Il faut relancer l’apprentissage !

Comment se fait-il que l’apprentissage ne marche pas en France alors qu’il marche en Allemagne et que là-bas, le chômage est bien moins important qu’en France ? De plus, on perd sur tous les tableaux car on subventionne plus la mesure !

Je pense que l’on est dans un problème de culture éducative en France : on cherche à former des citoyens avant de former des personnes adaptées au marché du travail. A force d’inciter à avoir 80% de personnes au niveau Bac, on a baissé le niveau de ce diplôme et on s’est éloigné de l’objectif de fournir une main d’oeuvre adaptée à notre marché du travail. En clair, on fait de l’idéologie avant de faire de l’éducation en pensant que notre système éducatif doit former des citoyens complets alors qu’il n’est même pas capable de former des travailleurs.

Or, sans travail, le citoyen n’est rien… Il faut savoir redonner des priorités à notre modèle éducatif en visant moins haut et en se disant que la priorité est la formation nécessaire à avoir un emploi, pas d’avoir un pseudo-statut de citoyen… chômeur…

Il faut savoir se dire que tout le monde n’a pas à aller jusqu’au Bac pour réussir mais que le but est d’avoir un métier qui valorisera l’employé comme la société dans son ensemble.

Dans ce cadre, il faut aussi former des professeurs à leur inculquer les bases à enseigner à leur classe pour que le jeune trouve pleinement sa place au sein de l’entreprise. Ces bases devront être techniques mais aussi humaines en inculquant les valeurs de base à avoir avant d’entrer en entreprise.

Un bien gros chantier…

Deux articles daté du 18 Novembre 2014

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PERSPECTIVE

Le paradoxe de l’apprenti

Curieux paradoxe tout de même. L’apprentissage en France, ça marche, et pourtant, ça ne marche pas ! Plus ancienne forme au monde de transmission des savoirs, il garde aujourd’hui toutes ses vertus. Les jeunes de 16 à 25  ans qui choisissent cette voie connaissent un chômage deux fois plus faible que leurs copains qui optent pour la filière du diplôme seul, sans l’alternance dans une entreprise. Mieux, les contrats de travail sont moins précaires et ils sont mieux payés. Cerise sur le gâteau, les entreprises en cherchent par milliers… et n’en trouvent pas assez.

Car l’apprentissage, ça ne marche pas. Depuis 2008, les entrées dans cette filière, déjà bien peu élevées, sont en baisse constante : – 8  % en  2013, – 12  % en  2014.

 » Cette fois, c’est du sérieux  » : chaque ministre du travail y va de sa promesse, et puis s’en va. Dernier en date, François Rebsamen a lancé en avril l’objectif de 500 000  alternants d’ici à 2017. Un beau chiffre rond, qui représente 80 000 de plus qu’en  2013, mais trois fois moins que le nombre d’apprentis en Allemagne. Alors même que le système est largement plus subventionné de ce côté du Rhin.

Pourquoi cet échec quand les rapports et les recommandations en tout genre fleurissent à chaque changement de gouvernement ? Parce que le sujet est enkysté dans un autre, bien plus complexe, celui des rapports qu’entretient le pays en général, et le monde de l’éducation nationale en particulier avec ses entreprises. L’enseignement, tel qu’il est conçu, ne doit pas apprendre un métier mais ouvrir les esprits et former des citoyens cultivés et indépendants. Résultat, la filière n’est pas privilégiée, son contenu reste souvent scolaire et les entreprises ne sont pas suffisamment impliquées. Le cas de l’Alsace, dont le droit local fait dépendre les inspecteurs d’apprentissage des chambres de commerce et non de l’éducation nationale, montre pourtant son efficacité.

Abandons en masse
Mais une délégation plus franche du système en direction des entreprises, en les autorisant notamment, cela paraît une évidence, à mettre les formations en adéquation avec leurs besoins réels ne suffira pas. Car le paradoxe de l’apprentissage réside aussi dans le fait que, en dépit de ses qualités et de son efficacité, il fait l’objet d’abandons en masse. Un tiers des jeunes en CAP et BEP jettent l’éponge avant la fin. La fragmentation de la société laisse sur le bord de la route des bataillons entiers de jeunes sans boussole.

