Quand la Commission européenne semble préférer ses lobbyistes à ses concitoyens…

Comment se fait-il que la Commission européenne dise que le bisphénol A est sans danger alors même que la France affirme le contraire ?

Comment se fait-ce que la Commission européenne ait pris cet avis alors même que les perturbateurs endocriniens, dont fait partie le bisphénol A, ne sont toujours pas définies au sens réglementaire du terme en Europe ? Cela pose question car la Commission s’était engagée à publier pour décembre  2013 les critères de définition de ces produits mais ne l’a toujours pas fait.

Très clairement, dans cette affaire, il y a des doutes qui se doivent d’être levés par la Commission !

Tout cela ne redonnera pas confiance aux citoyens dans ses instances Européennes et ne fera que reconduire une abstention record lors des futures élections Européennes, ou bien à la montée encore plus flagrante du Front National…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 24 Janvier 2015

******************

La Commission européenne s’isole sur les perturbateurs endocriniens
Les experts européens viennent de déclarer le bisphénol A sans danger, en opposition avec l’interdiction française du 1er  janvier

Soupçons d’ingérence des industriels dans le travail des experts, menaces de poursuites de la Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union… Les tensions s’accumulent autour du dossier des perturbateurs endocriniens – ces substances de synthèse présentes dans une multitude de produits d’usage courant ainsi que dans l’alimentation – dans lequel l’expertise et l’exécutif européens apparaissent de plus en plus isolés.

Dernier accrochage en date : la publication, mercredi 21  janvier, de l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur le bisphénol A (BPA), perturbateur endocrinien entrant dans la composition de nombreux plastiques et qui est, depuis le 1er  janvier, interdit en France dans les contenants alimentaires. Dans son avis, l’EFSA estime, elle, que  » le BPA ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs de tous les groupes d’âge « . Et ajoute que  » l’exposition par voie alimentaire ou par l’intermédiaire d’une combinaison d’autres sources (alimentation, poussière, cosmétiques et papier thermique) est considérablement inférieure au niveau sans danger « . Une conclusion en opposition frontale avec l’expertise française conduite entre 2011 et 2013 par l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

L’avis de l’EFSA a soulevé un concert de réprobations.  » Je suis très surprise par cet avis, curieusement lancé au moment où l’interdiction du BPA est entrée en application  » en France pour les contenants alimentaires, a déclaré Ségolène Royal à l’AFP, ajoutant que l’avis des experts européens  » va à l’encontre de celui d’autres structures qui, depuis des années, pointent les risques liés à l’exposition au BPA « .  » Le ministère va faire expertiser cet avis, pour voir si le poids des lobbies n’est pas intervenu dans sa publication « , a poursuivi la ministre française de l’écologie.  » Une nouvelle fois, la question de l’indépendance de l’agence européenne est posée « , renchérit Gérard Bapt, député (PS) de Haute-Garonne et père de la loi française sur le BPA.

Les organisations non gouvernementales, comme le Réseau Environnement Santé (RES) ou Générations futures, ne sont pas en reste et dénoncent  » la stratégie du doute mise en place par l’EFSA consistant à ignorer 95  % du millier d’études publiées montrant la toxicité du BPA « . L’autorité européenne répond, de son côté, que son expertise a été réalisée  » en respectant les normes les plus élevées d’excellence scientifique et en conformité avec – sa – politique sur l’indépendance « .

Pression politique

Pour la Commission, ce pataquès ne pouvait pas plus mal tomber. Car la dispute entre Paris et Bruxelles sur le BPA se trame dans le contexte plus large du défaut de régulation de l’ensemble des perturbateurs endocriniens, suspectés d’aggraver les risques de nombreuses maladies et troubles chroniques en augmentation (cancers hormono-dépendants, infertilité, diabète, troubles neuro-comportementaux, etc.). L’absence de régulation spécifique à ces substances tient à ce qu’elles ne sont toujours pas définies au sens réglementaire du terme en Europe. La Commission s’était engagée à publier pour décembre  2013 les critères de définition mais a reporté sine die cette mesure, lançant une étude d’impact préalable et une consultation publique, qui s’est clôturée le 16  janvier.

 » La consultation a donné lieu à beaucoup de réponses, environ 27 000, et il va nous falloir du temps pour les analyser, en tirer des enseignements, dit-on à la Commission. Au moins plusieurs mois.  » Ces nouveaux délais sont interprétés par de nombreux observateurs comme une manière de gagner du temps.  » Il est très, très étonnant que la Commission ait lancé une consultation publique pour établir des critères définissant les perturbateurs endocriniens, dit Lisette van Vliet, chargée de mission à l’Alliance pour la santé et l’environnement (Health and Environment Alliance, HEAL), une ONG qui rassemble une soixantaine d’associations de la société civile, de syndicats de soignants ou de mutuelles. D’une part, cette procédure ne semble pas appropriée pour définir des critères censés être fondés sur la science ; et d’autre part, tout le travail préalable a déjà été mené par la Commission, qui avait notamment commandé un rapport scientifique sur le sujet.  » Ce dernier, commandé en  2009, avait été rendu en  2012.  » Nous menons un travail minutieux, cela prend du temps « , répond-on à la Commission, qui se défend de jouer la montre.

Cependant, la pression politique monte. En novembre  2014, la Suède a décidé d’attaquer la Commission devant la Cour de justice de l’Union européenne, pour n’avoir pas respecté le délai de décembre  2013. Dans une déclaration du 16  janvier, le Conseil européen – représentant les 28 Etats membres de l’Union – s’est prononcé à une forte majorité pour soutenir la Suède dans sa démarche. A Strasbourg, les membres de la commission des affaires juridiques du Parlement européen ont aussi fait savoir à leur président, Martin Schulz, qu’ils s’étaient en majorité prononcés pour que le Parlement européen, dans son ensemble, appuie, lui aussi, la démarche suédoise.

Cécile Ducourtieux et Stéphane Foucart (à Paris)


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *