Ne pouvait-on pas décerner le prix du meilleur jeune économiste à une autre étude ?

La France est embourbée dans des problèmes économiques graves et récurrents. On aurait pu penser que le prix du meilleur jeune économiste pouvait apporter des réponses à ces questions graves et dont la solution doit être apportée urgemment.

Las, il n’en est rien…

Je n’ai rien contre l’étude de la consommation en Afrique Noire, mais le rôle d’un économiste n’est-il pas de résoudre des questions liées à son pays en priorité ? On va peut-être me traiter de réac’ mais, à titre personnel, je suis déçu qu’avec les graves problèmes qu’a notre pays, on favorise la notoriété d’une étude dont les effets ont lieu à 3000km de chez nous…

Et encore : quand dans l’étude on dit qu’il vaut mieux avoir des classes de niveau pour dispenser un savoir à 90 élèves, je me demande combien de temps il a fallu pour tirer une conclusion pareille alors qu’elle tombe sous le sens ! Ou, dans la même veine, que statistiquement quand on donnait des allocations sociales à une famille au Maroc, l’enfant avait plus de chances de retourner à l’école. Il est certain que vu le niveau de pauvreté là-bas, recevoir une bourse peut éviter d’avoir à faire travailler le jeune. Par contre, et c’est l’objet de mon premier point, j’aurais bien aimé savoir si, en France, il y avait un lien entre les allocations et le retour en classe !

Bref, je suis déçu que l’on décerne un prix de cette importance pour des faits qui ne changeront en rien la politique économique de notre pays. Tout cela ne serait pas aussi grave si notre pays n’en avait pas aussi cruellement besoin !

Deux articles du journal ‘Le Monde’ daté du 19 Mai 2015

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Prix du meilleur jeune économiste 2015
Pascaline Dupas, professeur à Stanford (Californie), a été distinguée par  » Le Monde  » et le Cercle des économistes, en partenariat avec le Sénat. Ses travaux sur les politiques d’éducation et de santé en Afrique, comme ceux des autres nominés sur l’emploi, la pauvreté et la régulation des marchés, visent d’abord à éclairer la décision publique
Le Prix du meilleur jeune économiste, décerné par le Cercle des économistes et Le Monde,et remis en partenariat avec le Sénat, vise depuis sa création il y a quinze ans à distinguer l’excellence académique, la capacité d’innovation et la participation au débat public.

Le Cercle des économistes s’est voulu depuis l’origine un lieu de débat. Notre ambition a toujours été de se contraindre à appliquer la rigueur scientifique à des sujets mis sur le devant de la scène, à faire le lien entre la politique économique et l’académisme. Même si, dans notre pays, le débat économique n’est que peu souhaité par les politiques et, dans les faits, a rarement lieu…

Le Cercle des économistes s’emploie malgré tout à travailler des thèmes au cœur de l’actualité, et par là même à encourager de jeunes économistes à s’en emparer. C’est aussi le cas du thème choisi pour chaque édition des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, y compris cette année où nous nous confronterons à cette question si difficile, si actuelle et si prospective qu’est celle du travail.

41 candidatures dont 14 femmes
Comme chaque année, le palmarès 2015 distingue des économistes aux trajectoires variées et internationales. Il confirme le rôle du Prix du meilleur jeune économiste français, dont les lauréats ont toujours bénéficié d’un élargissement immédiat de leur notoriété auprès des médias et des autorités publiques. Leurs analyses novatrices ont vu leur diffusion s’élargir et des opportunités nouvelles d’influence ont pu s’ouvrir. L’économie retrouve toute son utilité et sa valeur à travers ce prix, qui permet à de jeunes talents d’exprimer leur compréhension du monde en devenir.

Cette année, 41 candidatures émanant d’économistes de moins de 40 ans, dont celles de quatorze femmes, nous sont parvenues. Elles provenaient de jeunes chercheurs travaillant dans les meilleures institutions d’enseignement supérieur ou de recherche français – notamment l’Ecole d’économie de Paris, l’Ecole d’économie de Toulouse, Dauphine, Sciences Po, l’Ecole polytechnique, Aix-Marseille Université, l’Insee… – et internationaux – notamment le Massachusetts Institute of Technology (MIT), Stanford, Berkeley, la London School of Economics (LSE), Louvain, le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE)… L’augmentation continue du nombre de candidats traduit la prise de conscience qu’aujourd’hui être l’un des meilleurs économistes français, c’est aussi être l’un des meilleurs économistes du monde.

