L’affaire Tapie continue

On n’arrête décidément pas les révélations dans l’affaire Tapie. On est de plus en plus sûr qu’il y a bien eu escroquerie, ce, au détriment du contribuable, puisque c’est lui qui a payé la note à l’arrivée. Sarkozy et Lagarde trempent dans cette affaire. Donc, même si l’on se focalise sur les juges, il ne faudra pas oublier ces sombres individus dans l’avenir.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 5 Novembre 2013

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Les juges et le  » simulacre  » de l’arbitrage Tapie
Les enquêteurs détiennent de nouveaux éléments contre l’ex-arbitre Pierre Estoup, auditionné lundi 4 novembre

L’ancien magistrat Pierre Estoup, cheville ouvrière de l’arbitrage Tapie, déjà poursuivi pour  » escroquerie en bande organisée « , était à nouveau convoqué, lundi 4 novembre, pour être mis en examen pour  » faux en écriture privée « , par les juges Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut. Ces magistrats enquêtent sur l’arbitrage – qu’ils qualifient de  » simulacre  » – ayant permis à Bernard Tapie de percevoir 405 millions d’euros, en juillet 2008, dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Les magistrats disposent de nouveaux éléments, qu’ils estiment de nature à remettre en cause l’arbitrage.

Ces éléments sont synthétisés dans un procès-verbal de la brigade financière du 4 octobre qui récapitule les honoraires perçus en qualité de consultant par Pierre Estoup de 1992 à 2013. Un tableau qu’ils ont pu établir après avoir perquisitionné le domicile de l’ancien magistrat, à Thionville (Moselle). Les policiers ont constaté que M. Estoup avait touché,  » sur la période 1997-2006(…), 808 987 euros d’honoraires relatifs à des dossiers liés à Mes Maurice Lantourne et Francis Chouraqui « , avocats ayant oeuvré ou étant toujours au service de Bernard Tapie. La brigade financière conclut que  » ce montant représente 42,38 % du chiffre d’affaires de Pierre Estoup  » sur cette période.

Or, pour être désigné juge arbitral, Pierre Estoup avait dû signer le 16 novembre 2007 une déclaration d’indépendance, comportant une  » obligation de révélation étendue  » certifiant qu’il n’était pas lié aux parties en présence. Les magistrats estiment que M. Estoup a donc sciemment menti, au moins par omission, lors de sa désignation. C’est ce qui fonde notamment le réquisitoire supplétif accordé aux juges par le parquet de Paris, le 21 octobre, leur permettant d’enquêter sur des faits de  » faux et usage de faux « . Ce procès-verbal pourrait aussi permettre à l’Etat de conforter sa démarche d’annulation de l’arbitrage.

Pourtant, dans un entretien accordé aux Echos du 4 novembre, M. Tapie assure :  » Pierre Estoup, je ne l’avais jamais vu avant l’arbitrage.  » Les magistrats en doutent fortement. Comment expliquer dans ce cas les 808 987 euros perçus par le juge arbitre en neuf ans, auprès des avocats de Bernard Tapie ? Il y a aussi cette mention, dans son agenda 2006, évoquant à la date du 30 août, à 15 heures, un rendez-vous  » Tapie « . M. Estoup assure aujourd’hui qu’il n’était pas en France ce 30 août.  » J’affirme ne pas avoir rencontré Bernard Tapie « , dit-il aux juges, le 22 octobre.

Dès le lendemain, pourtant, le 31 août 2006, un collaborateur de Me Lantourne (conseil de M. Tapie) adressera une note à l’homme d’affaires indiquant que  » l’arbitrage est la seule procédure  » à mettre en oeuvre.  » Il ne faut pas attendre pour mettre en place, confidentiellement, la procédure « , poursuit la note. De fait, le 8 septembre 2006, l’agenda de Me Lantourne mentionne une rencontre avec M. Estoup. Les 5 et 12 septembre 2006, plusieurs documents ayant trait à la procédure Tapie sont adressés à M. Estoup, qui dit ne pas les avoir reçus.  » Vous les avez fait disparaître « , interrogent les juges ?  » C’est votre hypothèse « , répond M. Estoup.

