Les députés ont raison de vouloir étendre la notion d’abus de droit… mais gare à la concurrence !

Les députés veulent étendre la notion d’abus de droit. Ainsi, serait plus lourdement l’entreprise dont les procédures fiscales visent un motif principal d’éviter l’impôt. C’est louable, mais gare à la concurrence mondiale ! Nous vivons dans une mondialisation exacerbée et il est bienvenu de jouer les père la vertu en matière fiscale à partir du moment où les règles sont les mêmes pour tout le monde !

Or, il n’en est rien, en tout cas, pas pour le moment tant sont encore bien présentes tous les pays offrant des gages pour échapper à l’impôt. Il ne faut donc pas mettre la charrue avant les boeufs en la matières : il faut d’abord obtenir de tous les pays une harmonisation fiscale avant de mettre en place les mesures permettant de récupérer l’impôt là où il se trouve.

En jouant un jeu personnel, nous risquerions en effet de voir les entreprises s’envoler vers des cieux plus cléments.

Respectons l’adage « trop d’impôts, tue l’impôt ».

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 14 Novembre 2013

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Les députés ciblent l’optimisation fiscale des grandes entreprises
Bercy émet des réserves sur une partie des amendements du groupe socialiste destinés à durcir la législation actuelle

Les députés devaient examiner, jeudi 14 novembre, les mesures fiscales et budgétaires dites  » non rattachées  » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. Outre les dispositions prévues dans le texte initial du gouvernement – réforme du plan d’épargne en actions (PEA) en faveur du financement des petites et moyennes entreprises, réforme du crédit d’impôt en faveur du développement durable (CIDD), relèvement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), etc. -, les députés socialistes veulent aussi porter le fer contre l’optimisation fiscale  » agressive  » des grandes entreprises. Ils ont déposé en commission une série d’amendements qu’ils défendront en séance. Sur certains, le gouvernement émet des réserves.

Le principal point d’achoppement porte sur la notion d’abus de droit, que les députés souhaitent rendre moins restrictive. Dans la législation actuelle, sont susceptibles de constituer un abus de droit la simulation et le contournement de l’esprit de la loi, à condition qu’il soit établi que c’était dans le but  » exclusif  » de minorer ou d’échapper à l’impôt. L’amendement propose que l’abus de droit puisse être reconnu quand il avait pour motif  » principal  » d’éviter l’impôt.

L’activation de la procédure d’abus de droit est lourde. La sanction, quand il est avéré, l’est aussi : rétablissement de l’impôt normalement dû, intérêts de retard à hauteur de 0,40 % de la somme par mois, majoration de 40 % ou de 80 %, selon qu’il est établi ou non que le contribuable est à l’initiative ou le principal bénéficiaire de l’abus de droit.

La direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises, a mis en oeuvre la procédure d’abus de droit à dix reprises au cours des cinq dernières années, indique le rapport rendu en juillet par la mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale, dont le rapporteur était Pierre-Alain Muet (PS, Rhône) et le président Eric Woerth (UMP, Oise). Les mécanismes consistent principalement à endetter artificiellement des structures françaises, à dissimuler des prêts en apport de capital ou à créer des structures écrans pour dissimuler des revenus. Les redressements ont atteint 1,870 milliard d’euros. C’est dire l’ampleur de l’enjeu.

En 2013, le cabinet Greenwich Consulting a analysé les mécanismes d’optimisation pratiqués par les grandes entreprises numériques du  » Gafam  » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Il ressort de cette étude que, si ces sociétés s’étaient soumises aux règles fiscales en vigueur sur le territoire, elles auraient dû acquitter en 2011, en l’absence de toute optimisation, 828,7 millions d’euros. A elles cinq, elles en ont payé 37,5 millions : 22 fois moins.

Le rapport de M. Muet détaille les divers mécanismes les plus courants d’optimisation, devenue une véritable industrie, avec ses cabinets de conseil spécialisés, afin de minimiser ce qui est considéré par ces grandes entreprises comme une charge comme les autres, qui pèse sur leurs profits. Le principe de l’optimisation est simple : profiter des différences entre les régimes nationaux d’imposition et entre les règles en vigueur pour localiser un maximum de charges dans les pays les plus taxateurs – pour diminuer le résultat imposable – et loger le maximum de produits dans les plus conciliants, pour acquitter l’impôt sur les bénéfices le plus faible possible. L’existence de paradis fiscaux permet de mettre au point des stratégies encore plus élaborées.

Le montage réalisé par Google est particulièrement révélateur des stratégies fiscales des entreprises du numérique. Sa sophistication lui a valu de se voir décerner l’appellation de  » double irlandais et sandwich néerlandais « .

La société de droit américain Google Inc. a concédé ses droits de propriété intellectuelle à Google Ireland Holdings, filiale à 100 %, qui les concède à son tour à Google Netherlands BV, société de droit néerlandais, qui les sous-concède à Google Ireland Ltd, la société opérationnelle de droit irlandais qui réalise l’essentiel du chiffre d’affaires de Google hors Etats-Unis.

Celle-ci détient des filiales dans différents Etats, dont Google France SARL. Mais les annonceurs français ne contractent qu’avec Google Ireland Ltd, qui établit les factures et à qui ils adressent leurs paiements. Google Ireland Ltd reverse l’essentiel de son chiffre d’affaires à Google Netherlands sous forme de redevance d’utilisation des droits de propriété intellectuelle. Celle-ci n’est soumise à aucune retenue à la source, car le flux est intracommunautaire.

La seule fonction de Google Netherlands est de recevoir la redevance de Google Ireland Ltd et de la reverser en quasi-totalité à Google Ireland Holdings, société dirigée depuis les Bermudes. La redevance est, de facto, versée aux Bermudes où est implanté le conseil d’administration et où les bénéfices transférés ne sont pas imposables. Les bénéfices stockés aux Bermudes ne sont pas imposables aux Etats-Unis tant qu’ils ne sont pas rapatriés.

 » Business restructuring « ,  » treaty shopping « ,  » captives d’assurance « ,  » intérêts notionnels « ,  » hybrides « ,  » manipulation des prix de transfert « , tous ces concepts servent à dissimuler des profits à l’imposition. Ils ont aussi et surtout pour conséquence d’aggraver les inégalités et constituent un facteur décisif de concurrence déloyale. Quand une PME française s’acquitte d’un taux d’imposition réel de 42,4 %, la grande entreprise n’est imposée qu’à 24,9 % ; 8 des 40 groupes du CAC 40 n’acquittent aucun impôt sur les sociétés en France. L’enjeu de la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales est considérable.

Patrick Roger

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