La lauréate du Prix 2015, Pascaline Dupas, professeur à Stanford (Californie), est une spécialiste des politiques de développement. Elle appartient au JPAL, laboratoire d’action contre la pauvreté du MIT, fondé notamment par Esther Duflo, lauréate du Prix 2005. Ses travaux, recourant à de -rigoureux protocoles d’évaluation, ont eu des conséquences importantes sur les -politiques publiques dans de nombreux pays.

Le Cercle des économistes

Palmarès
Les lauréats de 2000 à 2014

Bruno Amable et Agnès Benassy-Quéré (2000) Pierre Cahuc (2001) Philippe Martin et

Thomas Piketty (2002)

Pierre-Cyrille

Hautcœur (2003)

David Martimort (2004) Esther Duflo

et Elyès Jouini (2005)

Thierry Mayer et Etienne Wasmer (2006) David Thesmar (2007) Pierre-Olivier

Gourinchas (2008)

Yann Algan et Thomas Philippon (2009)

Emmanuel Saez (2010) Xavier Gabaix (2011)

Hippolyte d’Albis (2012)

Emmanuel Farhi (2013)

Augustin Landier (2014)

Un prix créé par  » Le Monde  » et le Cercle des économistes
Le Prix du meilleur jeune économiste, créé en 2000 avec le soutien du Sénat, est destiné à valoriser les travaux – thèse ou article publié – d’un(e) chercheur(euse) français(e) âgé(e) de moins de 40 ans. Les économistes représentant le monde universitaire et les grandes écoles peuvent concourir à ce prix, destiné à couronner des travaux portant sur l’économie appliquée en prise avec le réel et participant aux débats d’actualité. Chaque membre du Cercle sélectionne cinq candidats, sur dossier comprenant une liste de travaux et deux textes représentatifs. Dix d’entre eux sont retenus, parmi lesquels sont choisis les finalistes. Enfin, un jury composé de membres du Cercle et de la rédaction du Monde Economie & entreprise désigne le lauréat et les nominés. Le Cercle des économistes, créé en 1992, est présidé par Jean-Hervé Lorenzi.

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Pascaline Dupas :  » Privilégier le terrain à la théorie « 
La lauréate 2015 a  » toujours préféré l’approche concrète de l’économie, l’observation directe de la réalité « 
Pascaline Dupas, 38 ans, est professeure associée à l’université Stanford (Californie).

Vos recherches concernent les investissements des ménages et des gouvernements africains dans le domaine de la santé et de l’éducation. Pourquoi cette spécialisation ?

J’ai toujours privilégié l’approche concrète des questions économiques, et donc l’observation directe de la réalité. L’éducation et la santé sont deux facteurs essentiels de la productivité du travail, et donc de l’accroissement du produit intérieur brut, dans tous les pays. En Afrique, la question est de savoir pourquoi un taux élevé de morbidité et de mortalité, ou encore la faiblesse du niveau d’éducation persistent malgré les investissements consentis. C’est en étudiant les comportements des parents, des enfants, des enseignants, des institutions que l’on peut déterminer quel type de politique publique il convient de mettre en œuvre pour améliorer la situation.

Comment avez-vous été amenée à travailler sur ces questions ?

Avant de faire ma thèse, je voulais absolument passer un an en Afrique, sur le terrain. L’Ecole normale supérieure ne m’offrait pas cette opportunité, mais m’a permis d’obtenir une bourse pour Harvard, où j’ai rencontré Esther Duflo et Michael Kremer, qui faisaient déjà des études de terrain quelques années avant qu’ils ne créent The Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab, laboratoire d’action contre la pauvreté au Massachusetts Institute of Technology. Du jour au lendemain, j’ai pu partir au Kenya, pour un an. J’y avais des amis, qui ont perdu leur enfant tué par la malaria. J’ai voulu comprendre pourquoi. Je me suis intéressée au prix optimal des traitements et de la prévention, par exemple les moustiquaires antipaludéennes, et j’ai conclu à l’efficacité de la gratuité totale. Je me suis intéressée à l’organisation optimale des classes dans les écoles kényanes, aux meilleures modalités de distribution de produits de purification de l’eau, ou encore à la bonne façon d’informer les jeunes filles sur les risques du sida… En fait, j’ai travaillé sur ce qui me sautait aux yeux en vivant là-bas.

