Une décision qui pose question

C’est une grande première : c’est la première fois qu’une oeuvre scientifique est désavouée pour le caractère non-conclusif des travaux. Historiquement, comme on le dit dans l’article, on ne pouvait retirer un article que sous prétexte de  » manquement éthique « , de  » plagiat « , de  » publication préalable  » ou de  » conclusions non fiables pour cause, soit de fraude, soit d’erreurs de bonne foi (erreur de calcul, erreur expérimentale) « .

On a donc eu une première dans ce dossier. C’est dommage car ces travaux ont permis, même non-conclusifs, ont eu le mérite de faire évoluer les méthodes scientifiques. On aurait donc pu prêter une bonne foi à ces travaux et laisser ces conclusions dans la littérature.

C’est dommage.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 30 Novembre 2013

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OGM : l’étude polémique du professeur Séralini désavouée
Les travaux du biologiste sur le maïs NK 603 ont été retirés de la littérature scientifique

S’agit-il, comme il le prétend, du résultat de pressions exercées par Monsanto ? Le biologiste Gilles-Eric Séralini (université de Caen) a annoncé, jeudi 28 novembre, au cours d’une conférence de presse tenue à Bruxelles, que ses travaux sur les effets à long terme (deux ans) d’un maïs transgénique (le NK603) et de son herbicide associé (le Roundup) étaient en passe d’être retirés par Food and Chemical Toxicology, la revue qui les avait acceptés en septembre 2012. L’éditeur Elsevier, propriétaire de la publication, a confirmé le retrait quelques heures plus tard.

Cette mesure, qui relève du comité éditorial du périodique, revient à effacer de la littérature scientifique l’ensemble des résultats et des données issus des travaux du chercheur français. Ceux-ci avaient provoqué une tempête médiatique, en suggérant que la consommation, par le rat, du NK603 et/ou de l’herbicide auquel il est rendu tolérant provoquait l’apparition de tumeurs sur les animaux, ainsi que des troubles hépatiques et rénaux.

C’est dans une lettre du 19 novembre que Wallace Hayes, éditeur en chef de la revue, annonce à M. Séralini son intention de retirer l’étude controversée. M. Hayes reconnaît dans sa lettre que le travail du chercheur français  » ne montre pas de signe de fraude ou de déformation intentionnelle des données « .  » Cependant, ajoute-t-il, il existe une cause légitime de préoccupation sur le faible nombre d’animaux par groupe ainsi que sur la souche – de rat – choisie.  » Ainsi, poursuit la lettre, le retrait de l’étude est motivé par son caractère  » non conclusif « .

De fait, l’étude n’a pas convaincu la communauté scientifique compétente et toutes les expertises collectives rendues sur ces travaux ont conclu à leur caractère  » non conclusif « . L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a toutefois appelé à la conduite d’études similaires, les tests réglementaires étant au mieux conduits sur 90 jours… Des financements européens et nationaux ont été, depuis, débloqués pour les mener.

M. Séralini et son équipe contestent âprement le retrait de leur étude et menacent même la revue de poursuites en justice. Selon les règles en vigueur à Food and Chemical Toxicology, le retrait d’un article ne peut être décidé qu’en cas de  » manquement éthique « , de  » plagiat « , de  » publication préalable  » ou de  » conclusions non fiables pour cause, soit de fraude, soit d’erreurs de bonne foi (erreur de calcul, erreur expérimentale) « . Le chercheur français fait valoir que l’aspect contesté de son travail – c’est-à-dire le protocole expérimental lui-même – n’entre dans aucune de ces catégories.

M. Séralini va plus loin et soupçonne les industriels des biotechnologies d’avoir fait pression pour obtenir le retrait de son étude. Le chercheur français cite l’arrivée au comité éditorial de la revue, début 2013, du toxicologue Richard Goodman, professeur à l’université du Nebraska (Etats-Unis) et ancien employé de Monsanto.

Interrogé par Le Monde, M. Hayes assure que M. Goodman n’a pas été associé à l’expertise critique ayant conduit au retrait de l’étude.  » M. Séralini ne peut l’ignorer, ajoute M. Hayes, car il sait qui a signé l’accord de confidentialité que nous avons contracté afin d’analyser certaines de ses données non publiées. « 

Outre l’effacement de son étude, M. Séralini dit également avoir été l’objet de  » pressions personnelles insupportables  » depuis la publication de ses travaux. Il a notamment été associé, sur des sites Internet, à un mouvement sectaire proche de l’ésotérisme chrétien – ces diffamations ont été reprises dans la presse nationale.

L’eurodéputée Corinne Lepage (Cap 21) mais aussi l’association Générations futures, la Fondation Sciences citoyennes et l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO) se sont jointes au biologiste français pour dénoncer l’influence du monde industriel sur les revues scientifiques.  » Les pressions pour la “dépublication” de l’étude du professeur Séralini montrent à quel point l’industrie des biotechnologies est en mesure de contrôler la production scientifique elle-même, a déclaré Mme Lepage. On assiste à une véritable prise de pouvoir des lobbies et c’est extrêmement préoccupant pour nos sociétés. « 

M. Hayes répond que le comité de Food and Chemical Toxicology est  » équilibré  » avec  » des scientifiques gouvernementaux, industriels et académiques « .

Il n’est pas certain que l’arrivée de M. Goodman dans le comité éditorial de la revue ait été déterminante pour asseoir un biais pro-industrie en son sein. Toxicologue, Wallace Hayes est lui-même consultant et ancien vice-président du cigarettier RJ Reynolds ; parmi les quatre managing editors se trouvent un autre consultant et un scientifique employé par le semencier Pioneer. Quant à la toxicologue au poste de review editor, Susan Barlow, elle est également consultante. Le Monde avait révélé en janvier 2012 qu’elle avait loué ses services à Philip Morris, acceptant que les cadres du cigarettier amendent une étude finalement publiée en 2001 sous son nom dans Paediatric and Perinatal Epidemiology. Celle-ci n’a jamais été retirée…

M. Séralini a aussi reçu le soutien du mathématicien Paul Deheuvels (université Pierre-et-Marie-Curie à Paris), membre de l’Académie des sciences. Invité à s’exprimer au cours de la conférence de presse organisée autour du biologiste français, le statisticien a appelé à ce que la science puisse être produite sans pressions extérieures. Cocasse, quand on sait que M. Deheuvels, climato-sceptique notoire, a décerné en décembre 2010, au nom du Club de l’Horloge (proche de l’extrême droite), le prix Lyssenko de la  » désinformation scientifique  » au climatologue Jean Jouzel, médaillé d’or du CNRS et l’un des scientifiques français les plus cités…

Stéphane Foucart

    Un an de controverses

    21 septembre 2012 Publication de l’étude de Gilles-Eric Séralini.

    22 octobre 2012 L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime non conclusive l’étude de M. Séralini mais appelle à de nouveaux tests.

    31 octobre 2012 Ségolène Royal, Dominique Voynet, Corinne Lepage et Nathalie Kosciusko-Morizet, anciennes ministres de l’environnement, demandent le réexamen de l’autorisation du NK603.

    7 novembre 2012 L’un des responsables de l’Anses révèle que Monsanto a refusé d’être auditionné par l’agence française.

    7 janvier 2013 Le professeur

    Séralini est accusé par des

    sites Web d’être proche

    d’un mouvement ésotérique

    à tendance sectaire.

    28 novembre 2013 Le retrait de l’étude de M. Séralini est annoncé par la revue Food and Chemical Toxicology. Le biologiste montre du doigt les lobbies industriels.

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