Pour comprendre un peu mieux l’affaire Ukrainienne…

Je n’avais pas saisi à quel point le poids de l’histoire de la seconde guerre mondiale était présent en Ukraine. A la lecture de cet article, je comprends mieux comment des accusations de « nazisme » ont pu naître par la bouche d’officiels Russes.

C’est donc un bel article qui est écrit ici et qui jette une lumière bienvenue pour comprendre une partie du discours utilisée dans le conflit Ukrainien…

Bonne lecture…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 3 Février 2015

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Auschwitz, Poutine, l’Ukraine et la confusion des mémoires

Vladimir Poutine ne s’est pas déplacé à Auschwitz, mardi 27  janvier. Une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement avaient fait le voyage pour célébrer les 70 ans de la découverte par l’Armée rouge de l’immense camp, presque désert, dans lequel plus de 1  million de prisonniers, pour la plupart juifs, avaient trouvé la mort. Mais le président russe, lui, n’en était pas. Comme si cette absence n’était pas assez spectaculaire, au moment même où les célébrations commençaient en Pologne, M.  Poutine s’est servi de la tribune que lui offrait le Musée du judaïsme de Moscou pour accuser les pays occidentaux de chercher à  » réécrire l’histoire  » de la seconde guerre mondiale au détriment de la Russie. Rien de moins.

La portée symbolique de ce geste est suffisamment évidente pour qu’on s’y arrête. D’autant plus qu’on ne peut le comprendre sans un détour par la crise ukrainienne, un conflit dans lequel la confusion idéologique règne et où l’arme de l’histoire, depuis près d’un an, est sans cesse mobilisée. Reprenons. La colère du président russe est partie d’une déclaration du chef de la diplomatie polonaise, Grzegorz Schetyna, avançant que  » c’étaient des soldats ukrainiens qui étaient présents ce jour de janvier  1945 « , lors de la découverte du camp. Une attaque insupportable pour Moscou, factuellement fondée – l’unité était commandée par un commandant juif ukrainien, Anatoly Shapiro, et, officiellement, le premier soldat à entrer dans le camp serait un tankiste d’origine ukrainienne nommé Igor Pobirchenko –, mais au minimum simplificatrice : les soldats de la 60e  armée du premier front ukrainien, comme l’ensemble de l’Armée rouge, venaient des quatre coins de l’empire soviétique.

UN DOGME HISTORIQUE RUSSE

Logiquement, la déclaration du ministre polonais, alors que les relations entre les deux pays sont marquées par une franche hostilité depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, en mars  2014, a provoqué la fureur du Kremlin. Reste que la provocation polonaise n’est pas moins caricaturale que le raccourci par lequel Moscou, depuis la chute de l’URSS, s’accapare le mérite exclusif de la victoire sur le nazisme en considérant l’armée russe comme la seule à pouvoir se réclamer de l’héritage de l’Armée rouge.

Cette controverse avait été précédée d’une escarmouche, quelques mois plus tôt. Au printemps 2014, une campagne menée par des partisans de la révolution de Maïdan avait permis de faire inviter le président ukrainien sur les plages de Normandie, pour les 70  ans du Débarquement, au grand déplaisir de Moscou. Grâce à un argument imparable : si l’Armée rouge n’était pas exclusivement russe, pourquoi inviter uniquement M.  Poutine ? Ainsi Petro Porochenko s’était-il retrouvé le 6  juin en bonne place sur les photos officielles… Ces querelles pourraient sembler anodines si elles ne visaient pas, plus largement, un dogme historique russe dont on mesure mal la portée en Europe occidentale : la Grande Guerre patriotique, par laquelle l’URSS l’a emporté sur l’Allemagne nazie.

Cette victoire fondatrice, obtenue au prix tragique de plus de 20  millions de morts, est un titre de gloire qui, pour le Kremlin, ne saurait être contesté (ou relativisé) impunément. Surtout alors que le pouvoir, engagé dans une fuite en avant autoritaire et nationaliste, tolère de plus en plus mal les moindres voix discordantes, et entretient religieusement le culte de la victoire de 1945. Pour l’avoir oublié, début 2014, la télévision privée Dojd, qui avait osé évoquer – timidement – la possibilité d’une alternative à la défense à outrance de Léningrad (le siège de la ville, de septembre  1941 à janvier  1944, fit plus de 1,5  million de morts), s’était vue retirer son autorisation d’émettre.

Le souvenir de la guerre et de l’écrasement du nazisme est au cœur du patriotisme russe, mais s’il y a un lieu où celui-ci occupe une place démesurée, c’est bien l’Ukraine. Aussi, c’est tout naturellement que depuis la chute de Viktor Ianoukovitch, en février  2014, la dénonciation d’un supposé retour du nazisme à Kiev est devenue un mantra du discours officiel russe, abondamment relayé par des médias aux ordres. L’accusation s’appuie sur un fait incontestable : l’alliance avec le Reich, durant le conflit, de dizaines de milliers de nationalistes ukrainiens rêvant d’en découdre avec Moscou, quelques années après la Grande Famine et les vagues de la terreur stalinienne, qui avaient fait dans le pays plusieurs millions de morts. Des soldats perdus, auteurs de nombreux massacres anti-polonais et complices actifs des nazis dans le génocide des juifs, et dont le chef charismatique, Stepan Bandera (1909-1959), est l’effrayant symbole.

En qualifiant d’ » héritier idéologique  » de Bandera le nouveau pouvoir ukrainien, à la faveur de la présence dans le mouvement révolutionnaire de groupuscules ultra-minoritaires se réclamant de son héritage, M.  Poutine flatte un ressentiment encore très vivace en Russie, tout en faisant de la lutte contre Kiev un nouvel avatar d’une cause sacrée : le combat antinazi. Paradoxalement, son meilleur allié dans l’affaire n’est autre que… le pouvoir ukrainien lui-même, dont les maladresses et les ambiguïtés alimentent la confusion.

En déclarant le 7  janvier, sur la chaîne allemande ARD :  » Nous nous souvenons tous de l’invasion de l’Ukraine et de l’Allemagne par l’URSS. Nous ne devons pas permettre à nouveau cela « , donnant ainsi l’impression que l’Armée rouge était l’agresseur des nazis sur le front de l’Est, le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, n’aura pas contribué à apaiser les esprits. L’histoire, décidément, ne sort jamais épargnée des guerres idéologiques.

Jérome Gautheret


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