Quand l’Allemagne nous donne des leçons, même en matière de gestion bancaire

L’Allemagne est le symbole du pragmatisme et du bon sens. Cet excellent article le montre encore. En matière bancaire l’Allemagne a des établissements dont le but n’est pas la spéculation mais l’aide aux entreprises locales et aux particuliers. Le véritable coeur de métier d’une banque digne de ce nom doit être celui-là car c’est le meilleur modèle qui préserve l’intérêt général.

A quand ce modèle en France ?

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 7 Septembre 2013

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Ma Volksbank n’aime pas l’Europe
Le G20 devait discuter du projet européen d’union bancaire, auquel Berlin reste réticent
Ludwigsburg (Allemagne) Envoyée spéciale

Le grand projet européen d’union bancaire devait être abordé lors des discussions du G20 qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg jeudi 5 et vendredi 6 septembre. L’objectif de cette réforme lancée en 2012 est de doter le système bancaire européen de règles communes pour une plus grande stabilité, lui permettant à l’avenir d’éviter que des crises bancaires n’entraînent les Etats dans leur sillage, alors que ceux-ci se voient obligés de se substituer aux établissements en difficulté. Mais ce projet ne cesse de prendre du retard en raison des réticences de certains pays, au premier rang desquels l’Allemagne.

Pour comprendre les raisons de cette résistance, il faut se rendre au coeur de la province allemande. Celle des villes moyennes, des bourgs et des villages où se perpétue religieusement la tradition de la petite banque de proximité. Cet élément-clé du développement économique local explique entre autres la puissance du tissu des petites et moyennes entreprises (PME) outre-Rhin. Ce Mittelstand qui fait tant d’envieux dans le monde entier.

Avec 1 100 établissements indépendants dispersés dans le pays et 30 millions de clients, les banques coopératives (Volks- et Raiffeisenbank) couvrent 24 % du marché de l’épargne privée.  » L’argent du village au village  » : telle est la devise de ces banques mutualistes, nées au XIXe siècle en Allemagne, qui constituent le troisième pilier du système bancaire allemand à côté des caisses d’épargne publiques (37 % du marché) et des grandes banques privées (39 %). A chaque vague de régulations bancaires, caisses d’épargne et banques coopératives font campagne afin de protéger leurs spécificités, qu’elles estiment menacées.

C’est le cas de la Volksbank Ludwigsburg (banque populaire de Ludwigsburg), qui a fêté en 2012 ses 150 ans d’existence. Dans cette ville située au nord de Stuttgart – au coeur de la riche région industrielle du Bade-Wurtemberg -, on est fier de raconter que la Volksbank a survécu à toutes les crises depuis un siècle et demi sans jamais faire faillite.  » Nous avons surmonté deux guerres mondiales, l’inflation de 1923, la crise économique de 1931-1932, les réformes monétaires et la crise financière de 2008 sans aucune intervention du contribuable, martèle Thomas Küster, vice-président de l’établissement. Nous n’avons pas causé la crise. Nous avons prouvé notre solidité. Nous comprenons mal aujourd’hui pourquoi nous devons nous plier à des règles faites pour de grandes banques privées qui ne partagent pas notre philosophie locale. « 

La Volksbank Ludwigsburg est étroitement liée à l’essor économique de la ville. Simple village autour du château au début du XVIIIe siècle, Ludwigsburg est aujourd’hui une commune prospère de 90 000 habitants. Comme toutes les banques coopératives, la Volksbank Ludwigsburg est née de l’initiative de commerçants, artisans et agriculteurs qui ne bénéficiaient pas de crédit auprès des grandes banques. Son capital est détenu par des personnes morales qui sont à la fois clients et gestionnaires de la banque. D’une trentaine de sociétaires à sa fondation en 1862, la Volksbank Ludwigsburg en compte aujourd’hui 65 000.