Mais il y a surtout cette dédicace troublante, rédigée par Bernard Tapie en juin 1998, et trouvée en perquisition dans la bibliothèque de M. Estoup :  » Votre soutien a changé le cours de mon destin.  » Aux juges, M. Estoup explique avoir simplement donné son avis sur une éventuelle  » confusion de peine  » qui aurait pu être accordée à M. Tapie, alors visé par de nombreuses poursuites judiciaires. Sauf que cette confusion de peine est intervenue le 10 mars 1999. Et la dédicace personnalisée de M. Tapie est datée du 10 juin 1998, soit neuf mois plus tôt…

Les enquêteurs formulent une autre hypothèse. Ils relient cette dédicace à une décision rendue le 4 juin 1998 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans l’affaire des comptes de l’OM. La 5e chambre était alors présidée par Franck Lapeyrère, et, selon les juges,  » cette décision a pu être qualifiée de clémente  » dans la mesure où Bernard Tapie échappait à la peine de prison ferme prononcée en première instance.

Les magistrats se sont donc penchés sur le passé de M. Lapeyrère. Ils ont découvert un courrier, adressé par M. Estoup le 5 décembre 1983 à la direction des services judiciaires et recommandant chaudement la nomination comme vice-président au tribunal de Nancy de M. Lapeyrère. M. Estoup était alors président du même tribunal, et il parlait de M. Lapeyrère comme de l’un des  » éléments les plus brillants  » de sa promotion. Donc, c’est avéré, Pierre Estoup et Franck Lapeyrère se connaissaient très bien. M. Estoup, qui travaillait alors pour Me Chouraqui, avocat de M. Tapie, a-t-il tenté d’utiliser cette proximité avec son collègue pour influer sur le sort judiciaire de l’homme d’affaires ?

Entendu une première fois par les policiers en juin, M. Lapeyrère s’était déjà souvenu de deux visites de M. Estoup à Aix-en-Provence.  » M. Estoup a essayé de me voir avant que l’affaire ne vienne à l’audience « , s’était-il rappelé. Il disait ne pas avoir donné suite. Interrogé cette fois par les juges le 18 octobre, M. Lapeyrère a été plus précis : il pense que le premier déplacement de M. Estoup à Aix-en-Provence se situait  » quinze jours avant le début de l’audience « . M. Estoup dément avoir voulu influencer son collègue :  » C’est une coïncidence (…). Je ne savais pas que Franck Lapeyrère allait présider l’audience des comptes de l’OM « , a-t-il indiqué aux juges.

Les enquêteurs demeurent circonspects. D’autant que M. Lapeyrère leur a confié avoir reçu une autre visite, avant l’audience cruciale, celle de deux hommes, dont un avocat parisien, venus évoquer le cas de M. Tapie :  » Au vu des photographies de Me Chouraqui, cette personne pourrait être celle qui s’est présentée comme l’avocat parisien de Bernard Tapie… (…). Je lui ai dit que cette démarche n’était pas opportune. « 

Gérard Davet et Fabrice Lhomme

    La  » troublante  » démarche de M. Estoup auprès de Total

    Dans le cadre de leurs investigations sur Pierre Estoup, les enquêteurs s’intéressent à un litige commercial ayant opposé Total à l’entreprise Lutin – défendue par Me Francis Chouraqui, ex-avocat de Bernard Tapie. La société, immatriculée aux îles Vierges, prétendait avoir contribué au développement de champs pétrolifères au Nigeria et réclamait à Total 20 millions de dollars… par l’intermédiaire de M. Estoup.

    Directeur juridique de Total, Peter Herbel a expliqué aux policiers qu’ » en 2004, il y a – eu – une intervention de M. Estoup auprès de nous pour soi-disant trouver une transaction (…). Il a dit qu’il allait régler le litige si on suivait ses préconisations. M. Estoup a dit un certain nombre de choses que nous avons prises pour du chantage. Il nous a fait comprendre que si nous n’acceptions – pas – ses propositions, nous n’aurions plus de concessions au Nigeria. « 

    Juriste chez Total, Séverine Bréjon a confirmé ces faits. Elle a ajouté, à propos de M. Estoup, que l’affaire Tapie lui rappelait  » le dossier Lutin et le caractère troublant de sa démarche dans ce dossier


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