Bon nombre d’équipes sont dirigées par d’anciens dopés. Bernard Hinault est-il si propre qu’il le dit ? En tout cas, Jalabert et Voeckler le sont indéniablement.

Il faut donc continuer à parler et à parler sans cesse du dopage car le silence n’a jamais résolu les choses. La parole dérange et elle est là pour cela. Raison de plus pour en parler.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 02 Juillet 2013

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Le peloton du Tour 2013 veut échapper à son passé
Coureurs et manageurs craignent les révélations du rapport sur le dopage que doit publier le Sénat, le 18 juillet
Ajaccio (Corse-du-Sud) Envoyés spéciaux

Qu’on nous fiche la paix avec ces vieilles histoires. Les temps de 1998 sont révolus.  » Au nom de l’Association internationale des coureurs (CPA), le Français Jérôme Pineau a exprimé l’exaspération du peloton en cette entame de 100e édition du Tour de France. Avant même de s’élancer, samedi 29 mai, sur les routes de Corse, les 198 participants ont affiché une parfaite unité à la suite de l’entretien exclusif de Lance Armstrong au Monde.  » Le Tour ? Impossible de gagner sans dopage « , avait estimé l’Américain évoquant les années noires (1999-2005) de son règne.

A Porto-Vecchio, la CPA avait délégué cinq émissaires pour traduire son  » ras-le-bol  » à Valérie Fourneyron, la ministre des sports :  » Si la culture du dopage avait lieu dans les années 1990, depuis quinze ans notre sport combat seul ce fléau du dopage. « 

Les coureurs ont demandé à la ministre de convaincre la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage de ne pas  » dévoiler  » le 18 juillet, comme elle l’a annoncée, les patronymes correspondant aux 44 échantillons d’urine positifs à l’érythropoïétine (EPO) lors du Tour 1998.

Le peloton veut préserver du scandale l’étape charnière de la double ascension de l’Alpe-d’Huez, acmé de cette édition 2013.  » Le 18 juillet, ce sera encore le Tour et ça occultera le cyclisme actuel pour un cyclisme révolu, de retraités « , estime le coureur Jérémy Roy. Invitant les parlementaires à  » réfléchir  » à leur calendrier, Valérie Fourneyron a semblé aller dans son sens.  » Qu’on nous laisse tranquilles « , a riposté Jean-Jacques Lozach, sénateur PS et rapporteur de la commission, tout en défendant son  » calendrier propre, indépendant des événements sportifs, nationaux ou internationaux « .

Laurent Jalabert est le premier coureur du Tour 1998, celui de l’affaire Festina, à avoir appris, le 24 juin, que son nom figurait sur la  » liste  » que la commission doit publier le 18 juillet en annexe de son rapport. Eventée par Lequipe.fr, l’information a contraint le consultant de France Télévisions et de RTL à renoncer à commenter le Tour cette année. Il n’a donc pas pu croiser les deux vétérans du peloton, l’Allemand Jens Voigt (41 ans), qui faisait partie de la délégation qui a rencontré Valérie Fourneyron, et l’Australien Stuart O’Grady (39 ans), respectivement seize et dix-sept Tours au compteur, qui étaient déjà de l’édition 1998.

Assis cette année à l’intérieur des véhicules des équipes, une dizaine de directeurs sportifs engagés sur le Tour pédalaient également au sein du peloton il y a quinze ans. Parmi eux, le vainqueur du Tour 1996 Bjarne Riis (Saxo-Bank), Viatcheslav Ekimov et Erik Zabel (Katusha), Servais Knaven (Sky), Neil Stephens (Orica Green Edge) et Didier Rous (Cofidis), deux anciens pensionnaires de Festina, le Hollandais Jeroen Bliklevens (Belkin), exclu du Tour 1998 avec la formation TVM, ou encore le Français Stéphane Heulot (Sojasun).  » Ceux qui couraient dans les années 1990 sont ceux qui managent les équipes actuellement, résume un fin observateur du Tour. Certains qui étaient présents sur le Tour 1998 ont de quoi s’inquiéter. « 

Remplaçant de Laurent Jalabert au micro de France Télévisions, Cédric Vasseur faisait à l’époque également partie du peloton. Respectivement président et vice-président de l’Union nationale des cyclistes professionnels (UNCP), Pascal Chanteur et Christophe Agnolutto ont aussi participé à la Grande Boucle 1998. Ils ont milité auprès des coureurs pour qu’ils interpellent Valérie Fourneyron.

