Quand HSBC jouait aux voyous…

Après les révélations sur HSBC concernant l’évasion fiscale, cet article va plus loin encore : il montre que la banque a joué les complices dans la criminalité internationale !

On croirait à un mauvais polar, mais non, HSBC s’est bien rendue coupable dans le blanchiment d’argent plus que sale, par l’achat de diamants et d’armes…

Cela est honteux et des têtes doivent tomber en allant au pénal et en mettant en prison les responsables de ces actes abjects !

En attendant, merci ‘Le Monde’ pour cet article passionnant !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 05 Mars 2015

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La coopérative du crime
Dès 2002 et au moins jusqu’en 2007, HSBC Private Bank a abrité des comptes douteux, résultat d’une alliance entre des dealers d’ecstasy vietnamiens d’Atlanta, un diamantaire de Toronto et un trafiquant d’armes israélien lié à Al-Qaida et à un cartel mexicain

Le jour baissait sur la banlieue d’Atlanta, ce lundi 22 mars 2004, quand la voiture du sergent Sean Mahar s’arrêta au feu, juste derrière la Mercedes. Deux femmes aux longs cheveux noirs étaient assises à l’avant. Seule la passagère portait sa ceinture. Lorsque le véhicule reprit sa route vers le nord, sur Buford Highway, le sergent Mahar resta dans son sillage et enclencha son gyrophare. Peu après, la Mercedes se garait sur le parking d’un supermarché.

La conductrice présenta un permis au nom de Jenny Nguyen. La passagère, elle, parlait nerveusement au téléphone dans une langue que le sergent ne comprenait pas. Le policier demanda l’autorisation de fouiller la voiture. Dans le coffre, les liasses de billets étaient soigneusement rangées dans deux cartons blancs et un sac en plastique, triées par coupures de 10, 20, 50 et 100 dollars, et attachées par des élastiques. Ce jour-là, la voiture de Jenny Nguyen contenait 414 870 dollars (environ 370 000 euros) provenant de la distribution d’ecstasy dans les rues de la ville de la côte est des Etats-Unis par un gang vietnamien.

Les liasses étaient en partance pour les comptes 31241 et 14025 chez HSBC Private Bank, à Genève, en Suisse. Elles devaient y être envoyées, comme beaucoup d’autres avant elles, par dizaines de petits virements, depuis des bureaux de transfert de fonds indépendants, comme An Chau Services ou HO Express. Les données bancaires  » SwissLeaks  » obtenues par Le Monde montrent que les comptes en question appartenaient à deux diamantaires : Anh Ngoc Nguyen, alias  » Lenny « , établi à Toronto, au Canada, et Alain Lesser, basé à Anvers, en Belgique. Le premier collectait l’argent envoyé depuis Atlanta et achetait des diamants par l’intermédiaire du second. Les pierres étaient ensuite acheminées au Vietnam pour être remises à un individu appelé  » Uncle Five « . Quelques jours après l’arrestation de Jenny Nguyen, les relevés des deux comptes portant l’en-tête de la banque suisse ont été retrouvés, lors d’une perquisition, dans une maison d’Atlanta, avec des diamants, des liasses de billets et un pistolet Beretta 9 mm.

L’enquête de la DEA, l’agence antidrogue américaine, sur les dealers d’ecstasy vietnamiens, l’opération  » Candy Box « , durait depuis plus d’un an. Et l’arrestation de Jenny Nguyen au coin de Buford et de McClave ne devait rien au hasard. Une heure avant de se ranger derrière la Mercedes, le sergent Mahar avait reçu des instructions de l’agent spécial de la DEA Kenneth McLeod dans une station-service. Il lui avait demandé de trouver un prétexte pour arrêter la voiture de Jenny Nguyen, qu’il savait remplie d’argent de la drogue grâce aux écoutes téléphoniques. Ce contrôle inopiné devait permettre aux enquêteurs d’accumuler des preuves, tout en évitant de trop inquiéter le clan, juste avant le coup de filet. En oubliant de boucler sa ceinture, Jenny Nguyen n’avait fait que faciliter la tâche du sergent Mahar.

