Quand notre justice ne sait plus où elle va…

Cet article de M. Lhomme pose les véritables questions, mais il en oublié une…

Car, en parlant de paradoxe, on aurait pu aussi parler de l’arrêt honteux du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) à l’égard de M. Courroye. En effet, le jugement parle d’un côté d’un juge « ne pouvant ignorer les dispositions légales du secret des sources » et d’un autre « un critère délibéré quand à cette décision ne pouvant être démontré ».

Le CSM a sous-entendu que M. Courroye a agi inconsciemment, ce qui est un comble pour un magistrat du niveau de M. Courroye !

Sinon, en dehors du fait qu’un paradoxe n’ait pas été relevé, on oublie le rôle particulièrement nauséabond de Mme Taubira dans cette affaire ! Elle s’est en effet refusée à contredire le CSM sous le principe de la séparation des pouvoirs !

Il faut rappeler ici que la séparation des pouvoirs a une limite quand elle touche aux fondements de la démocratie ! La liberté de la presse est garante de la Démocratie. Opposer la séparation des pouvoirs à un jugement qui n’est
qu’une absolution par les membres du CSM de faits commis par l’un des leurs, est une honte !

La valeur ultime de notre pays repose sur la Démocratie, pas sur la séparation des pouvoirs ! En effet, la séparation des pouvoirs a été inventée pour préserver la Démocratie, non l’inverse !

La séparation des pouvoirs a des limites quand des juges doivent juger l’un des leurs !

Le rôle de Madame Taubira aurait été de rappeler ces faits. Elle ne l’a pas fait, honte à elle…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 13 décembre 2014

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Affaire Bettencourt : la justice est-elle devenue schizophrène ?

L’affaire Bettencourt est décidément maudite. Comme frappés par un sortilège, les acteurs de ce conflit familial devenu scandale d’Etat semblent avoir basculé, à un moment ou à un autre, dans l’excès, la déraison, voire l’absurde. Au point de rendre la lecture de cette affaire, plus de quatre ans après son déclenchement, et à quelques semaines de l’ouverture des différents procès censés la clôturer, inintelligible par l’opinion publique. Ce  » syndrome Bettencourt  » qui, entre espionnage des journalistes et pressions sur la Cour de cassation, a fait vaciller la Sarkozie, l’institution judiciaire, c’est une litote, n’y a pas échappé. De fait, depuis 2010, la justice, dépassée par cette histoire hors norme, a multiplié les décisions contradictoires, voire incompréhensibles.

Dernier exemple en date, la mise en examen, le 27  novembre, de Claire Thibout, l’ancienne comptable de Liliane et André Bettencourt, par le juge Roger Le Loire. Le magistrat parisien est saisi depuis l’été 2012 de plaintes émanant de l’artiste François-Marie Banier et de l’ex-gestionnaire de fortune du couple de milliardaires, Patrice de Maistre, deux des principaux prévenus – avec Eric Wœrth – du procès pour  » abus de faiblesse  » prévu à Bordeaux à partir du 26  janvier  2015. Ils auraient profité financièrement de la grande vulnérabilité de Mme  Bettencourt, soupçons étayés par des enregistrements pirates mais aussi des déclarations circonstanciées d’anciens employés de la vieille dame – notamment celles de l’ex-comptable.

Poursuivie pour  » faux témoignage « ,Mme  Thibout se voit reprocher des faits déjà étudiés par Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, les trois juges d’instruction bordelais qui ont enquêté, de l’été 2010 à l’automne 2013, sur les différents volets de l’affaire Bettencourt. Ces trois magistrats, avec le soutien du parquet de Bordeaux et au terme d’investigations extrêmement poussées, étaient parvenus à des conclusions totalement opposées ! Là où leur collègue du pôle financier parisien a considéré le témoignage de Mme  Thibout mensonger, les juges de Bordeaux l’ont qualifié, dans un procès-verbal, de  » crédible « . D’ailleurs, le parquet bordelais, ainsi que les trois juges, avaient refusé de donner suite aux plaintes de MM.  Banier et Maistre.
Enregistrements clandestins

On se croirait en fait revenu au début de l’affaire, à l’été 2010, lorsque le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, refusait obstinément de confier à des juges indépendants les faits révélés par les enregistrements clandestins réalisés au domicile de Liliane Bettencourt. Une simple enquête préliminaire – placée sous son étroit contrôle – fut diligentée. L’affaire menaçait déjà d’éclabousser Nicolas Sarkozy, alors chef de l’Etat, dont M. Courroye est proche. Persuadée pour cette raison que le procureur, avec qui elle entretenait par ailleurs des rapports exécrables, allait enterrer le dossier, la présidente de la 15e chambre correctionnelle de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez, saisie d’une plainte en citation directe émanant de l’avocat de la fille de Mme  Bettencourt, prit alors une initiative spectaculaire. Elle diligenta un supplément d’information, en fait une véritable enquête parallèle, et demanda aux policiers de la brigade financière, dont le service était déjà chargé de l’enquête préliminaire, de mener de nouvelles investigations sur les mêmes faits, plaçant les enquêteurs dans l’embarras que l’on imagine ! Du jamais-vu.

La magistrate auditionna des témoins, certains d’entre eux – parmi lesquels, déjà, Mme Thibout – allant jusqu’à confier, sur procès-verbal, leur aversion pour les méthodes du procureur Courroye… Ce dernier, faisant fi du secret des sources, alla de son côté jusqu’à consulter les communications de journalistes du Monde, dans l’espoir d’établir que Mme Prévost-Desprez était leur informatrice. La Cour de cassation sanctionna ces dysfonctionnements inédits en ordonnant le dépaysement du dossier, fin 2010. Saisi de l’affaire et prenant la mesure de la gravité et de la diversité des infractions mises au jour (blanchiment, abus de faiblesse, financement politique illicite, etc.), le parquet de Bordeaux, à rebours de celui de Nanterre, ouvrit huit informations judiciaires, toutes confiées à M. Gentil, Mme Ramonatxo et Mme Noël.

L’une d’elles, ouverte pour  » atteinte à l’intimité de la vie privée  » et visant les médias (Mediapart puis LePoint) ayant dévoilé les enregistrements clandestins à l’origine de l’affaire, a conduit la justice, une nouvelle fois, à prendre des décisions pour le moins paradoxales. En effet, les juges, après les avoir mis en examen, ont ordonné le renvoi en correctionnelle des journalistes– dont l’auteur de ces lignes – coupables d’avoir révélé le contenu des fameuses conversations entre Liliane Bettencourt et des membres de son entourage. Le procès devrait se tenir à Bordeaux au printemps 2015.

Or, quelques semaines plus tôt, le même tribunal aura donc jugé les protagonistes des deux principaux volets de l’affaire (au procès pour  » abus de faiblesse « , en janvier, succédera celui pour  » trafic d’influence « , en mars), qui n’auraient sans doute pas comparu si la presse n’avait pas publié les enregistrements pirates. En résumé, la justice semble considérer que les médias n’auraient pas dû rendre publiques des informations dont elle-même s’est pourtant saisie après leur diffusion ! Là encore, même si les différentes décisions des magistrats sont juridiquement défendables, on peine à en distinguer la cohérence. A croire qu’avec l’affaire Bettencourt l’institution judiciaire est devenue schizophrène…

lhomme@lemonde.fr

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