Le drame à Charlie Hebdo fait une victime collatérale… 1/2

Cet article montre de manière directe et franche que nous vivons dans un monde très compliqué. Entre les hommages unanimes que la France porte aujourd’hui, nous remarquons que Charlie Hebdo n’a pas toujours eu le soutien inconditionnel de toute la Nation.

Il a fallu 12 morts pour rappeler que la liberté d’expression est un principe intangible.

Car oui, on peut être pour le rapprochement des peuples et fustiger la, les religions, portant une adoration aveugle à des Dieux qui ne restent que des hypothèses…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 10 Janvier 2015

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On a tué  » Charlie « , et la gauche antiraciste avec

En  2006, dans un livre intitulé On a tué Theo Van Gogh (Flammarion), l’essayiste Ian Buruma s’interrogeait sur le massacre du cinéaste hollandais,  » enfant provocateur   » des années 1960, par un jeune islamiste, en plein cœur d’Amsterdam. Qualifiant cet acte de  »  meurtre à principes  « , Buruma avait sous-titré son ouvrage Enquête sur la fin de l’Europe des Lumières. Près de dix ans plus tard, le carnage qui a eu lieu dans les locaux de Charlie Hebdo, autre  »  enfant provocateur  » de l’après-68, apparaît également comme un crime à principes, qui pourrait bien menacer de mort, en France, la gauche antiraciste.

Autrefois consensuelle, sûre de ses repères, cette tradition antiraciste est en crise depuis le début des années 1990. Au lendemain de la première  »  affaire du foulard  « , en  1989, les militants qui la portent commencent à se diviser sur la question du voile islamique et de sa signification pour les femmes.  »  Nous sommes entrés dans une zone d’ambiguïté  « , prévient en  1991 le politologue Pierre-André Taguieff, soulignant que le nouveau racisme n’invoque plus l’inégalité biologique mais la différence culturelle et l’incompatibilité des mœurs.

Par la suite, de controverses sur les  »  émeutes de banlieue   » en polémiques sur l’inconscient  »  postcolonial   » de la République, les choses se seront déjà beaucoup dégradées quand surgira le traumatisme du 11  septembre 2001. Les associations traditionnelles de la gauche antiraciste, à commencer par la Ligue des droits de l’homme, la Licra, le MRAP ou encore SOS Racisme, sont alors en proie à de violents débats autour de l’islam, d’autant plus douloureux qu’ils mettent en lumière des points aveugles au cœur de la tradition antiraciste, mais aussi féministe, de la gauche française.  »  Universalistes   » contre  »  Indigènes  « , partisans du  »  droit à l’indifférence   » contre militants du  »  droit à la différence  « , tout le monde se déchire, les uns accusant les autres de relativisme et de complaisance à l’égard de l’islamisme, les autres rétorquant que leurs adversaires instrumentalisent la défense des femmes pour instiller l’islamophobie.

C’est à la lumière de ces batailles intestines au sein de la gauche que s’éclaire le destin de Charlie Hebdo. Comme toute la sphère antiraciste, l’hebdomadaire satirique a dû affronter un double péril  : à droite, la pression du Front national et le retour de flamme de la pensée réactionnaire fragilisaient le discours antiraciste, sans cesse fustigé comme une idéologie bien-pensante,  » politiquement correcte « , bref dangereuse  ; et à gauche, donc, ce même antiracisme était de plus en plus souvent accusé de dérive islamophobe. Parce qu’il a poussé très loin sa ligne  »  anticléricale  « , et surtout parce qu’après les attentats du 11  Septembre il a tendu à concentrer sur l’intégrisme musulman l’essentiel de ses sarcasmes, Charlie Hebdo s’est retrouvé au milieu du front.

 »  Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste  !  « , proclamaient Charb, le directeur du journal, qui vient de mourir sous les balles, et son confrère Fabrice Nicolino. Dans une tribune publiée le 21  novembre 2013 par Le Monde, ils tenaient à réaffirmer  :  »  Nous sommes des antiracistes de toujours.   » Ce texte témoignait de la violence des attaques dont le journal avait fait continuellement l’objet, de la part de toute une partie de la gauche. Etaient particulièrement visés l’ancien directeur, Philippe Val, et Caroline Fourest, longtemps chroniqueuse à Charlie.

Haine tenace

En  2012, celle-ci fut gratifiée d’un  »  Y’a bon award  « , distinction infamante attribuée par Rokhaya Diallo et ses amis des  »  Indivisibles  « , censée  »  couronner   » une figure du racisme contemporain. La même année, à la Fête de L’Humanité, des militants sabotèrent un débat auquel la journaliste avait été conviée en scandant  »  Fourest, raciste, dégage  !   » Mais bien au-delà, c’est tout le collectif Charlie Hebdo qui s’est attiré la haine tenace de quelques blogueurs d’extrême gauche, jusqu’à devenir l’une de leurs cibles prioritaires.

En témoignent deux épisodes emblématiques  : en novembre  2011, quand un cocktail Molotov mit le feu aux locaux du journal, un groupe de militants se réclamant de l’antiracisme lança une pétition intitulée  »  Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo  !  « … Deux ans plus tard, et alors que la France commémorait les 30  ans de la Marche contre le racisme et pour l’égalité, le rappeur Nekfeu réclamait  »  un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo   » dans la bande-annonce du film intitulé, justement, La Marche.

Autant d’épisodes qui montrent l’état de division et de confusion qui est désormais celui de la conscience antiraciste. Depuis des années maintenant, les femmes et les hommes qui persistent à se dire de gauche, et pour lesquels l’antiracisme fut longtemps l’un des rares repères solides, se posent la question  : quand on se réclame de l’universalisme et de l’émancipation sociale, comment faire face à la réalité de l’intégrisme islamique tout en dénonçant la haine de l’islam  ? Comment lutter à la fois contre la terreur islamiste et contre l’islamophobie  ?

Cette question, l’hebdomadaire satirique l’a prise en charge, dans son style propre, avec courage et outrance, pour le pire et pour le meilleur. Charlie Hebdo vivant, son équipe a voulu se maintenir sur la ligne de crête, quitte à s’exposer dangereusement. Si le journal ne s’en relevait pas,alors demeurerait seulement la trace sanglante d’une espérance assassinée. 

Jean Birnbaum


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