Dix jours plus tard, l’opération  » Candy Box  » débouchait sur 130 arrestations, la saisie de 400 000 pilules d’ecstasy, d’un stock d’armes et de 6 millions de dollars en liquide. Le réseau distribuait de la drogue depuis le Canada vers dix-huit villes des Etats-Unis, au moins depuis 2002.
 » Mr Simon  » et  » l’abeille reine « 

La  » blanchisseuse  » en chef du réseau, Thi Phuong Mai Le, était surnommée  » l’abeille reine  » ou  » gros nichons  » par ses associés. Cette Vietnamienne de 38 ans était capable de blanchir 5 millions de dollars par mois, selon le FBI. Les autorités américaines estiment qu’au moins 8 millions auraient transité par HSBC Genève. Thi Phuong Mai Le a été condamnée à quinze ans de prison en 2008. De leur côté, les deux diamantaires clients de HSBC ont poursuivi tranquillement leurs affaires. En janvier 2005, neuf mois après l’envoi de la demande d’entraide américaine qui l’impliquait dans l’opération  » Candy Box « , HSBC proposait à Alain Lesser de créer une société offshore pour mieux échapper au fisc belge.

Dans le cas de  » Lenny « , Anh Ngoc Nguyen, les banquiers de HSBC ont poussé la complaisance encore plus loin. Lorsque les Etats-Unis ont demandé à la Suisse de bloquer les 300 000 dollars qu’il détenait chez HSBC, la banque lui a recommandé de s’adresser au cabinet d’avocats Baker & McKenzie pour s’y opposer. Rodolphe Gautier, 28 ans, brillant avocat genevois spécialisé dans la criminalité en col blanc, est parvenu à faire lever temporairement ce séquestre en invoquant un vice de forme. L’Office fédéral de la justice suisse avait omis de respecter un délai de recours de soixante-douze heures. A ce stade, HSBC aurait pu demander à son client diamantaire de débarrasser discrètement le plancher et d’aller blanchir son argent ailleurs. Mais pas du tout.

Dès la levée du séquestre, la banque a permis à Anh Ngoc Nguyen d’ouvrir un deuxième compte et d’y transférer les fonds visés par les autorités américaines. Le diamantaire en a profité pour faire disparaître 200 000 dollars au passage. Il a fallu des mois de procédures entre les Etats-Unis et la Suisse pour faire saisir le deuxième compte. En 2007, date à laquelle s’arrêtent les données  » SwissLeaks « , Anh Ngoc Nguyen était toujours client de la banque genevoise.

S’il a pu se jouer aisément des autorités suisses, le diamantaire de Toronto a eu la partie moins facile une fois assis dans une salle d’interrogatoire face à l’agent spécial McLeod. Inculpé et arrêté lors d’un séjour aux Etats-Unis avec sa famille, il a rapidement avoué.

Des aveux accablants. La piste donnée par Anh Ngoc Nguyen aux enquêteurs de la DEA révèle que la banque suisse n’a pas seulement hébergé les fonds de dealers. Ses coffres ont servi de base arrière, pendant des années, à une coopérative du crime où le blanchiment de l’argent de la drogue, le commerce des diamants et le trafic d’armes se complétaient habilement. La confession du diamantaire allait aussi permettre aux enquêteurs de la DEA de retrouver la trace d’un trafiquant d’armes israélien auquel ils s’intéressaient depuis 2001.

Anh Ngoc Nguyen a expliqué qu’un de ses principaux partenaires dans le système de blanchiment était un homme qu’il avait rencontré peu après l’ouverture de son compte en Suisse et qu’il ne connaissait que sous le nom de  » Moshe « . Quand les enquêteurs lui ont présenté huit photos d’identité, son doigt s’est posé sur celle de Shimon Yelinek. Les données en possession du Monde montrent que cet homme, né en Israël en 1961, conseiller à la sécurité du dictateur congolais Mobutu Sese Seko dans les années 1980, avait pu maintenir ses comptes auprès de HSBC au moins jusqu’en 2007, bien qu’il ait été impliqué dans d’importants trafics d’armes dès 2001. Ils abritaient un peu plus de 860 000 dollars.