L’éducation nationale n’est pas seule fautive, c’est la société tout entière qui peine à s’occuper de ses générations futures et à les intégrer dans le monde du travail. Ou le fait trop tard, obnubilée par le mythe d’un savoir unique pour tous et qui, à la fin, ne réussit plus qu’à reproduire sans cesse les mêmes élites et laisser les autres en chemin. Un paradoxe de plus que l’apprentissage pourrait justement résoudre.

Philippe Escande

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Apprentissage : l’éternel retour
Comment réconcilier les entreprises avec ces formations ? Des expériences de terrain, notamment en Alsace, montrent la voie
Jusqu’à la fin de novembre, un semi-remorque de la Fédération de la plasturgie parcourt la France à la recherche d’apprentis. Il n’est pas le seul à chercher des candidats. Des milliers de contrats d’apprentissage attendent aussi dans les transports, la logistique et ailleurs. En face, curieusement, ce n’est pas la ruée. Depuis 2008, les entrées en apprentissage sont à la baisse  : – 8  % en  2013, – 12  % sur le premier semestre, indique le ministère du travail. Résultat, depuis six ans, le nombre d’apprentis oscille autour de 425  000. Le total de 421  000 en  2013 est encore loin de l’objectif gouvernemental, rappelé le 19  septembre à l’Elysée, lors de la réunion avec les partenaires sociaux pour relancer l’apprentissage.  »  L’objectif de 500  000 alternants d’ici à 2017 est maintenu  « , scandait dans son discours du 28  avril le ministre du travail et de la formation professionnelle, François Rebsamen.

De la demande d’un côté, pas assez d’offres de l’autre, il devient urgent de réconcilier apprentis et entreprises si l’on veut enfin donner sa chance à ce dispositif essentiel pour réduire le chômage des jeunes. Car le jeu en vaut la chandelle. Les jeunes issus de la filière d’apprentissage au niveau CAP ont un taux de chômage plus de deux fois inférieur à celui des jeunes diplômés issus des filières générales  : 11  % pour les apprentis contre 26  % pour les autres. Et une fois diplômés, ces jeunes occupent des emplois  »  plus souvent en CDI, à temps plein et leurs salaires sont légèrement supérieurs   » à ceux des non-apprentis, indique le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq), qui a suivi l’évolution de ces jeunes durant plusieurs années après leur entrée sur le marché du travail.

Le développement de l’apprentissage est donc très favorable à l’emploi stable. Les jeunes en sont conscients, puisque 63  % d’entre eux estiment que l’apprentissage leur donne de meilleures chances de trouver un travail. C’est ce qu’ils ont exprimé dans un sondage réalisé fin octobre par Prism’emploi. Serait-ce donc les entreprises qui sont trop frileuses à l’égard de ce dispositif de formation complexe, car organisé à la fois par l’Etat, les régions et les organismes paritaires  ? Pas vraiment, puisque dans les statistiques, les ruptures de contrat d’apprentissage sont le plus souvent à l’initiative de l’apprenti.Au niveau CAP, la catégorie la plus importante de la formation en apprentissage, plus de 34  % des jeunes abandonnent en chemin.

Le phénomène n’est pas nouveau. Le cuisinier étoilé Thierry Marx se souvient de ses années de jeunesse. Il vivait alors dans la cité du 140, rue de Ménilmontant, dans le 20e arrondissement de Paris  :  »  Nous étions quatre copains à être entrés en apprentissage, maiscela n’a pas marché.   » Le chef du Mandarin oriental Paris, qui est aujourd’hui passé du côté employeur, s’explique  :  »  Ce qui nous avait manqué dans nos quartiers, c’était des modèles d’excellence et un cadre pédagogique. C’est chez les Compagnons du devoir puis chez les parachutistes que je suis rentré dans le moule. C’était une première relation d’homme à homme. Quand il y a une vraie lisibilité des règles pour le candidat, ça marche.  « 

Multiples sources de désaccord
Quant à la pédagogie nécessaire, il est plus concret  :  »  Il faut mettre le doigt sur les métiers, sur l’environnement, expliquer le pourquoi et non pas seulement s’en tenir au comment. Le diplôme doit être la conséquence d’un projet. C’est la dramaturgie de l’échec qui a beaucoup pénalisé les jeunes  « , analyse-t-il.

