Le nucléaire est-il pire que le charbon ?

Le nucléaire est accusé de tous les maux. C’est vrai que ce n’est pas la situation de Fukushima qui va redorer son blason : le nucléaire est une filière qui respecte assez bien la planète en ce qui concerne les rejets de CO2 et son impact climatique par l’effet de serre. Par contre, le nucléaire, en tout cas celui basé sur l’Uranium, est particulièrement dangereux et néfaste.

A-t-on le choix ? En matière énergétique, deux composantes sont mures techniquement et économiquement parlant : le nucléaire et le charbon.

Si on réduit le nucléaire, il faut compenser par le charbon et vice-versa.

En Allemagne, on a réduit la part du nucléaire. Résultat, avec une taxe carbone au plus bas, on assiste à une relance généralisée de la filière charbon, et, avec elle, des catastrophes écologiques graves par des fermetures de villages entiers pour relancer l’exploitation de charbon.

Il faut donc continuer à réfléchir et ne pas s’orienter vers des solutions qui seraient pires que le mal. On sait que les exploitants de la filière nucléaire n’ont pas été parfaits, et loin s’en faut, au Japon. Mais ce n’est pas une raison pour jeter bébé avec l’eau du bain et se rapprocher du filière très polluante comme l’est le charbon.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 24 Août 2013

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REPORTAGE
Les effets pervers des choix énergétiques allemands

Des villages vont être rasés pour laisser place à de nouvelles mines de charbon, un combustible très polluant

C’est un des effets pervers de la transition énergétique allemande. L’arrêt progressif des centrales nucléaires, associé à la faiblesse actuelle des prix sur le marché des émissions de CO2, a conduit à un renouveau inattendu de l’énergie la plus polluante qui soit : le charbon.

Présent en grande quantité dans le sous-sol allemand, il permet aux grands électriciens du pays de produire de l’électricité à moindre coût. Mais son extraction, dans des mines à ciel ouvert, a des conséquences radicales sur l’environnement. Des dizaines de villages doivent être rayés de la carte.

C’est le cas d’Immerath (Rhénanie-du-Nord-Whestphalie), un village rural planté entre Düsseldorf et la frontière néerlandaise. Dans les rues silencieuses, les boîtes aux lettres ont été bâillonnées. A l’école fermée, les fenêtres arborent de vieux dessins d’enfants décolorés, qui sourient aux passants venus en pèlerinage. Parce que son sous-sol regorge de lignite, une variété de charbon au pouvoir calorifique faible – il contient un grand pourcentage d’eau -, Immerath est condamné, comme les villages voisins. Au plus tard en 2017, les bulldozers raseront le pays. Leur succéderont les excavatrices géantes de la mine de Garzweiler, exploitée par le groupe électricien RWE pour alimenter ses centrales thermiques.

 » J’ai encore du mal à y croire « , soupire Marlies Bereit, présidente de l’association chargée de la paroisse du village. Jeudi 15 août, cinq bénévoles se sont rassemblés pour évoquer trente ans de lutte avec les bourgs alentour contre l’avancée des excavatrices. Les yeux humides, Marlies présente les richesses de l’église de style néoromantique condamnée : le maître-autel richement décoré, les vitraux, le tympan sculpté. Une église si grande qu’elle est surnommée dans la région la  » cathédrale d’Immerath « .

Inaugurée en 1891, l’église est classée monument historique. Un statut inopérant contre la loi générale des mines de 1937, toujours en vigueur. A l’époque, le parti nazi au pouvoir avait fait de l’indépendance énergétique une priorité nationale. Près de quatre-vingts ans plus tard, l’exploitation du charbon prime toujours sur le droit à la propriété et au respect du domicile, sur la protection du patrimoine et de l’environnement.

Car l’Allemagne, malgré l’essor des énergies renouvelables, est encore largement dépendante du minerai noir dans sa production d’énergie : 45 % de l’électricité allemande est toujours issue du charbon, dont 26 % avec le seul lignite. En 2012, la production des centrales à lignite a augmenté de 4 %, à 150 milliards de kilowattheures. Dans le même temps, les émissions allemandes de CO2 ont, elles, progressé de 2 %.

