Un bon retour à l’envoyeur

M. Courtois, du journal ‘Le Monde’ rappelle ici quelques faits et ça fait du bien.

Il rappelle que le prof de classe prépa est très bien payé pour ne bosser que 10 heures par semaine. Il prépare l’élite, certes, mais en attendant, la France se doit d’éduquer le plus grand nombre. Ce n’est pas le cas. Notre système est cher pour des résultats médiocres indignes d’un pays comme le nôtre. Notre classement PISA le rappelle régulièrement. Les profs de classe prépa doivent donc, eux aussi, participer à l’effort collectif. On ne leur demande pas grand chose, juste de revenir sur quelques privilèges inacceptables.

Après tout, s’ils ne sont pas contents, il peuvent toujours faire autre chose de leurs dix doigts : mieux vaut moins de profs dans l’éducation nationale que des démotivés.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 11 décembre 2013

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FRANCE | CHRONIQUE
Touche pas à ma  » prépa  » !

Méprisant, partisan, démagogique, ignare ou zélé serviteur du ministre de l’éducation nationale : pour avoir écrit, la semaine passée, quelques lignes sévères sur la fronde des professeurs de classes préparatoires aux grandes écoles, le chroniqueur ici présent en a pris pour son grade ! Tant de virulence mérite réponse.

Ecartons, d’abord, quelques soupçons. Il n’y a, chez le chroniqueur incriminé, nulle obscure rancœur contre l’école républicaine, laïque et méritocratique ; il a été biberonné à ce lait-là. Pas davantage contre les  » prépas « , où il a appris l’essentiel : quelques solides savoirs et le goût du travail. Pas davantage, non plus, contre le  » mammouth  » éducation nationale, dont il a scruté les mutations pendant des années dans ces colonnes.

Chacun l’a compris depuis quelques jours, et plus encore après la grève qui a mobilisé, lundi 9 décembre, près des deux tiers d’entre eux : la polémique actuelle porte sur les obligations de service et la rémunération des professeurs de classes préparatoires. Statutairement, ceux-ci doivent assurer 10 heures de classe par semaine. Mais ils bénéficient d’une heure de  » décharge  » quand leur classe compte plus de 35 élèves et d’une autre s’ils enseignent en seconde année ; ce qui ramène l’obligation effective à 8, 9 ou 10 heures par semaine. En outre, la plupart sont tenus d’effectuer quelques heures supplémentaires (en moyenne, quatre par semaine), ainsi que des heures d’interrogation orale des élèves (les  » colles « ) ; les unes et les autres sont évidemment rémunérées. Hors de la classe, enfin, le travail de préparation des cours et de correction des copies double, voire bien davantage, le temps de travail réel.

En contrepartie, ils sont parmi les personnels les mieux payés de l’éducation nationale. Selon les chiffres du ministère, corroborés par un rapport de la Cour des comptes en mai, le salaire moyen des 6 200 professeurs de  » prépas  » du public est de 4 800 euros net par mois, dont 900 euros au titre des heures supplémentaires. Parmi eux, les 2 075 titulaires de  » chaires supérieures « , le statut le plus élevé, perçoivent, en moyenne, un salaire net mensuel de 5 800 euros, dont 1 200 euros pour les heures supplémentaires. Compte tenu des vacances, leur temps de présence dans les lycées est de l’ordre de 35 semaines par an.

Cette rémunération – moyenne – les situe, sans conteste, parmi les 10 % de salariés les mieux payés en France (au-dessus de 3 400 euros mensuels). Elle n’a rien d’indécent. Ces enseignants sont chargés de préparer l’élite scolaire du pays aux concours les plus réputés et difficiles (écoles normales supérieures, Polytechnique, HEC…). Pour éviter quelques fantasmes, notons que ce salaire net moyen de 4 800 euros est supérieur à celui des journalistes du Monde (3 850 euros), hors rédacteurs en chef (5 000-5 500 euros).

Mécanique déréglée

Le ministre a mis le feu aux poudres, le 18 novembre, en ouvrant le chantier du statut des enseignants. Il a proposé de rétablir l’obligation, pour tous, d’assurer 10 heures de classe par semaine. Cela obligerait ces professeurs à travailler une ou deux heures de plus qui ne seraient plus payées en heures supplémentaires et ne seraient compensées que partiellement par une prime annuelle de 3 000 euros. Soit, selon les syndicats, un manque à gagner – quelque peu stupéfiant – de 10 % à 20 % et, selon le ministère, de 3 % à 5 %.

Pour l’heure, le bras de fer est engagé et personne n’entend céder.  » Halte aux conservatismes ! « , a attaqué le ministre, avec ce mélange de franchise et de maladresse dont il est coutumier. Et il vrai qu’initialement, au nom de  » l’équité « , Vincent Peillon entendait obtenir cet effort des professeurs de  » prépa  » pour améliorer la situation des enseignants dans les zones d’éducation prioritaires, là où le métier est le plus difficile.

 » Touche pas à ma prépa !  » répliquent les enseignants, furieux de voir ainsi contestés leurs revenus et leur travail, autant que leur statut et leur prestige. Et ils ont beau jeu de plaider que les classes préparatoires sont l’un des derniers piliers solides de l’éducation nationale, qu’elles se sont diversifiées sans renoncer à leur exigence de qualité et qu’il serait absurde de les déstabiliser pour tenter de rafistoler les secteurs les plus branlants du système.

Longtemps, ce discours a eu sa cohérence. Clé de voûte de l’ensemble, puisqu’elles ouvraient la porte des grandes écoles, les  » prépas  » pouvaient prétendre tirer vers le haut l’ensemble des élèves et sélectionner les meilleurs. Elles apparaissaient comme le moteur vertueux de la machine éducative. Tout démontre – et le récent rapport PISA de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n’est que le dernier d’une longue série – que ce n’est plus le cas.

L’individualisme contemporain, le consumérisme des familles, l’inquiétude pour l’avenir des enfants et une compétition sociale sans merci ont déréglé cette mécanique. Au lieu de favoriser l’émulation, l’éducation à la française produit de l’exclusion, scolaire autant que sociale : les meilleurs – le plus souvent les mieux nés – continuent à tirer leur épingle du jeu et se retrouvent en classe préparatoire ; les moins bons et moins nantis, de plus en plus nombreux, régressent et sont laissés sur le bord du chemin.

Dévoués à leur tâche, les professeurs de  » prépas  » ne sont évidemment pas responsables de cet immense gâchis. Mais, barricadés dans leur havre d’excellence et derrière leur statut, ils ne peuvent s’en laver les mains.

par Gérard Courtois

courtois@lemonde.fr

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