Nos prisons : berceau du terrorisme…

Voici un article très intéressant du mode d’emploi pour transformer un petit voyou en terroriste. Il suffit de l’enfermer en prison… A méditer au vu de notre politique pénale et de notre répression qui passe trop souvent par la voie de la prison…

La prison est-elle un lieu où l’on se reconstruit et l’où on peut rejoindre la société ? A l’aune de cet article, il est très fortement permis d’en douter !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 30 Janvier 2015

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Le prosélytisme carcéral, terreau de la radicalisation

Djamel Beghal et Smaïn Aït Ali Belkacem sont considérés comme les principaux agents recruteurs du salafisme pénitentiaire
Le cas d’Amedy Coulibaly illustre la question de la radicalisation islamiste en détention. Comme avant lui Khaled Kelkal, l’un des auteurs des attentats de 1995, Mohamed Merah, le tueur de Toulouse, et Mehdi Nemmouche, celui de Bruxelles, l’assassin de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes était d’abord un petit braqueur de cité devenu, après un épisode carcéral, terroriste sanguinaire.

Pour Coulibaly, cela s’est passé à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) lorsqu’il côtoie, en  2006, Djamel Beghal qui purge alors une peine de dix années de prison pour un projet d’attentat, en  2001, contre l’ambassade des États-Unis, à Paris. Une radicalisation qui se traduit par le projet d’évasion, mené par le mentor et son élève, d’un autre terroriste, Smaïn Ait Ali Belkacem. Incarcérés depuis une quinzaine d’années en France, Beghal et Belkacem figurent comme deux des principaux agents recruteurs du salafisme pénitentiaire. Ces deux hommes qui n’ont pas été, à ce jour, mis en cause dans l’enquête sur les attaques de janvier, opèrent dans des styles très différents.

Placé à l’isolement entre mars  2003 et 2006 et aussi depuis 2010, Djamel Beghal est considéré comme un détenu modèle, aucun incident n’est inscrit dans son dossier carcéral excepté un appel à la prière en  2006. Mais, auréolé d’une réputation de fin théologien, Beghal n’a pas besoin de hausser la voix ni même de beaucoup de temps pour assurer son emprise sur un détenu.

 » Abderrahmane de Montargis « 

Farid Melouk n’avait besoin de personne pour se radicaliser. Il a été condamné en France pour son soutien aux Groupes islamistes armés et en Belgique toujours pour des faits de terrorisme. Pourtant il suffit, de son propre aveu, d’un transfert commun, en  2004, de la maison d’arrêt de la Santé au palais de justice de Paris, pour que ce vétéran du djihad tombe sous le charme de Djamel Beghal. Une fois sorti de prison en  2009, Farid Melouk rencontre Chérif Kouachi, fait office de commis de Beghal, récupère ses affaires lorsque celui-ci est de nouveau interpellé, lui envoie des mandats en prison.

A l’opposé de son ami Beghal, Smaïn Ait Ali Belkacem, 46 ans, est beaucoup plus remuant en détention. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat, en  1995, à la station RER Musée-d’Orsay, à Paris, il est connu de l’administration pénitentiaire pour recruter dans les différentes maisons d’arrêt qu’il écume depuis maintenant vingt ans. En  2004, la fréquentation du culte musulman a doublé dans le bâtiment où il était incarcéré à la centrale de Saint-Maur (Indre). A son passif carcéral, trois projets d’évasion, le dernier date de mars  2013 lorsque, avec un jeune braqueur récemment converti, Belkacem a tenté de faire sauter une porte de la cour de promenade de la prison de Réau (Seine-et-Marne).

Dans un rapport qui lui est consacré le 6  avril  2010, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire souligne que, lorsqu’il ne pense pas à s’évader, Belkacem  » évoque le Coran à voix haute et participe à des prêches ou prières collectives non autorisés (…) il était également considéré comme le meneur d’un groupe d’islamistes radicaux qui avaient des tensions avec un groupe de non-islamistes à Saint-Maur entre 2004 et 2006 « .

Stéphane Hadoux, petit délinquant du Loiret, a croisé en  2001 Belkacem à l’arrivée de celui-ci au bâtiment D2 de Fleury-Mérogis. Au bout de quinze jours, l’administration décide de les séparer. Peine perdue : Hadoux se fait désormais appeler  » Abderrahmane de Montargis « . En  2005, il tombe avec des complices suspectés de préparer des attentats visant le siège du contre-espionnage français et l’aéroport d’Orly.

Sur une écoute, on découvre que Hadoux est proche de ceux qu’il qualifie d' » élèves  » de Beghal, Chérif Kouachi,  » notre frère bien aimé « , et Amedy Coulibaly, qui est marié avec la sœur de son ex-compagne. Dans un courrier retrouvé en  2010 chez Kouachi, Hadoux exalte la  » sortie glorieuse de vie par une mort honorée  » et l' » éternité glorieuse  » ainsi acquise.

Pour endoctriner Teddy Valcy, braqueur antillais, Smaïn Ait Ali Belkacem a un ressort tout trouvé : sa croisade contre la pénitentiaire. Lors d’une tentative d’évasion en  1998, les surveillants avaient abattu un de ses complices en train d’escalader à ses côtés le grillage de la maison d’arrêt en Guadeloupe. En 2008, Valcy sert de gros bras à Belkacem lorsqu’il y a des tensions avec d’autres détenus. Une fois libre, il passe sous la coupe de Beghal et prépare l’évasion de Belkacem avec la complicité d’un autre braqueur converti, Amedy Coulibaly.  » Pour moi, le summum de l’amitié, c’est d’être prêt à faire sauter des murs pour libérer un frère « , résumera Valcy.

Avec un assassinat, une tentative de meurtre sur un gardien de prison et deux évasions au casier judiciaire, Nadir Mansouri est libérable en  2029 lorsque Smaïn Ait Ali Belkacem est transféré à la centrale de Clairvaux (Aube). Mansouri, qui s’est converti sous l’égide de Beghal en 2008, passe désormais son temps dans la cellule 208 qu’occupe Belkacem. Les deux hommes réclament des parloirs communs avec leurs épouses voilées pour prier ensemble. L’administration pénitentiaire s’inquiète, le 12  avril  2010, de l' » influence négative  » que Mansouri exerce aux côtés de Belkacem  » sur l’ensemble de ses codétenus « .

Interrogé par Le Monde, un voyou – qui souhaite garder l’anonymat – lui aussi converti par un membre du duo Beghal-Belkacem, décrypte leur procédé :  » Après un braquage, tu te retrouves en prison. Les mois passent. Ta voiture est saisie, ta maison aussi. Tu te dis :  »Je me suis trompé de carrière. Et puis, tu vois des mecs en promenade, condamnés à 20 ans de taule et ils ont toujours le sourire. Tu leur demandes quel est leur secret.  »C’est l’islam ! »Ils sont charismatiques. Ils affichent leur gentillesse pour mieux te mettre leur disquette dans la tête… « 

La difficulté est ensuite pour les services de renseignement de l’administration pénitentiaire de déceler ceux dont la radicalisation représente une vraie menace. Parmi les élèves du duo Beghal-Belkacem, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly étaient loin d’avoir les plus gros pedigrees. Ce sont pourtant eux qui sont passés à l’acte.

J.  FO., S. PI. et M. SU.

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