Peut-on se payer le luxe de soutenir les sciences humaines ?

Petit rappel : notre pays compte près de 3 millions de chômeurs. Ainsi, la question peut se poser crument : peut-on encore se payer le luxe de soutenir les sciences humaines ? Non ! En priorité, il faut s’attacher à offrir une formation qui soit en phase avec les besoins du marché. Si une matière n’est pas demandée par le marché, ou pas suffisamment, il ne faut pas s’appesentir plus avant : il faut purement et simplement la supprimer.

Par la suite, si le besoin se fait ressentir d’avoir de telles compétences, la formation devra être apportée par la filière continue, non la filière initiale.

La priorité doit être donnée à l’emploi, non à l’idéologie donnée à telle ou telle formation. Il faut être pragmatique, car c’est comme cela que l’on conduit un pays.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 16 Mai 2013

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Le gouvernement prépare un plan de soutien pour les sciences humaines
Certaines disciplines, notamment les langues rares, sont en train de disparaître

En France, les sciences humaines et sociales (SHS) sont souvent stigmatisées sur le plan de la recherche, par opposition aux sciences dures (physique, mathématiques), mais aussi au prétexte qu’elles ne produiraient que des chômeurs.  » On ne s’est pas assez occupé des sciences humaines et sociales « , reconnaît Geneviève Fioraso. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche devait annoncer lors du premier Salon Innovation SHS, jeudi 16 et vendredi 17 mai, qui entend valoriser la recherche dans ces domaines, un plan global de soutien et de repositionnement des SHS.

L’un des volets de ce plan concernera l’insertion professionnelle.  » Le problème n’est pas tant de trouver un emploi. Il est plutôt sur l’adéquation entre le diplôme obtenu et le travail occupé « , souligne la ministre. En cause, les filières qui ne préparent qu’à un seul métier dominant, par exemple l’histoire, qui conduit au métier de l’enseignement. Pourtant seuls 11 % des étudiants s’orientent vers ce métier. Résultat : c’est la filière qui a la plus faible qualité d’insertion. Le taux de contrat à durée déterminée est de 42 % et seulement 50 % ont un statut cadre. Chez les étudiants en langues, lettres et arts, ce taux tombe à 42 %.

La psychologie n’a pas non plus très bonne réputation en matière d’insertion. Si les étudiants de la filière trouvent un emploi à plus de 90 %, ils sont moins de 10 % à être psychologues professionnels. Cela signifie que, pour la plupart, leur insertion n’a pas été prise en considération dans leur formation, et encore moins préparée. Une consolation : ils sont peu touchés par la déqualification (82 % ont un niveau cadre), mais le pourcentage de contrats à durée indéterminée n’est pas bon (51 %). Toutes ces filières devront nécessairement restructurer leur formation.

L’autre volet concerne les disciplines rares. La rareté étant fonction du faible nombre de spécialistes comme en anthropologie où l’on compte 200 enseignants chercheurs pour 3 700 étudiants, ou encore l’urbanisme (255 pour 4 700) ; mais aussi compte tenu du faible nombre d’étudiants. C’est le cas de la littérature et des langues anciennes : 1 520 étudiants pour 348 enseignants chercheurs.

Dans certaines disciplines, comme les langues rares, on ne compte parfois qu’un spécialiste habilité à diriger de la recherche, par exemple en ukrainien. Et quand le coréen explose, le vietnamien s’effondre.  » Quelle que soit la discipline, il faut une masse critique pour assurer un encadrement, avoir du temps pour la recherche et des étudiants qui s’engagent dans un troisième cycle – doctorat – pour nourrir la discipline et assurer la relève « , indique Manuel Tunon de Lara, président de l’université Bordeaux Segalen.

Au ministère, on estime qu’en deçà de 400 enseignants chercheurs, il y a menace. Douze disciplines rares ont déjà été recensées : de la théologie à l’histoire du droit en passant par les sciences politiques, la philosophie et les langues.

Des filières entières sont en train de disparaître. Les langues slaves, germaniques, scandinaves, romanes ou orientales sont, dans de nombreux établissements, sur la sellette. Sans parler du grec et du latin.

Pour éviter de supprimer sa licence de lettres classiques, l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne a dû, il y a trois ans, se rapprocher de Lyon II et Lyon III qui connaissaient aussi une baisse du nombre d’étudiants.  » Les bonnes années, ils étaient une petite dizaine en première année de licence de lettres classiques. Mais parfois leur nombre tombait à cinq ou six. Cela devenait intenable, se souvient Khaled Bouabdallah. Evidemment, si on avait suivi les conseils d’un cost killer – spécialiste de la réduction des coûts – , on aurait fermé. « 

Les trois universités ont décidé de lancer une licence commune, et se partagent les dépenses. Dès la première année, la promotion a atteint une trentaine d’étudiants. Les étudiants inscrits en lettres classiques suivent les cours de grec et de latin à l’université de Lyon II ou Lyon III. Pour le reste, ils sont à Saint-Etienne et sont regroupés avec les étudiants de lettres modernes. Evidemment, au début, étudiants et enseignants ont un peu râlé. Et des questions sont toujours en suspens, comme la prise en charge des trajets des étudiants.

Dans un contexte budgétaire tendu, les universités ne pourront pas s’offrir le luxe de garder toutes les formations. Une cartographie des disciplines rares université par université est en cours. Elle devrait déboucher ensuite sur deux types de mesures : un observatoire pour réguler les recrutements, et des moyens spécifiques pour aider les universités à fonctionner en réseau lorsque le vivier des professeurs est trop faible. Mais également un fonds de consolidation national pour accompagner la refonte des projets pédagogiques et le maintien des équipes en place lorsque les étudiants ne sont pas assez nombreux.

Nathalie Brafman

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