Une éviction honteuse

Une ministre a été limogée à cause de ces convictions, c’est déjà une honte pour un gouvernement très ouvertement immobiliste. De plus, elle a été limogée alors même qu’elle avait raison ! Une honte encore plus grande ! En effet, l’écologie devait être au coeur de l’action gouvernementale car elle devait être à la base du retour à l’emploi de nos jeunes et de la compétitivité de la France ! Les emplois d’avenir devaient prendre leurs ressources dans de nouveaux débouchés, dont les normes de constructions dans des normes écologiques.

En baissant, de manière drastique, le budget de l’écologie, il est évident que l’on limite nos actions en la matière, ce que Mme Batho a dit, et qui a causé sa perte.

J’aurais aimé que notre Président et son Premier Ministre fassent preuve de leur autorité face à la lutte contre le chômage plutôt qu’envers une de ses ministres. Seuls les faibles savent se montrer fort par rapport à plus faibles qu’eux. L’intérêt général n’en sort pas grandi.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 04 Juillet 2013

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Les coulisses de l’éviction de Mme Batho
La ministre de l’écologie a été sanctionnée par le président pour son inexpérience et son insubordination Pour affronter la ligne Hollande et défendre la cause de l’écologie, elle convoque une conférence de presse

Où passe la frontière, dans le gouvernement, entre une grogne admissible et un affront impardonnable ? Pourquoi tel ministre turbulent n’est-il passible que de recadrage quand tel autre s’expose au limogeage ? Ces questions restaient sans réponse depuis un an. Après l’éviction de Delphine Batho du ministère de l’écologie, mardi 2 juillet, l’on y voit plus clair : tout dépend de l’identité du frondeur et du motif de l’indocilité.

François Hollande avait prévenu.  » Je l’ai dit aux ministres : vous ne pouvez pas, quand les temps sont durs pour les Français, commettre la moindre erreur. Je le répète comme un avertissement « , avait-il dit sur France 2 le 28 mars.  » Aucun ministre ne peut remettre en cause la politique qui est conduite « , avait-il assuré le 10 avril.  » Au-delà des personnes et au-delà du nombre, ce qui m’importe, c’est la ligne. Il ne doit y avoir qu’une seule ligne. Tous les ministres sont liés les uns aux autres par un pacte qui va de soi : faire réussir la politique que j’ai décidée pour le pays « , avait-il une nouvelle fois précisé, le 16 mai, lors de sa conférence de presse à l’Elysée.

La menace, donc, était dans l’air. Restait à savoir quand, sur qui et pourquoi la foudre présidentielle allait s’abattre. Depuis le printemps, les occasions n’ont pas manqué. Il y eut les sorties groupées de Cécile Duflot, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg contre la coupable dérive du gouvernement vers l' » austérité « .

Il y eut, début mai, la énième bisbille entre Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici, les deux hommes forts de Bercy, qui cette fois trouvèrent à s’affronter sur l’avenir du site de partage de vidéo Dailymotion. Il y eut, enfin, le 28 juin, la charge de Nicole Bricq contre José Manuel Barroso, accusé de n’avoir  » rien fait de son mandat « . Prononcée au moment même où François Hollande, en plein conseil européen à Bruxelles, jouait l’apaisement vis-à-vis du président de la Commission, la sentence de la ministre du commerce extérieur pouvait passer pour un acte d’insubordination caractérisée. François Hollande ne fut pas de cet avis. Aucun de ces ministres, jugea-t-il, ne méritait la porte. Ce n’était là que  » couacs « , regrettables peut-être, mais l’on n’en était pas encore, à ses yeux, au casus belli.

Delphine Batho, elle, n’aura pas bénéficié de cette indulgence. Quand bien même l’Elysée et Matignon assurent le contraire, l’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle a payé pour ce qu’elle est autant que pour ce qu’elle a dit. Ce n’est un secret pour personne : Delphine Batho n’avait pas que des amis au gouvernement, où nombre de ses collègues supportaient de moins en moins son air altier, et où elle avait la réputation de tyranniser les membres de son cabinet. Au Parti socialiste, elle n’a jamais eu de troupes derrière elle, et elle est encore plus seule depuis que la guerre est déclarée avec Ségolène Royal, qui lui avait légué en 2007 sa circonscription des Deux-Sèvres.