A l’époque de ses premiers exploits, Shimon Yelinek avait 40 ans. Il était installé avec son épouse, Limor, au 23e étage de l’Edificio Mirage, une des plus hautes tours de Panama. Il se faisait appeler  » Mr Simon « . Ce nom et un numéro de téléphone étaient apparus en 2001 sur une note manuscrite trouvée à Anvers, lors d’une perquisition de la justice belge qui enquêtait sur un réseau de trafic d’armes et de diamants entre le Liberia et la Sierra Leone. Un réseau qui avait permis à Al-Qaida d’échapper au blocage de ses comptes bancaires par les autorités américaines, en convertissant des dizaines de millions de dollars en diamants peu avant les attaques du 11-Septembre. C’est le FBI qui avait révélé l’identité de Shimon Yelinek à la justice belge, à partir du numéro de téléphone trouvé sur la note.
geôles panaméennes

Parmi les têtes de ce gang, un diamantaire et trafiquant d’armes chiite libanais actif au Congo, Aziz Nassour, dont la piste menait à Genève. L’homme détenait, comme Shimon Yelinek, un compte auprès de la Republic National Bank, rachetée par HSBC en 1999. Il l’avait fermé en 1997, juste après que Shimon Yelinek y eut ouvert les siens. Ce dernier n’a jamais été poursuivi pour ses liens avec les fournisseurs de diamants d’Al-Qaida. Curieusement, c’est une autre affaire qui a failli causer sa chute.

Le 7 novembre 2001, le cargo Otterloo, battant pavillon panaméen, déchargeait quatorze conteneurs remplis de 3 117 kalachnikovs et de 5 millions de cartouches dans le port de Turbo, en Colombie. Les armes provenaient d’un stock de l’armée du Nicaragua. Sur le papier, le chargement était destiné à la police de Panama. L’Israélien s’était arrangé pour les faire livrer à leur véritable destinataire : la milice d’extrême droite paramilitaire colombienne des Autodéfenses unies de Colombie,  » AUC « , spécialisée dans les laboratoires de cocaïne et le transport maritime de la drogue.

Malheureusement pour lui, cette livraison allait connaître un retentissement mondial sous le nom d' » affaire Otterloo « . Un an plus tard, en novembre 2002, Shimon Yelinek se faisait passer les menottes à l’aéroport Tocumen de Panama. A partir de cette date, HSBC ne pouvait plus ignorer le pedigree de son client. Les connexions de Shimon Yelinek avec le réseau d’Aziz Nassour et Al-Qaida ont été révélées fin 2002 par le Washington Post. Or, les données en notre possession montrent que Shimon Yelinek a pu garder ses comptes suisses durant toute cette période, et même bien des années plus tard.

Plus surprenant encore, l’enquête de la DEA dans l’affaire des dealers vietnamiens d’Atlanta a révélé que Shimon Yelinek a acheté sa sortie des geôles panaméennes en 2004 grâce à des comptes qu’il contrôlait chez HSBC Private Bank. Le détail des transferts opérés depuis le compte d’Anh Ngoc Nguyen a montré que 465 000 dollars versés à Shimon Yelinek par les dealers ont été à leur tour virés au Panama, en 2003, par l’intermédiaire d’une autre banque suisse. L’un des destinataires de ces fonds était l’avocat panaméen de Shimon Yelinek dans l’affaire Otterloo. Et ce demi-million de dollars venu de Suisse n’avait certainement pas servi qu’à régler ses honoraires.

Les résultats de l’enquête sont tombés sept ans plus tard. Le 23 février 2011, le département américain du Trésor a inscrit le nom de Shimon Yelinek tout en haut d’une liste de sanctions internationales visant le réseau de blanchiment du sinistre cartel mexicain de Sinaloa, un des syndicats du crime les plus puissants du monde. L’affaire Otterloo de 2001, notamment, aurait été réalisée avec l’aval de l’organisation mexicaine. Bien qu’il ne soit inculpé d’aucun crime à ce jour, cette mesure impose à toutes les banques de bloquer les avoirs de Shimon Yelinek et de les déclarer aux autorités américaines. La banque HSBC n’a pas voulu dire si les comptes dont son embarrassant client disposait, entre 1995 et 2007, étaient toujours actifs quand les sanctions américaines ont été prononcées, en 2011. Shimon Yelinek a refusé de répondre aux questions du Monde. Son avocate, Mirjam Teitler, indique que son  » client conteste tout lien avec Anh Ngoc Nguyen et avec Aziz Nassour « .

Cependant si ces soupçons se confirment, HSBC pourrait avoir à expliquer un jour pourquoi sa filiale de Genève a abrité, sans rien dire, un homme dont elle connaissait depuis des années l’implication dans des trafics de drogue et d’armes, ainsi qu’avec Al-Qaida. Et qui s’est finalement révélé être un des plus proches blanchisseurs des barons mexicains. Shimon Yelinek vivrait aujourd’hui en Israël avec son épouse et ses enfants.

Aliaume Leroy, Marie Maurisse et François Pilet ( » L’Hebdo « )

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