Quand la France perd la face en Afrique

On le voit, M. Hollande n’est pas le seigneur de guerre décrit lors du conflit au Mali. Entre le Mali et la Centrafrique, les situations étaient différentes. Des terroristes ont semé la discorde au Mali. La France est intervenue en dispersant ces groupes.

En Centrafrique, la population est divisée en deux : des chrétiens d’un côté, des musulmans de l’autre. Des groupes des deux religions ont mené des actions qui ont donné lieu à représailles, représailles qui ont largement débordé sur les civils.

Il fallait donc avoir une politique ferme de désarmement des deux groupes et ne pas hésiter à utiliser la force, envers les deux groupes menant des violences comparables.

La France n’a pas mené son action car elle avait encore en tête que le musulman était le méchant et le chrétien le gentil. Cette erreur, cette méprise donne lieu à une totale inefficacité de notre action dans ce pays. On manque de courage, de réflexion, de stratégie. M. Hollande n’est donc pas le génie militaire que les Maliens en dressent…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 6 Mars 2014

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ANALYSE
Centrafrique :  » Sangaris  » ou la  » chronique d’un échec annoncé « 
Trois mois après le lancement de l’opération française, la division du pays s’est accrue

La Centrafrique vit sa crise sécuritaire et humanitaire la plus aiguë depuis l’indépendance, proclamée en 1960. Le pays est en proie à une vague de tueries, de transferts forcés de populations et de pillages sans précédent. Les crimes de guerre ont touché tout le monde. Et la purification ethnique, qui vise la communauté musulmane, est radicale.

Trois mois après le lancement de l’intervention militaire française  » Sangaris « , souhaitée et saluée par une immense majorité de Centrafricains et bénéficiant d’une forte légitimité internationale, le constat est amer.

Si, à terme, les troupes étrangères — de Sangaris, de l’Union africaine, de l’Union européenne, et bientôt de l’ONU — parviennent à rétablir une certaine sécurité dans le pays, l’opération a été menée de telle manière qu’elle n’a pu éviter que la tempête se déchaîne sur une Centrafrique déjà meurtrie par une année de crimes commis par la Séléka, un mouvement rebelle musulman venu du Nord. Les forces étrangères ont assisté à une campagne croisée de tueries qui sera un jour qualifiée, si la justice internationale s’en saisit, de  » crimes contre l’humanité « .

Aujourd’hui, un calme relatif ne revient que faute d’ennemis ou de cibles, dans les endroits où la purification ethnique a été couronnée de succès. Et la guerre est loin d’être finie.

La première étape fut le désarmement de la Séléka et son départ de Bangui, symbolisée par la chute du président Michel Djotodia, le 10 janvier. Mais la coalition de combattants musulmans, appuyés par des mercenaires tchadiens et soudanais, a quitté la capitale sans avoir été véritablement désarmée. Ils occupent toujours plus de la moitié de la Centrafrique.

La deuxième étape est le conflit contre les anti-balaka (les  » anti-machettes « , les  » invincibles « ), ces milices chrétiennes qui occupent l’ouest du pays et qui, de la lutte contre la Séléka, sont passés à une guerre sans pitié contre la population musulmane. Elles se divisent actuellement sur leurs prochains objectifs, la tendance la plus radicale souhaitant combattre le gouvernement et les forces étrangères.

La troisième étape, prévisible même si nul ne peut affirmer quand elle aura lieu, devrait de nouveau opposer les forces étrangères et la Séléka, si celle-ci — comme cela semble être le cas depuis un mois environ — stoppe son retrait pour tenter de conserver certaines régions et de diviser le pays. Actuellement, la ligne de démarcation va des régions de Kabo au nord à Mobaye au sud, en passant par Kaga-Bandoro et Bambari. La Centrafrique est de facto divisée entre l’ouest et l’est.