Ne sachant pas se faire aimer des siens et de plus en plus isolée dans son propre parti, Delphine Batho avait tout de la cible facile. En la débarquant, François Hollande et Jean-Marc Ayrault font coup double : ils montrent – enfin – qu’ils ont de l’autorité sur leur équipe, mais le font en mesurant le risque. Avec Arnaud Montebourg, Benoît Hamon ou Cécile Duflot, c’était plus compliqué. Le premier peut se prévaloir des 17 % qu’il a obtenus à la primaire socialiste d’octobre 2011 ; le deuxième des 18,5 % de la motion qu’il avait défendue au congrès du PS à Reims en novembre 2008 ; la troisième de ses six années passées à la tête des Verts. La révélation de la primaire, l’ex-leader de l’aile gauche du PS et l’ancienne dirigeante du deuxième parti de la majorité étaient beaucoup plus difficiles à évincer qu’une franc-tireuse.

A s’être crue davantage que ce qu’elle est, Delphine Batho a pris un risque politique considérable. Mais l’orgueil n’explique pas tout dans cette affaire. Si l’ancienne ministre a été limogée, c’est aussi, et peut-être avant tout, parce qu’elle s’en est prise à ce qui constitue le coeur du contrat de confiance gouvernemental : le budget.

Là aussi le chef de l’Etat et son premier ministre avaient prévenu. A l’automne 2012, quand certains parlementaires de la majorité, chez les écologistes et à la gauche du PS, faisaient entendre leurs désaccords sur certains choix du gouvernement, la loi d’airain de la Ve République leur fut rappelée : s’il y a une ligne rouge à ne pas franchir, c’est bien celle du budget. Ceux qui le votent sont dans la majorité, ceux qui ne le votent pas n’en font pas partie. Ce qui est vrai pour les parlementaires l’est encore plus pour les ministres. Pour l’avoir oublié, ou avoir feint de le faire, Delphine Batho a payé.

Qu’aux yeux de François Hollande et Jean-Marc Ayrault, cette sanction soit un rappel à l’ordre, cela va de soi. Mais c’est surtout un avertissement, à l’orée d’une période politiquement cruciale. Dans l’agenda politique, le début de l’été marque l’orée de la grande saison budgétaire.

Après sa lettre de cadrage du 8 mars, Matignon a signé, le 25 juin, les lettres plafonds fixant, pour chaque ministère, l’évolution des crédits et des emplois pour 2014. La baisse, si elle est obtenue, serait inédite. L’économie de 1,5 milliard d’euros, demandée pour moitié à l’Etat et à ses opérateurs et pour l’autre moitié aux collectivités territoriales, est inédite.

Or la douche froide ne fait que commencer : les prochaines semaines, qui seront dominées par les arbitrages sur le volet  » recettes  » du budget 2014, seront tumultueuses ; la rentrée, avec la présentation du projet de loi de finances en conseil des ministres en septembre puis son examen au Parlement durant tout l’automne, sera houleuse. Si l’on ajoute à cela l’hostilité que ne manquera pas de provoquer la réforme des retraites quand les intentions précises du gouvernement seront enfin connues, en septembre, l’on comprend que l’exécutif soit soucieux de serrer la vis. Mieux vaut souder les rangs avant que pendant la bataille : en bons stratèges politiques, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont rappelé cette évidence, et avec d’autant plus de force qu’il y avait urgence.

Voilà plusieurs semaines que des signes avant-coureurs d’une fronde de plus grande ampleur se multiplient. En mai, le fait qu’une quarantaine de députés de la majorité ne votent pas pour le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi sonnait déjà comme un avertissement pour le gouvernement. Mardi, l’appel commun lancé par quatre  » sensibilités  » du PS pour la  » mise en oeuvre d’une grande réforme fiscale « , condition à leurs yeux de la  » réussite de l’acte II du quinquennat Hollande  » montre que l’impatience gronde au sein de la majorité. Le fait que ces quatre sensibilités pèsent environ un tiers du groupe PS à l’Assemblée nationale et qu’elles correspondent peu ou prou au socle politique sur lequel s’est appuyée Martine Aubry face à François Hollande lors de la primaire de 2011, n’est pas anodin.

En limogeant Delphine Batho, l’exécutif espère que l’ordre régnera désormais dans les troupes et que sa ligne, douloureuse, ne sera plus contestée. Mais en la  » fusillant pour l’exemple « , il prend aussi un risque : que Mme Batho ne devienne une victime, le symbole d’un sacrifice sur l’autel du réalisme. Son éviction est censée mettre tout le monde au garde-à-vous. François Hollande n’espère qu’une chose : qu’elle n’augmentera pas les velléités de mutinerie.

Thomas Wieder

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