Il faut agir contre le cumul des mandats

L’Assemblée nationale se met à travailler à la limitation des cumuls des mandats et c’est une très bonne chose. On ne peut travailler sur des dossiers essentiels quand on est à mi-temps, c’est une simple question de logique. Pourtant, la logique n’a pas l’air d’être assimilée par tout le monde.

L’intérêt général doit primer et il est évident que le cumul va à son encontre, car, comme le dit l’article, les Lois n’arrivent pas à être élaborées correctement quand le député n’y consacre que 2.5 jours par semaine, mais avec un salaire pleinement reçu lui…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 3 Juillet 2013

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ANALYSE
La maladie française du cumul des mandats
L’Assemblée examine le texte interdisant aux parlementaires d’exercer des fonctions exécutives locales

Cumul des mandats, acte III. S’attaquer à cette spécificité française gravée dans le marbre des institutions, bousculer cette tradition qui imprègne les moeurs politiques du pays réclame, en effet, une patiente volonté. En discussion à l’Assemblée nationale à partir de mercredi 3 juillet, la loi organique, qui vise à interdire strictement le cumul des mandats, constitue la troisième tentative de remédier à cette maladie française. Avec une mise en oeuvre d’ores et déjà repoussée à 2017.

Les deux limitations précédentes sous la gauche Jusqu’en 1985, il n’existait aucune limite au cumul des mandats et des fonctions. Le gouvernement de Laurent Fabius, en cohérence avec la mise en oeuvre des lois de décentralisation, impose une première série de restrictions, mettant ainsi fin aux cumuls les plus notoires.

Treize ans plus tard, la gauche au pouvoir, sous le gouvernement de Lionel Jospin, tente de limiter plus strictement les cumuls. Il se heurte à une vive résistance de la majorité sénatoriale de droite et, à l’arrivée, la loi du 5 avril 2000 est sérieusement revue à la baisse. Les députés et les sénateurs peuvent continuer à exercer une fonction exécutive locale, la limitation ne concerne pas le mandat exercé dans une commune de moins de 3 500 habitants, les fonctions exercées dans une intercommunalité n’entrant pas non plus dans ce champ.

A peine 19 % de députés non cumulant Telle est la situation actuelle. Paradoxalement, les deux lois précédentes, si elles ont permis de limiter le nombre de mandats exercés par un parlementaire, n’ont pas fait baisser le nombre de députés et sénateurs cumulant plusieurs mandats. A peine un cinquième des parlementaires sont titulaires de ce seul mandat : soit 109 députés sur 577 (19 %) et 84 sénateurs sur 348 (24 %). Nulle part ailleurs, le cumul de mandats atteint un si haut niveau, quand il n’est pas purement et simplement interdit, comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

L’accumulation de capital politique Le scrutin majoritaire favorise la logique du cumul : la notoriété que procure l’exercice d’un mandat constitue une sorte de prime de départ au candidat. Considérant que le cumul constituait un atout électoral, le constitutionnaliste Guy Carcassonne, récemment décédé, farouche adversaire du cumul, jugeait celui-ci  » politiquement obligatoire tant qu’il n’est pas juridiquement interdit « . Le  » père  » de la Constitution de la Ve République, Michel Debré, lui-même, n’estimait-il pas que,  » dans la politique française, le cumul des mandats est la règle, c’est pour un parlementaire une infériorité presque insupportable que de ne pas être en même temps chargé d’un mandat local, telle est la vraie loi  » ?

Un facteur d’inégalités Les partis eux-mêmes, qui délivrent les investitures, contribuent à alimenter cette autoreproduction des élus. Or le cumul est à la fois source d’inégalités et de conflits d’intérêts. Source d’inégalités, pas seulement en terme de cumul des indemnités, qui sont plafonnées depuis la loi de 1992 : le député détenant des fonctions électives locales ne peut percevoir, en sus de son indemnité parlementaire de base (5514 euros), plus de la moitié de celle-ci, soit 2 757 euros par mois. Cet écrêtement ne concerne pas, toutefois, les fonctions exercées dans une intercommunalité ou un syndicat mixte.

Entre un parlementaire ne disposant que de ce seul mandat et ne pouvant donc s’appuyer que sur les moyens mis à sa disposition – dont le crédit lui permettant de s’entourer, en principe, de trois collaborateurs – et le parlementaire régnant à la tête d’un exécutif local, avec toute l’infrastructure dont il dispose, les conditions de travail ne sont pas équivalentes.

Le problème des conflits d’intérêts La présence en nombre d’élus cumulant des fonctions locales donne lieu à un véritable  » lobbying législatif « . Certains y voient le bienfait d’un  » ancrage local « . En réalité, ce foisonnement de  » doubles casquettes  » pèse lourdement sur l’élaboration de la loi, à la merci des luttes d’influence, quand ce n’est pas, tout simplement, de la défense d’intérêts locaux. L’histoire des lois de décentralisation est là pour en témoigner.

L’impact sur la qualité du travail parlementaire Enfin, la stricte limitation du cumul est une condition de la revalorisation du travail parlementaire. Impossible de se consacrer pleinement à ses missions d’élaboration de la loi et de contrôle de son application en n’y passant que deux jours et demi par semaine, en moyenne, ce que l’institution parlementaire a intégré dans son rythme de fonctionnement. Ou plutôt de dysfonctionnement quand on voit l’engorgement de l’activité parlementaire. Si la loi organique s’applique dans toute sa rigueur à l’issue des différentes  » navettes  » parlementaires – ce qui est loin d’être acquis -, pas moins de 328 députés et 208 sénateurs seraient concernés par l’abandon d’une de leurs fonctions électives. C’est dire si cet acte III de la limitation des cumuls modifiera en profondeur le système politique.

Patrick Roger


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