Nous nous sommes comportés comme des lâches en Afghanistan

On a bénéficié d’une aide par la population et nous avons abandonné les gens qui nous l’ont apportée… C’est honteux ce qu’il s’est passé. La moindre des choses aurait été d’assurer la sécurité à des gens qui nous avaient aidés.

Il n’est cependant pas trop tard : il faut savoir renvoyer l’ascenseur et accueillir ces gens qui nous ont aidés car leurs choix les met en danger.

C’est un choix politique que nous nous devons d’assumer…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 11 Juin 2015

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 » La France nous a déjà abandonnés une fois… « 
A Kaboul, des anciens interprètes de l’armée française survivent dans l’attente d’un visa

Adil Abdulraziq a un épais dossier sous le bras. Des documents prouvant qu’il a travaillé en tant qu’interprète pour l’armée française, entre 2001 et début 2014.  » Voici mes contrats et mes bulletins de salaire, ma photo avec l’ambassadeur de France et une autre qui me montre en train de patrouiller avec les soldats français, dit-il dans un français impeccable en sortant un par un les feuillets, maniés avec minutie. Et ça, c’est le formulaire de demande de visa que j’ai dûment rempli. C’est mon colonel qui me l’a donné. « 

Las, sa demande de visa a été rejetée alors que 73 autres Afghans ayant collaboré avec les forces françaises ont déjà obtenu l’asile en France, accompagnés de leurs familles. Aujourd’hui, Adil Abdulraziq, 29 ans, est le porte-parole de cinquante autres interprètes, qui affirment être menacés dans leur pays. Le départ en France est, pour eux, une question de vie et de mort.
Mobilisation

Pendant treize ans, Adil Abdulraziq était chargé de mettre en place des barrages sur les routes, d’entrer dans les maisons des villageois, de leur demander de sortir avant que les forces françaises procèdent à des fouilles.  » Les Français ne connaissent pas la culture afghane. C’était donc à l’interprète afghan d’entrer et d’avertir les occupants, surtout les femmes « , explique-t-il.

Les villageois l’ont à de multiples reprises photographié et filmé, en tenue militaire, fusil à la main et le visage découvert. Cela lui vaut de nombreuses menaces.  » En 2011, j’ai trouvé une lettre collée à ma porte. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel téléphonique. La voix me disait que j’étais un infidèle, un espion et un traître et que je serai décapité « , se souvient l’interprète. Quelques mois plus tard, une explosion a détruit le mur de sa maison. La police afghane a confirmé qu’il avait été ciblé en raison de son engagement auprès des Français.

La demande de visa d’Adil Abdulraziq date de mi-2013. Un mois après le dépôt de sa demande, on lui a signifié que la procédure de visas pour les interprètes était close. Depuis, il sort rarement de chez lui et vit dans l’angoisse permanente. Il a essayé de trouver du travail dans différents domaines. Sans succès.  » Les employeurs pensent que, s’ils nous engagent, ils seront en danger eux aussi « , explique Adil Abdulraziq.

Si certaines des demandes ont été rejetées, c’est également parce que les interprètes ont présenté leur requête après la fin de leur contrat ou bien après le départ de la grande partie des forces françaises de combat, en 2012.

Outre les interprètes, d’autres Afghans ayant occupé diverses fonctions auprès de l’armée française se disent en danger.  » La situation sécuritaire est en train de se dégrader avec les attentats et les explosions qui se multiplient « , explique Mustafa Qhaderi. Cet Afghan de 31 ans a travaillé, entre 2006 et fin 2014, sur différents marchés construits dans les camps militaires français à Kaboul. D’abord en tant que marchand de tapis, ensuite en qualité d’interprète et d’intermédiaire entre les Français et les boutiquiers afghans. Des services qu’il a payés cher.

En 2008, il a été kidnappé pendant vingt-huit jours par les talibans, avant d’être relâché contre 20 000 dollars (18 000 euros), payés par son frère. Depuis la fin de son contrat, il s’est réfugié dans la boutique de son frère, située à Shahr-e Naw, quartier du centre-ville de Kaboul.  » Je n’ai pas fait de demande de visa, car mes amis qui en ont demandé un ne l’ont pas eu. S’ils y parviennent, je demanderai moi aussi à partir « , dit-il.

Comme lui, Sadiq Sarfaraz, l’ancien chauffeur de la secrétaire de l’ambassadeur de France à Kaboul, entre 2011 et 2013, n’a pas encore formulé sa demande de visa. Depuis la fin de son contrat, il est au chômage et vit avec sa belle-famille à Chelton, une banlieue au nord-ouest de la capitale afghane. Après des visites menaçantes, son fils de 17 ans et sa fille de 13 ans ne vont plus à l’école.  » Notre vie est en danger. Mes enfants sont fatigués d’être toujours enfermés à la maison. J’aimerais qu’ils puissent aller à l’école, mais ici, ça n’est plus possible « , se désole sa femme, Bilgheis.

Pour faire connaître leur situation auprès des autorités françaises, les interprètes ont organisé trois manifestations à Kaboul. La dernière, le 5 mars, devant l’ambassade de France, a connu un grand écho médiatique. L’avocate française Caroline Decroix a décidé de se battre pour régler le problème des interprètes afghans et  » les faire venir en France « , explique-t-elle. Un collectif de 35 avocats a vu le jour ; il s’occupe de 127 dossiers.

Cette mobilisation a porté ses fruits : une délégation du Quai d’Orsay s’est rendue à Kaboul pour déterminer les modalités et les critères du nouveau processus de relocalisation. Le 22 mai, le collectif a été reçu au ministère des affaires étrangères, où il a appris que  » tous les auxiliaires afghans qui ont travaillé pour l’armée française pourront déposer une demande de visa de long séjour pour eux et leur famille  » avant le 30 juin.

A Kaboul, Adil Abdulraziq n’est pas tout à fait rassuré.  » La France nous a déjà abandonnés une fois et nous avons peur qu’elle recommence, explique-t-il. Tant qu’on n’obtient pas de visa, je doute que cette nouvelle décision puisse débloquer notre situation. « 

Ghazal Golshiri

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