Mais selon une méthodologie expérimentale extrêmement précise ?

Oui. Il s’agissait de comparer des groupes tests et des groupes témoins, afin de déterminer les dispositifs les plus efficaces. Une classe de CP au Kénya, c’est en général 90 enfants assis par terre, dans un hangar, face à un maître. Comment, dans ces conditions, améliorer la performance scolaire ? Réduire la taille de chaque classe ? Cela coûte cher, il faut multiplier le nombre d’instituteurs. Faut-il répartir les élèves par niveau homogène ? Cela facilite le travail de l’enseignant, mais risque d’accroître les inégalités. Mélanger tous les niveaux ? Le risque est d’inciter l’enseignant à ne s’occuper que des meilleurs. Nous avons expérimenté les deux formules, avec 70 écoles composées de classes par niveau, et 70 écoles composées de classes hétérogènes, toutes ces classes bénéficiant d’un instituteur supplémentaire, mais novice et peu payé. La conclusion est que les classes de niveau améliorent la performance de tous les élèves, à condition de confier les classes les moins bonnes aux professeurs les plus motivés. Mais l’écart entre les élèves s’accroît.

Autre exemple, le gouvernement marocain nous a consultés sur un mode de distribution des allocations familiales lié à l’absentéisme scolaire. Nous avons, là encore, appliqué différents dispositifs dans des villages témoins : lien ou non avec l’absentéisme, distribution au père ou à la mère. Il s’est avéré que l’apport des allocations augmente la scolarisation et l’apprentissage, sans que son versement ait besoin d’être conditionné à la présence à l’école, et quel que soit le sexe du parent bénéficiaire.

De tels résultats sont-ils suivis de modifications effectives des politiques publiques ?

Dans le cas de la gratuité des produits antipaludéens, oui. Le Department for International Development, équivalent britannique de l’Agence française de développement, a, par exemple, exigé des gouvernements bénéficiaires de ses programmes la gratuité pour les femmes enceintes. Mes conclusions sur l’information concernant le sida ont été reprises dans un rapport de la Banque mondiale ; une dizaine d’ONG m’ont consultée et ont réorienté leurs actions en conséquence.

Je ne prétends pas que mon travail est prescriptif ; il invite les décideurs à considérer des modalités d’action qui peuvent être contraires aux représentations économiques dominantes ou à en éliminer d’autres, selon le contexte. Le plus intéressant, c’est lorsqu’on découvre qu’une expérimentation marche en contradiction avec ce que suggère la théorie économique. Le  » signal prix  » n’est pas forcément le plus efficace sur un marché comme le médicament ou l’éducation, car il n’y a pas lieu de  » sélectionner  » ceux qui en ont vraiment besoin de ceux qui peuvent profiter d’un effet d’aubaine : car tout le monde est intéressé par la santé ou l’éducation.

De même, de façon contre-intuitive par rapport à l’idée traditionnelle de la  » gabegie  » et de la corruption en Afrique, j’ai pu estimer, avec l’exemple des moustiquaires gratuites, qu’à peine 15 % des moustiquaires, volées ou revendues, ne parvenaient pas à ceux à qui elles étaient destinées, et que cela représentait un coût très inférieur au bénéfice du dispositif en matière de santé publique.

Une autre enquête, sur la décentralisation du versement des subventions publiques auprès des chefs de village, a montré que le clientélisme supposé que cela engendre n’a pas des résultats forcément aussi négatifs que l’on pense. L’évaluation traditionnelle de ces programmes s’attache aux inégalités d’avoirs des ménages selon qu’ils bénéficient ou non des faveurs du chef. Notre étude de terrain au Malawi a montré qu’il fallait plutôt observer la variation de la consommation des ménages ; car on voit que la bonne connaissance qu’a le chef des besoins et des capacités des ménages en temps réel lui permet de mettre en place un système redistributif qui présente plus d’avantages que d’inconvénients.

propos recueillis par Antoine Reverchon

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