L’effondrement des prix sur le marché du carbone – que les industriels sont obligés d’acheter pour compenser leurs émissions polluantes – a rendu la production d’électricité à partir de centrales à charbon particulièrement rentable. RWE, premier électricien allemand, profite à plein de l’aubaine : 50 % de son électricité produite en 2012 provenaient de ses centrales à charbon, en nette hausse par rapport à l’année précédente.

Aux accusations de pollueur, RWE rétorque n’avoir guère le choix. La décision politique, en 2011, d’arrêter les réacteurs nucléaires les plus anciens du pays a privé le groupe d’un outil de production très rentable. Comme ses concurrents E.ON, Vattenfall et EnBW, RWE a dû revoir en urgence son modèle économique. Les trois centrales à charbon qui fument autour d’Immerath tournent actuellement à plein régime.

A quelques kilomètres du village fantôme, la gigantesque tranchée minière de Garzweiler fend la campagne. Du point de vue aménagé par RWE, on peut admirer le paysage lunaire, qui s’étend sur 66 km2. Au fond, sept excavatrices géantes creusent la terre à un rythme 350 000 mètres cubes par jour. Garzweiler II, l’extension de la mine démarrée en 2006, recèle 1,3 milliard de tonnes de minerai.  » Une réserve d’énergie pour trente ans « , vantent les panneaux d’information.

 » L’âme du village disparaît « 

Une énergie trop peu efficace au regard des dégâts sur l’environnement, a jugé l’institut économique de Berlin DIW en avril 2013. Les centrales à charbon, non flexibles, sont inadaptées pour jouer le rôle de relais de la production fluctuante des énergies renouvelables. La combustion du lignite dégage du dioxyde de carbone et des particules fines, du dioxyde de soufre ou de l’oxyde d’azote.

Le plan d’élargissement de la mine de Garzweiler II court jusqu’en 2045. Les douze villages placés sur la zone d’exploitation seront rasés, 7 600 habitants seront relogés. En 2045, le trou laissé par les excavatrices sera replanté ou transformé en lac.

A Neu-Immerath,  » Immerath-le-neuf « , les paroissiens devront se contenter d’une chapelle. Les rues portent le même nom qu’à Immerath l’ancien, mais le tout ressemble davantage à un lotissement de banlieue qu’à un village de campagne. Seuls 55 % des habitants expropriés ont, pour l’instant, choisi de s’y installer.  » La vie de voisinage est brisée, c’est l’âme du village qui disparaît « , résume Günter Salentin, l’ancien curé de la paroisse.

Les Geiser, les derniers agriculteurs d’Immerath, se demandent combien ils obtiendront pour leurs terres et leur belle ferme en briques.  » La terre, ici, est excellente. Nous y cultivons des pommes de terre depuis des générations. Nous avons peu d’espoir de retrouver l’équivalent ailleurs « , explique Mme Geiser, entourée de sa mère et de sa fille. Elles ont remarqué des changements dans l’écosystème avec l’avancée de la mine : les bêtes sauvages ont perdu leurs refuges habituels, la flore est perturbée par l’assèchement des nappes phréatiques.  » C’est une expulsion, pure et simple « , tranche la fermière.

Dirk Jansen, directeur de la section locale de l’association écologiste BUND, garde un espoir de freiner les excavatrices. Avec un habitant d’Immerath, il a déposé une plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe (Bade-Wurtemberg), jugée recevable.

Une audience a eu lieu en juin.  » L’intérêt que porte la Cour à ce problème est encourageant. Si les juges décidaient que la loi de 1937 n’était pas indispensable pour la politique énergétique du pays, cela pourrait bouleverser les pratiques minières « , veut croire le militant écologiste. Le jugement est attendu dans les prochains mois. Trop tard, en tout cas, pour Immerath et sa  » cathédrale « .

Cécile Boutelet


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