Il n’est pas normal que des personnes irradiées, car travaillant pour la République, ne soient pas indemnisées !

Très clairement, cette situation est honteuse : on a d’un côté des victimes d’essais nucléaires qui ont été irradiées à cause de leur travail, et d’un autre un Etat-employeur qui refuse leur indemnisation !

Alors, oui, on assiste à l’indemnisation de quelques cas, mais d’autres le devraient être tout autant et ne le sont pas. Le nombre d’indemnisation est l’arbre de la reconnaissance qui cache une forêt de honte !

Pire : cet arbre de la reconnaissance a poussé bien tard car bon nombre de cas avaient été retoqués précédemment ! On voudrait indemniser le minimum de personnes en jouant la montre et en pariant sur leur mort imminente à cause de leur maladie, qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

Ainsi on invente le concept anti-scientifique de « causalité négligeable » de manière à ce que les survivants suivent un parcours des tribunaux interminable. Tout le monde sait que les radiations s’attaquent à la moelle osseuse et pourtant lorsque Bernard Lécullée est atteint d’une aplasie médullaire, une maladie du sang se traduisant par une raréfaction de la mœlle osseuse, on décide que ça ne rentre pas dans le champ des indemnisations…

Que l’on se rassure : ça rentrera dans ce cadre, mais, malheureusement, M. Lécullée ne sera plus là pour bénéficier de l’indemnisation… et je pense que c’est le but…

Une honte…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 15 Janvier 2015

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Demi-victoire pour les victimes des essais nucléaires
La cour d’appel de Bordeaux reconnaît le droit à l’indemnisation de neuf militaires irradiés

L’incroyable feuilleton judiciaire de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français continue dans la douleur. La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt rendu mardi 13  janvier, a reconnu le droit à l’indemnisation pour neuf  victimes sur dix-sept  demandes. Lors des audiences les 2 et 16  décembre, le rapporteur public s’était dit favorable à l’indemnisation de treize  plaignants. Une sorte d’équilibre qui ne satisfait pas ceux qui se battent depuis de longues années pour la reconnaissance de leur statut d’ » irradiés de la République « .

La loi Morin du 5  janvier  2010 devait permettre de reconnaître les victimes, de simplifier leurs démarches et de les indemniser. Cinq  ans après sa mise en application et la création du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), les progrès sont nuls.

Alors que 150 000  personnes sont potentiellement atteintes par ces essais qui se sont déroulés de 1960 à 1996, dont certains atmosphériques – 4 au Sahara et 41 en Polynésie française sur un total de 210  essais –, et que le Civen a reçu 911  demandes d’indemnisation, seules 16  ont été accordées.  » Le dispositif de la loi Morin est inopérant et freine la reconnaissance qu’il devait favoriser, explique Marie-Josée Floc’h, présidente de l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN) Gironde. Il faut le revoir pour qu’enfin cette page de l’histoire de France puisse s’écrire et que l’Etat accepte de faire face à toutes ses responsabilités.  » Autrement dit par l’une des avocats des victimes, Cécile Labrunie,  » il est absurde de mettre en place un système d’indemnisation qui n’indemnise personne « . Pour autant, l’avocate veut voir dans les décisions favorables de la cour d’appel de Bordeaux  » un élan positif sur lequel s’appuyer « .

Claude Lequesne fait partie des heureux qui ont vu enfin aboutir leur demande d’indemnisation. Ce militaire de 68  ans est atteint d’une leucémie myéloïde chronique. L’ancien quartier-maître a effectué plusieurs missions en Polynésie, de 1965 à 1967, puis d’autres séjours en  1970, 1975 et encore en  1980. Il a effectué des  » travaux spéciaux « , comme des mesures dans le lagon de l’atoll de Mururoa, lors du premier  essai polynésien dit  » Aldébaran  » le 2  juillet  1966. Il a successivement travaillé dans l’archipel des Gambier ou sur l’atoll de Fangataufa.  » Je faisais des prélèvements de la faune et de la flore, je plongeais dans les eaux de l’atoll, c’était super, raconte Claude Lequesne. J’ai aussi réalisé des mesures sur le cratère provoqué par un tir nucléaire à Mururoa et j’ai même une photo de moi, torse nu, avec le champignon nucléaire en arrière-fond. « 