 »  Le jeune n’est pas préparé à ce que l’entreprise attend de lui  « , renchérit Valéry Auchère, chef de projet du centre des Apprentis d’Auteuil, chargé des nouveaux dispositifs pour lutter contre les ruptures anticipées.  »  Je me suis orientée vers un CAP de restauration. Malheureusement, je ne suis pas allée au bout, témoigne Sadet Durdu, 18 ans, en CAP agent polyvalent de restauration au centre de formation des Apprentis d’Auteuil. Passer de la vie scolaire à la vie active est un grand changement pour un jeune. Au début, ce n’est pas forcément évident. On débute au bas de l’échelle. Les patrons ne nous laissent pas toujours le temps d’apprendre. Ils veulent qu’on soit opérationnel tout de suite. Et il peut y avoir des désaccords sur les termes du contrat.  « 

Les sources de désaccord entre apprentis et entreprises sont multiples  : l’impréparation des jeunes aux rythmes et codes de la vie en entreprise, le non-respect de l’apprenti et du code du travail par les entreprises.  »  Les patrons nous emploient à des missions qui ne correspondent pas à notre projet professionnel. Moi, j’étais censée devenir serveuse et mon employeur m’utilisait pour faire la plonge. Comme il n’y avait personne au CFA pour faire tampon, j’ai jeté l’éponge. Le 1er  août, j’ai intégré le CFA Apprentis d’Auteuil de Schiltigheim – Bas-Rhin – , où je suis un CAP agent polyvalent de restauration. Et ça se passe beaucoup mieux  « , ajoute Sadet Durdu.

Ces problèmes s’ajoutent à d’importants freins au développement de l’apprentissage  : le coût de l’apprentissage, le logement et le fossé culturel entre deux mondes, celui de l’éducation nationale et celui de l’entreprise.  »  L’apprentissage est procyclique. Quand l’économie va bien, il va bien. Mais dès qu’on approche des zones de stagnation, il ralentit. Pourquoi  ? Parce qu’en plus d’être un mode pédagogique, il est aussi un contrat de travail. Et la priorité des entreprises n’est pas d’embaucher des apprentis, mais plutôt de pérenniser des emplois  « , indique Pierre-Antoine Gailly, président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris-Ile-de-France.

Réduire le coût de l’apprentissage pour les entreprises est donc le levier qui paraît de prime abord le plus immédiatement efficace, même dans un contexte économique peu favorable à la dépense publique. C’était le cas en  1993 lorsque fut promulguée la loi quinquennale, qui, en augmentant les incitations financières et en abrogeant l’agrément du maître d’apprentissage, a provoqué un quasi-doublement des effectifs d’apprentis, passés progressivement entre 1993 et 2001 de 210  000  à 360  000. Le taux de chômage des moins de 25 ans était alors autour de 20  % et la France était en récession. Ce qui confirme  »  le caractère incitatif des subventions à l’embauche d’apprentis  « , commentent le sociologue Maël Dif-Pradalier et le philosophe Samuel Zarka, coauteurs de l’étude  »  Redonner ses chances à l’apprentissage   » (CFTC, septembre  2014).

Effet de vases communicants
Pendant des années, les entreprises qui prenaient des apprentis ont bénéficié de systèmes d’allégements de charges et de cotisations. Mais, depuis 2013, le système des compensations financières a été revu. Les aides aux entreprises ont fait l’objet d’un amendement à la loi de finances pour accorder, à partir de janvier  2015, une prime de 1  000  euros à celles qui se convertiraient à l’apprentissage ou recruteraient de nouveaux apprentis.

Mais l’efficacité de cette initiative est contestée par les entrepreneurs qui estiment, au mieux, que c’est insuffisant, au pire, qu’on leur donne d’une main ce qu’on vient de leur prendre de l’autre.  »  Dans le système précédent, l’Etat donnait 1  000  euros à toute entreprise qui prenait un apprenti, les conseils généraux ajoutaient 1  000 à 1  500  euros, et un crédit d’impôt complétait le tout en octroyant de 2  400 à 3  600  euros supplémentaires. La redéfinition de la prime, attribuée sous conditions, a été perçue par les entreprises comme une perte financière, explique François Moutot, directeur général de l’Assemblée permanente des métiers et de l’artisanat (APCMA). L’entreprise perçoit au mieux 2  000  à 3  000 euros, soit deux fois moins qu’auparavant, et, au pire, plus rien du tout. Quand la situation économique est difficile, prendre un apprenti qui ne vous coûte rien la première année, c’est faisable, dans le cas contraire, c’est compliqué.  « 

 »  Psy de l’artisanat  « 
Pour l’économiste Marc Ferracci, professeur à l’université de Nantes et membre du Centre de recherche en économie et statistique,  »  il faut évidemment raisonner à ressources constantes, compte tenu des contraintes budgétaires  « , mais il voit dans la baisse des entrées en formation plus qu’une question de coût, un effet de vases communicants avec la mise en place des emplois d’avenir.  »  La concordance temporelle est troublante  « , souligne-t-il.

