Le vrai monde de l’économie, ce n’est pas ça !

De nouveau, on assiste à des pratiques honteuses au sein de certaines entreprises. De nouveau le court terme remplace le long terme et l’on se sert de l’entreprise comme d’un porte-monnaie sur pattes tout juste bonne à rétribuer ses actionnaires aux dépends de sa propre survie.

Dans ce cadre, on ne peut pas continuer à verser des salaires à de prétendus grands patrons avant même qu’ils n’aient démontré quelques talents vis à vis de leurs fonctions.

La mondialisation a engendré des pratiques inexcusables. Il faut mettre fin à ces pratiques afin qu’elles ne servent pas de prétexte à des guignols d’extrême gauche pour essayer de démontrer que la mondialisation est néfaste dans son ensemble, et leur donner une excuse de jeter bébé avec l’eau du bain.

Il est urgent que nos politiques et nos dirigeants, nationaux et internationaux, agissent en la matière en ayant conscience de l’abus de telles pratiques intolérables et inexcusables.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 10 Avril 2015

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Le  » golden hello  » sourit aux audacieux

Dans la République romaine, l’accueil d’un nouvel édile donnait lieu à des festivités qui étaient financées par celui-ci. Il devait faire preuve de sa générosité en donnant des fêtes, en construisant des édifices, mais aussi en distribuant des subsides au peuple au nom duquel il allait exercer sa fonction. Ce que l’on appelle l’évergétisme ad honorem, c’est-à-dire lié à la charge, était une pratique caractéristique de la cité antique, comme l’a montré Paul Veyne (Le Pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Seuil, 1976).

Il permettait de signaler que, pour exercer son pouvoir, celui qui prétendait gouverner les autres devait sacrifier une partie de sa fortune pour en faire bénéficier ceux qu’il avait l’honneur de diriger. Les édifices construits à cette occasion portaient par exemple la mention  » Fait avec son argent  » (ou DSPF pour  » De Sua Pecunia Fecit « ). La mise en scène du pouvoir passait par les dons comme preuves que l’on se consacrait au public en s’engageant personnellement, puisque le nouvel édile n’hésitait pas à mettre à contribution son patrimoine privé pour le bien commun. Il manifestait ainsi symboliquement que la richesse personnelle lui était moins précieuse que la charge qui lui était confiée.

Cette représentation du pouvoir est radicalement inversée dans les grandes entreprises modernes, comme le montre avec éclat la pratique des  » golden hello  » versés aux grands patrons. Le  » golden hello  » (littéralement :  » une bienvenue en or « ) est un défraiement sous forme de primes et d’avantages pécuniaires attribués au dirigeant qui accepte de prendre la tête de l’entreprise. Contrairement à l’antique évergétisme, ce n’est pas le nouveau venu qui distribue son or pour faire preuve de munificence désintéressée lors de sa prise de fonctions : c’est au contraire le conseil d’administration qui offre des libéralités au nom de l’entreprise.

Les gouvernés doivent ainsi sacrifier un peu de leurs avoirs en signe de bienvenue au chef. Par exemple, Sanofi a annoncé, en février, qu’Olivier Brandicourt percevra 4 millions d’euros de  » golden hello « pour saluer son accession à la direction générale de l’entreprise. A cette prime s’ajoutent 66 000 actions gratuites, puis 220 000 stock-options par an et 45 000 actions sous condition de performance. Tout se passe comme si les 110 000 employés du groupe pharmaceutique avaient versé tout de suite 37 euros chacun à leur nouveau patron pour l’accueillir dignement à leur tête.
idéologie néolibérale

Cette pratique des  » golden hello  » est un surgeon de l’idéologie néolibérale et de son corollaire, la survalorisation du talent individuel. Dans cette logique, l’entreprise est un espace d’épanouissement et d’exploitation des capacités, des connaissances et des habilités développées par chaque employé. C’est moins une communauté de travail qu’une pépinière de compétences singulières. A sa tête doit donc se trouver l’image même du talent reflétant symboliquement la valeur de ceux qu’ils dirigent. Dans un monde marchand, cette image se traduit par un prix élevé, tribut à payer par l’entreprise pour démontrer qu’elle est assez riche pour attirer le meilleur.

Pour le dirigeant, prendre la tête d’une entreprise, c’est consentir à mettre son talent à son service alors que l’on pourrait fort bien en diriger une autre. Ainsi s’établit une mise en scène du pouvoir selon laquelle la tâche de diriger n’est pas vue comme un service si honorable qu’on serait prêt à lui sacrifier sa fortune, mais, au contraire, comme une étape dans une trajectoire d’excellence individuelle qui exige gratification.

L’inversion par rapport à l’évergétisme antique est donc totale car tout au long de l’exercice de sa charge (dès son arrivée, durant son mandat et même à son départ, sous forme de  » parachute doré « ), un haut dirigeant recevra des dons sous forme de primes, bonus et stock-options pour honorer sa présence, son talent et ses performances – selon une réinterprétation moderne du vieil adage latin Audaces fortuna juvat ! ( » la fortune sourit aux audacieux « ).

par Pierre-Yves Gomez


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