Un excellent article sur l’Europe

J’aime cet article car il est synthétique et complet sur les problèmes Européens.

J’aurais juste dit, en plus, que la démocratie n’était pas au rendez-vous car elle ne favorisait pas l’action des parlementaires. En effet, cette action est entravée car le mode d’élection n’est pas bon.  A la proportionnelle, qui plus est à un tour, il favorise la représentativité, certes, mais empêche la constitution d’une majorité claire qui pourra engager et mener des actions ambitieuses.

On le voit : le parlement n’est que consulté concernant le président de la Commission. En rien, il ne vote pour lui !

De plus, on rappelle que les Européens ne forment pas un peuple et que l’Europe nation n’a d’existence que dans la tête de doux rêveurs fédéralistes qui prennent leurs désirs pour des réalités.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 27 Février 2014

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EUROPE | CHRONIQUE
Le peuple européen attendra

L’Europe a décidé de jouer à la démocratie. On en frémit déjà. Cette année, pour les élections au Parlement de Strasbourg, prévues du 22 au 25 mai – tous les pays ne votent pas le même jour – nous avons de fabuleuses têtes de liste : l’Allemand Martin Schulz pour les sociaux-démocrates ; le Français José Bové et l’Allemande Ska Keller pour les écologistes (les Verts, c’est comme les gendarmes, ils se promènent toujours par deux) ; l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt pour les libéraux ; le Grec Alexis Tsipras pour la gauche radicale. Enfin, à droite, l’inusable Luxembourgeois Jean-Claude Juncker devrait porter les couleurs des chrétiens-démocrates, à moins qu’il ne soit battu sur le fil par le Français Michel Barnier lors de la réunion du Parti populaire européen qui se tiendra à Dublin début mars.

Bel exercice démocratique, où chacun a organisé sa primaire et choisi son champion pour devenir président de la Commission européenne. Comme on conduirait un parti aux élections générales pour devenir premier ministre. Pourtant, il est un goût d’insatisfaction. Chacun sent que nous ne revivrons pas les heures passionnées des scrutins nationaux. Sur le papier, tout devrait rouler. Point de déficit démocratique : le Parlement élu devra être consulté pour le choix du prochain président de la Commission ; une fois désigné, ce président devra constituer son collège de commissaires, qui seront tous longuement auditionnés. On se croirait en Amérique, bien loin des procédures expéditives, telle la confiance du Parlement français accordée automatiquement à un gouvernement à la main du président de la République.

Pourtant, rien ne colle. Parce que le Parlement européen n’est pas un vrai Parlement, la Commission un vrai gouvernement et les peuples européens ne forment pas un peuple. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la Constitution française et le traité fondateur de Rome. La première, dans son article 2, stipule que le principe de la République est le  » gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple « , tandis que dans le préambule du traité de Rome de 1957, les chefs d’Etat européens se disent  » déterminés à établir une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens « . Le pluriel fait toute la différence. Si la République est  » indivisible  » (article premier de la Constitution), l’Europe, qui a pour devise officieuse  » unie dans la diversité « , reste un assemblage complexe de peuples et d’Etats, de citoyens et de nations.

On le constate en observant l’absence d’opinion publique européenne. Les Français ne se mobilisent que dans le cadre de la nation. Ils sont ainsi restés indifférents aux travaux de la convention, qui rédigeait, sous l’égide Valéry Giscard d’Estaing, une Constitution pour l’Europe. Qu’on ne prétende pas qu’ils ont fui une matière ardue : les Français se sont transformés en constitutionnalistes lorsque ce même texte fut soumis à référendum en mai 2005, estimant que leur destin national était en jeu.

Un corps politique trop divers

Ensuite, le Parlement n’est pas complètement un Parlement. Certes, il représente les citoyens européens à peu près proportionnellement, il a son mot à dire sur toutes les lois européennes et peut renverser la Commission comme il l’a fait en 1999. Mais les eurodéputés sont bien vite broyés par la technicité des directives qu’ils ont à adopter. Ils n’ont pas pouvoir de lever l’impôt ; ils ne se positionnent pas en fonction de leur appartenance politique ; au clivage gauche-droite, s’ajoutent des différences Nord-Sud, petits pays-grandes nations, membres fondateurs-pays de l’élargissement, etc. Résultat, le Parlement est plus une assemblée des peuples qu’un représentant de la souveraineté. Si ses décisions correspondent à un équilibre européen assez fin, cela ne suffit pas à les rendre légitimes aux yeux d’un corps politique européen trop divers.

Troisièmement, la Commission n’est pas un gouvernement. Baptisée Haute Autorité par Jean Monnet, lors du lancement de la Communauté du charbon et de l’acier en 1951, elle fut même conçue pour être au-delà des gouvernements.

La légitimité de cette institution supranationale était d’incarner l’optimum européen, l’Histoire et la théorie des jeux ayant montré que la  » négociation  » entre Etats pouvait conduire à des résultats perdant-perdant  » La coopération entre les nations, si importante soit-elle, ne résout rien. Ce qu’il faut chercher, c’est une fusion des intérêts des peuples européens, et non pas simplement le maintien de l’équilibre de leurs intérêts « , écrivait Jean Monnet en mai 1950, pour expliquer aux Britanniques la nécessité d’octroyer à la Haute Autorité-Commission des pouvoirs supranationaux.

Pendant des décennies, elle fut l’institution des technocrates éclairés, détenteurs autoproclamés mais sincères du bien européen. La Commission ne l’est plus. Parce que son collège dévoyé – un représentant par Etat membre – ne cherche plus ce bien commun, mais est l’antichambre des tractations entre Etats. Parce qu’elle n’a guère d’imagination. Parce qu’elle est loin de s’apparenter à un gouvernement, même fédéral, tant elle est privée de ses prérogatives régaliennes. Jamais, Bruxelles ne nous enverra mourir pour l’Europe, aboutissement ultime de l’appartenance souveraine. La question n’est pas institutionnelle, mais anthropologique. Le prétendu déficit démocratique réside moins dans les institutions que dans la réticence des peuples. On ne saurait les changer par décret. Le peuple européen attendra.

par Arnaud Leparmentier

leparmentier@lemonde.fr

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