 » 95 % du peloton était chargé à l’EPO cette année-là, témoigne Christophe Bassons, forcé de quitter le peloton en 1999 à cause de ses prises de position courageuses contre le dopage. Quand on voit la liste de directeurs sportifs du Tour 2013, comment peut-on faire changer les choses ? La plupart n’ont pas leur place ici. On doit faire le ménage. Ils n’assument même pas leur passé.  » De fait, près d’un tiers des manageurs engagés lors de cette 100e édition ont eu maille à partir avec le dopage. Entre aveux tardifs, contrôles avérés et enquêtes judiciaires, plusieurs patronymes sont à rattacher à cette liste non exhaustive : Alvaro et Igor Gonzalez de Galdeano (Euskaltel), Alberto Volpi (Cannondale), Rudi Kemna (Argos), Neil Stephens (Orica), Viatcheslav Ekimov et Erik Zabel (Katusha), Marc Sergeant (Lotto), Patrick Lefevere (Omega), Jonathan Vaughters (Garmin) ou encore les Français Marc Madiot (Fdj.fr) et Jean-René Bernaudeau (Europcar).

Le Danois Bjarn Riis a reconnu s’être dopé à l’EPO en 2007 et Kim Andersen (Radioshack) a été contrôlé positif à sept reprises durant sa carrière. Mais dans ce sombre tableau, c’est la formation kazakhe Astana qui se distingue. Dirigée par quatre anciens coureurs convaincus de dopage, elle est incarnée par son manageur Alexandre Vinokourov, positif pour transfusion sanguine et exclu du Tour 2007.

 » Comment peut-on dire que Cadel Evans est pur comme de l’eau de roche quand il a comme directeur sportif John Lelangue, ex-patron de Phonak, l’équipe de Floyd Landis, déchu de son titre sur le Tour 2006 pour dopage ? « , s’interroge Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour et spécialiste reconnu du dopage.

Lauréat en 2011, l’Australien porte les couleurs de l’équipe BMC, dirigée par Jim Ochowicz, celui qui a lancé la carrière de Lance Armstrong avec l’équipe Motorola et Yvon Ledanois, ex-coureur poursuivi dans l’affaire Bernard Sainz dit  » Docteur Mabuse « . Favorite du Tour, l’équipe anglaise Sky a, elle, dû congédier, à l’automne 2012, trois de ses directeurs sportifs qui avaient admis s’être dopés. L’un deux, Bobby Julich, s’était hissé à la 3e place du Tour 1998 et officie désormais au sein de l’encadrement de la formation… BMC.

En juillet 2011, l’Union cycliste internationale (UCI) a introduit un règlement visant à empêcher tout ex-coureur condamné à une suspension supérieure ou égale à deux ans d’incorporer l’encadrement d’une équipe. Nullement rétroactive, cette disposition s’applique aux sportifs ayant  » fauté  » après sa mise en place.  » Il n’y a pas de double peine, on n’est pas là pour couper des têtes « , considère Vincent Lavenu, manageur d’AG2R, invité à commenter la présence de ses homologues controversés Bjarne Riis ou Alexandre Vinokourov.  » On ne leur interdit pas réglementairement d’être là, soupire Stéphane Heulot. Ils ont la capacité d’avoir les meilleurs coureurs et font vendre du papier. Je me pose quand même des questions.  »  » Même si certaines choses ont évolué depuis quinze ans dans le cyclisme, il reste du ménage à faire au niveau de l’encadrement des équipes « , confirme un connaisseur avisé du Tour.

 » Les sénateurs ne doivent surtout pas céder, estime Jean-Pierre de Mondenard. Les coureurs se serrent les coudes. Ils ont peur que tout tombe. Pour avancer, la commission d’enquête ne doit pas épargner le passé. Anquetil, lui, avait avoué. Poulidor devrait faire la même chose. Et Hinault doit dire à quoi il carburait.  » ujourd’hui, Hinault – quintuple et dernier vainqueur du Tour – joue au censeur. On rêve ! Le 18 juillet, ce sera le jour de la finale du Tour, là où tout se joue. C’est à ce moment qu’il y aura le plus de téléspectateurs. A vouloir trop protéger, on n’avance pas. Je pense que si l’info Jalabert est sortie avant le Tour, c’est qu’on ne voulait pas que cela explose pendant. « 

Pour Christophe Bassons, correspondant en Aquitaine de l’Agence française de lutte contre le dopage, le  » corporatisme  » du peloton s’explique par  » l’égoïsme des coureurs « .  » Ils n’en ont rien à foutre de sauver le vélo et de savoir si, dans vingt ans, leurs gamins évolueront dans un cyclisme plus propre. Ils ne veulent pas mettre en péril leur carrière et préfèrent conserver leurs sponsors, développe l’ancien coureur qui a sacrifié sa carrière à la lutte antidopage. Les coureurs disent que tout a changé depuis quinze ans mais ils sont dans le même sac que leurs aînés. « 

 » « Celui qui ne se dope pas est un pauvre type voué par avance à la défaite », disait en 1965 Félix Lévitan, le patron du Tour, rappelle Jean-Pierre de Mondenard. En 1956, on parlait déjà du « Tour de la cure de désintoxication ». Puis on a parlé du « Tour du renouveau » après Festina, puis de celui de « la rédemption ». On invente toujours des mots C’est du vent. Les mêmes sont toujours aux mêmes fonctions. Rien n’a changé depuis cinquante ans. « 

Rémi Dupré et Henri Seckel


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