A l’est de cette ligne invisible et que nul n’évoque officiellement, la Séléka contrôle encore des territoires où elle se livre à des assassinats et des pillages. Dans certaines villes, les chrétiens sont majoritaires, comme à Bambari ou Bangassou, ou représentent la moitié de la population, comme à Bria. Ces régions sont aussi celles, stratégiques, du diamant et de l’uranium.

Jusqu’à présent, la guerre a provoqué le mouvement d’un quart à un tiers de la population centrafricaine, selon l’ONU. Environ 300 000 Centrafricains sont réfugiés à l’étranger, au Tchad, au Cameroun, en République démocratique du Congo, et dans des pays où ils ont été évacués par avion. La majorité des civils qui ont fui leurs maisons sont toutefois encore dans le pays, dans des camps de réfugiés. Ces déplacés internes sont au moins 700 000.

Il resterait entre 100 000 et 150 000 musulmans piégés en secteur contrôlé par les anti-balaka, dans l’Ouest, en attente de convois d’évacuation. Ils sont le plus souvent assiégés autour de mosquées ou de mairies. Par ailleurs, des chrétiens peuplent de nombreux camps de déplacés, même dans les régions d’où la Séléka s’est retirée, effrayés par l’insécurité et les pillages. Et ils sont encore des centaines de milliers dans l’Est, livrés aux violences de la Séléka.

 » Sangaris est légitime et utile, mais la manière dont l’opération a été conduite est vraiment la chronique amère d’un échec annoncé, s’indigne un observateur européen, fin connaisseur de la Centrafrique. Le seul véritable succès est en fait l’objectif initial : le départ de Djotodia et de la Séléka de Bangui. Mais, depuis que l’armée française a laissé les anti-balaka commettre le massacre du 5 décembre 2013 à Bangui sans réagir, et parce qu’en trois mois elle n’a fait que de l’interposition molle, sans tuer ni arrêter les pires criminels de guerre, elle a déçu les Centrafricains, trahi son mandat. La France sera un jour questionnée sur le fait que son armée a assisté à une campagne radicale de tueries et de “purification ethnique” sans réagir. « 

Aurait-il été possible d’agir autrement ? Des officiers français, outrés par le déni de réalité en vogue à Paris et dans les discours officiels français à Bangui, pensent que oui.  » Il y a eu à la fois un problème politique de volume du contingent et de règles d’engagement, et un commandement trop timoré, critique un officier supérieur. Que l’on prenne quelques semaines, malgré ses crimes passés, pour désarmer l’armée de la Séléka, et ainsi éviter un conflit trop violent, c’est compréhensible. Mais en revanche, qu’on n’intervienne pas tout de suite et durement contre les anti-balaka, qui sont devenus les principaux criminels de guerre depuis trois mois, est incompréhensible. C’est du gâchis. « 

Et de poursuivre :  » Malgré des opérations ponctuelles utiles sur le terrain, je crains que nous soyons de facto un jour accusés de non-assistance à population en danger, ce qui était précisément la raison de l’intervention. « 

Les organisations humanitaires telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch dressent le même constat très critique envers Sangaris, même si l’intervention militaire est perçue comme légitime. L’ONU et ses diverses agences, qui ont été d’une inefficacité spectaculaire pendant cette période d’urgence humanitaire, semblent prendre, bien que tardivement, la mesure de la tragédie. New York tente désormais de mettre sur pied l’une des plus importantes opérations militaires et humanitaires de la planète.

Pour les musulmans de Centrafrique, et à moins d’un retour fort improbable, il sera trop tard. La purification ethnique aura vaincu, sur au moins la moitié du territoire.

Les deux questions des semaines et mois à venir sont de taille : comment aider le gouvernement de Bangui à prendre le contrôle de l’Ouest aux mains des anti-balaka ? Puis comment l’aider à maintenir l’unité territoriale du pays en reprenant le contrôle de l’Est à la Séléka ? L’Est où, là aussi, des milices anti-balaka sont à l’affût et pourraient commettre des tueries égales ou pires à celles de l’Ouest.

Rémy Ourdan


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