C’est d’ailleurs en voyant, en  2004, la même photo dans un article de la revue Historia consacré aux  » irradiés de la République  » que le marin s’est inquiété. En  2009, le professeur François-Xavier Matton, du CHU de Bordeaux, constate une leucémie et lui demande s’il n’a pas travaillé dans le nucléaire. Depuis, M.  Lequesne, qui vient aussi d’être opéré d’un cancer de la prostate, se bat pour la reconnaissance de sa maladie. Le ministère de la défense rejette sa demande en  2010, puis une nouvelle fois en  2011.  » M.  Longuet – ministre de la défense de 2011 à 2012 – m’a expliqué qu’il y avait une présomption de causalité mais qu’elle était négligeable dans la survenue de ma maladie « , se rappelle-t-il. Après un jugement favorable en décembre  2013 du tribunal administratif de Bordeaux, immédiatement contesté par le ministère, Claude Lequesne voit la cour d’appel lui donner enfin raison.

 » Causalité négligeable »

Cette notion de  » causalité négligeable  » est à la base de la plupart des rejets.  » La qualification du risque négligeable lié aux essais nucléaires est un véritable nœud à contentieux qui amène les victimes à suivre un parcours judiciaire interminable « , avance l’AVEN. Comment apporter des preuves de contamination, ou a contrario d’absence de contamination, quand les vétérans ne portaient pas de dosimètre ou n’ont pas été suivis après les essais ?  » Il est toujours difficile d’apporter la preuve qu’un cancer est la conséquence d’une cause unique, en l’occurrence l’exposition aux tirs nucléaires, quand il n’y a pas eu de surveillance radio-biologique et que, de surcroît, aux risques d’irradiation externe s’ajoutent les possibilités d’inhalation de poussières radioactives « , détaille Cécile Labrunie.

Christine Lécullée, 76  ans en mars, fait partie des recalés. Son histoire, ou plutôt celle de son mari, Bernard, décédé le 4  janvier  1976, est exemplaire. Parti dans le Sahara algérien en  1963, il est resté trente  mois à travailler dans les pires conditions.  » Il a assisté à des essais atmosphériques et souterrains, dit, toujours émue, Christine. Quand il est rentré pour rejoindre sa nouvelle affectation à Sarrebourg, en Moselle, à l’hiver 1965, il avait perdu ses ongles, ses cheveux, ses dents et il était d’une pâleur à faire peur.  » Fier militaire, Bernard n’a pas voulu consulter. Un malaise en  décembre l’oblige à voir un médecin. Après plusieurs hospitalisations, en mars  1966, il est transféré à l’hôpital militaire de Percy, à Clamart.

Bernard Lécullée était atteint d’une aplasie médullaire, une maladie du sang se traduisant par une raréfaction de la mœlle osseuse. Malheureusement pour Christine, cette pathologie n’entre pas dans le champ des  » dix-huit maladies radio-induites  » reconnues par la loi Morin. Elle sera déboutée de toutes ses démarches.  » Pourtant, avance très en colère la veuve de Bernard, son invalidité a été estimée par l’armée à 80  % en  1967 puis à 100  % en  1971. Elle est même passée, en  1975, à 100  % plus 28  degrés, ce qui correspond à 380  %, du jamais-vu ! Et le ministère refuse aujourd’hui l’indemnisation. « 

De nombreux dossiers sont en attente, à Rennes, Lille, Toulouse. A Paris, Versailles, les décisions ont été favorables aux victimes. A Lyon, au contraire la cour d’appel a rejeté les demandes d’indemnisation et les victimes ont décidé d’aller devant le Conseil d’Etat.  » L’indemnisation n’est pas le seul but, on veut la reconnaissance ; beaucoup sont déjà morts dans l’oubli total « , insiste Mme Floc’h.

Rémi Barroux

    Les chiffres

    150 000
    C’est le nombre de civils et de militaires qui ont potentiellement été exposés aux radiations des essais nucléaires français.

    210
    C’est le nombre d’essais nucléaires menés au Sahara (17) et en Polynésie française (193) entre 1960 et 1996.

    911
    C’est le total des demandes d’indemnisation déposées auprès du Civen au 1er  septembre  2014.

    859
    Ce sont les dossiers examinés. Seize indemnisations ont été accordées, soit 98,1  % rejetées.


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