Il reconnaît que  »  la demande de travail est d’autant plus sensible au coût que le personnel est peu qualifié  « , mais estime que les pistes à suivre sont ailleurs.  »  Pour réconcilier les entreprises avec l’apprentissage, il faut modifier la gouvernance, simplifier le parcours en limitant le contrôle de l’éducation nationale pour tenir compte de façon plus étroite des besoins des entreprises. Un des enjeux est que les branches professionnelles reprennent la main sur le contenu des formations, comme en Allemagne, où ils ont créé un marché de la certification.  « 

Les contenus trop académiques des formations, en décalage avec les besoins des apprentis en entreprise, sont critiqués à la fois par les apprentis, les entrepreneurs et les médiateurs d’apprentissage. Ces derniers font, avec les inspecteurs d’apprentissage, un travail de terrain qui a marqué des points ces dernières années contre les ruptures de contrat et les abandons de formation.

Le cas de l’Alsace est exemplaire de ces pratiques vertueuses. Agnès Fes est inspectrice d’apprentissage dans cette région, où le droit local fait dépendre l’inspecteur des chambres consulaires et non du rectorat comme dans le reste du pays.  »  Je me sens un peu la psy de l’artisanat. Appelée par les entreprises, les centres de formation ou les familles, mon rôle est celui d’un traducteur à tous les niveaux, pour expliquer la vie d’un jeune, la situation familiale, le contexte. D’un côté, les jeunes n’ont souvent pas conscience qu’ils signent un contrat de travail, ils croient qu’ils entrent en formation  ; d’un autre, les employeurs ne respectent pas toujours le code du travail  « , dit-elle.

 »  Pour nous, inspecteurs, le fait d’être assermentés assoit l’autorité à l’égard de toutes les parties, et les artisans nous écoutent facilement car on ne dépend pas de l’éducation nationale, dont ils gardent souvent de mauvais souvenirs. On s’autorise alors à dire en face ce qui ne va pas, et le franc-parler, ça marche  « , souligne-t-elle. Pour l’inspectrice, Il faut du temps pour comprendre les codes de l’entreprise. Mais le résultat est là  :  »  Quand il y a rupture de contrat, les jeunes rebondissent dans une autre entreprise. Il y a un gros flux d’appels, mais très peu de ruptures sèches, sauf quand l’apprenti n’est vraiment pas mature.  « 

De leur côté, les médiateurs qui interviennent dans le cadre d’une expérimentation menée en Alsace sont éducateurs spécialisés. Leur accompagnement est différent et complémentaire de celui des inspecteurs.  »  Ce qui est important, c’est d’intervenir tout de suite. Quand un jeune n’est pas en cours le matin, à partir de cinq minutes de retard on l’appelle, et si c’est compliqué on va le chercher à la maison. Pour l’absentéisme et pour les ruptures, l’impact est très fort. Alors que dans l’hôtellerie et la restauration le taux de rupture peut atteindre 40  %, on est en dessous des 15  %  « , explique Michael Nachon, responsable des médiateurs au sein du pôle insertion des Apprentis d’Auteuil.

 »  Passent à travers les mailles du filet des jeunes qui ont un déficit de codes sociaux, autrement dit des postures inadaptées en entreprise. Si on veut se recentrer sur les publics les plus fragiles, il faut investir, comme en Allemagne, dans le préapprentissage et réallouer les moyens sur les bas niveaux de qualification, en modulant les subventions en fonction des diplômes  « , propose Marc Ferracci. En attendant le retour de l’emploi, l’expérience de terrain menée en Alsace, loin de la politique nationale, marque des points pour réconcilier apprentis et entrepreneurs.

élodie Chermann et Anne Rodier


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