 » Nous prenons les dépôts de nos clients dans la région et nous octroyons des prêts ici pour les PME ou pour la construction de maisons. Nos propriétaires, ce sont nos sociétaires, qui détiennent au maximum 1 000 euros de capital. Notre mission est de faire en sorte que l’argent leur serve « , explique Bernd Weisheit, directeur de la communication de la banque. Pas de programme d’optimisation fiscale, pas de placements sur des produits risqués, pas de taux de croissance à deux chiffres.  » Nous visons une croissance durable et saine « , ajoute M. Weisheit. Seules limites aux affaires : la taille des entreprises, qui ne doit pas dépasser 50 millions d’euros, et leur localisation sur le canton, qui compte un demi-million d’habitants.

Avec un bilan de 2 milliards d’euros et 400 employés, la Volksbank Ludwigsburg est dans le peloton de tête des plus grosses banques coopératives d’Allemagne. La plupart de ses consoeurs ont des bilans inférieurs à un demi-million d’euros et ne comptent que quelques employés. La plus petite banque coopérative du pays se situe à Struvenhütten, dans le Schleswig-Holstein. Son bilan est de 13 millions d’euros, pour cinq salariés et deux directeurs. A Gammesfeld, dans le Bade-Wurtemberg, un seul employé assume toutes les fonctions… y compris celle de passer le balai en fin de journée. Prises ensemble, ces petites banques indépendantes affichent un bilan de 1 090 milliards d’euros, contre 2 000 milliards pour Deutsche Bank, la première banque du pays, très présente à l’étranger. Au point que les banques coopératives allemandes sont parfois surnommées la  » vraie Deutsche Bank « .

A Ludwigsburg comme ailleurs, la proximité et la transparence sont une obsession.  » J’appelle régulièrement mes clients personnellement et je leur rends visite, explique Thomas Küster, responsable des comptes entreprises, nombreuses dans la région. L’idée est de créer un lien émotionnel avec le chef d’entreprise, qui communique aussi bien dans les bons que dans les mauvais moments.  » Pouvoir parler directement avec un membre de la direction est pour beaucoup de PME un argument décisif. La relation personnelle joue à plein quand l’entreprise est en difficulté.  » La rupture d’une ligne de crédit est pour nous l’ultima ratio « , ajoute M. Küster.

Après la crise, la reprise de l’économie doit beaucoup à la stabilité de ces banques locales. Peu concernées par le rationnement du crédit, elles ont maintenu leur confiance aux entreprises. Leur fidélité a payé : depuis la crise financière, cette culture de la  » banque maison « , traditionnelle dans l’économie allemande, connaît un renouveau.

Leur système de garantie des dépôts sans limite de montant, lancé en 1930, a attiré de nombreux épargnants soucieux pour leurs économies. Le réseau dispose également de sa propre autorité de régulation et d’un système de résolution des crises, par lequel deux banques peuvent fusionner quand l’une d’elles est en difficulté. Ce système de sauvegarde a permis à la banque centrale des coopératives, DZ Bank, active sur les marchés financiers, de limiter la casse lors de la crise financière. A l’inverse des banques publiques régionales et de grandes banques privées comme HRE ou Commerzbank, qui ont, elles, dû être secourues par le contribuable.

Un système autarcique qui est aujourd’hui menacé. Ces petites banques à visage humain subissent en effet de plein fouet les effets de la politique d’argent pas cher de la Banque centrale européenne (BCE), qui, par ricochets, érode leurs marges. Les nouvelles régulations bancaires – dites de Bâle III, qui leur imposent d’augmenter leurs fonds propres – entament le capital qu’elles peuvent mettre à disposition pour le crédit. Enfin, le vieillissement de la population et l’attrait des villes ne jouent pas non plus en leur faveur. Ce sont surtout les nouvelles règles européennes qui les inquiètent. Parce qu’elles augmentent la charge de travail qui pèse sur chaque établissement, elles risquent de contraindre à la fusion de nombreuses banques locales. Une cinquantaine d’entre elles ont déjà disparu depuis 2009.

 » Notre principale compétence est la proximité avec le client, explique Stefen Strudel, porte-parole de la Fédération des banques coopératives. Si, comme nous le craignons, le nombre de fusions explose ces prochaines années, c’est notre modèle économique qui est menacé. « 

Cécile Boutelet

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