La loi doit évoluer pour prendre en compte ces situations !

Cet article est très touchant et très bien écrit !

On se rend compte, à sa lecture, qu’il y a un véritable besoin pour que la loi évolue pour prendre en compte les évolutions récentes de la société Française.

Qu’y-a-t-il de plus beau que de porter un enfant pour sa soeur ?

Le besoin de GPA est là et concerne beaucoup de monde. Dès lors, la loi doit évoluer pour marquer cette réalité car c’est aussi ça la France et la patrie créatrice des droits de l’Homme !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 25 décembre 2015

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Deux sœurs et un couffin
C’est un invraisemblable parcours du combattant et un don qui n’a pas de prix : porter l’enfant de sa propre sœur alors que la gestation pour autrui est interdite en France. Amélie et Justine sont venues à bout de cette aventure en terre inconnue, heureuses
Adrien, 4 mois, s’étire en sortant de son sommeil. Il sourit à sa maman, qui le tient dans ses bras, puis à sa tante, qui lui fait face. Sa tante qui l’a porté pendant neuf mois dans son ventre. Par cette froide matinée de novembre, le soleil baigne d’une douce lumière le salon où Amélie, 36 ans, et Justine, 33 ans (les prénoms ont été modifiés), confient leur témoignage. L’histoire d’un lien puissant entre deux sœurs, d' » une aventure extraordinaire « , jalonnée de moments d’angoisse, de doute, de joie…

Amélie souffre d’un grave problème immunitaire qui provoque des retards de croissance du fœtus. Elle a eu une fille, Léa, aujourd’hui âgée de 10 ans, qu’elle a réussi à porter elle-même mais qui, née à terme, pesait à peine 1,7 kg. Depuis, son corps rejette les grossesses de plus en plus tôt. Après un divorce, elle a refait sa vie avec Fabien, qui n’avait pas d’enfants et à qui elle voulait  » faire connaître le bonheur de la paternité « . Toutes les tentatives, malgré des batteries de traitements lourds, se sont soldées par des échecs. Avec, à chaque fois,  » ce sentiment d’avoir un bébé mort à l’intérieur  » et une insupportable culpabilité.

 » Je voyais ma sœur souffrir, se détruire avec tous ces médicaments, l’angoisse de chaque grossesse prenait le pas sur le plaisir d’être enceinte, poursuit Justine. Surtout quand, en 2012, elle s’est trouvée une nouvelle fois enceinte et moi aussi, deux semaines plus tard.  » Justine attend alors son deuxième enfant. Elles partagent le début de leur grossesse et l’espoir que, cette fois, tout ira bien, mais Amélie perd une nouvelle fois son bébé. Une triste période où sa sœur se sent à son tour coupable de mener à bien sa propre grossesse.

 » C’était presque euphorique « 
C’est à ce moment que vient à Justine l’idée de porter l’enfant de sa sœur, approuvée sans réserve par son mari, Martin.  » On était d’accord sans avoir peut-être bien mesuré tous les tenants et les aboutissants.  » Puis elle l’expose à Amélie.  » Je me suis dit qu’il était hors de question que ma sœur fasse ce sacrifice pour moi, réagit l’aînée. J’étais très touchée mais je ne me sentais pas le droit de lui faire vivre ça. « 

Amélie se rappelle la déception de sa sœur, son désir de faire  » quelque chose de beau  » et comprend que c’est aussi  » une façon pour Justine de se réaliser « . Elle commence alors à apprivoiser cette idée, à se renseigner, même si cela lui paraît encore  » irréel, infaisable « . Une énième tentative de grossesse se solde par un nouvel échec. Le choix s’impose alors à elle.

Mais comment faire puisque la gestation pour autrui (GPA) est interdite en France ? Elles se tournent d’abord vers l’Espagne, puis apprennent que ce pays n’autorise la GPA qu’avec un donneur anonyme. Ne restent, dans l’Union européenne, que deux pays qui autorisent et encadrent la GPA : le Royaume-Uni et la Roumanie. Elles optent pour l’Angleterre, consultent les sites d’information qui répertorient les cliniques en fonction du type d’opération et arrêtent leur choix sur Londres.

Le premier rendez-vous avec le médecin a lieu en avril 2014, par téléphone, pour que chacune fournisse les éléments permettant d’établir la légitimité de la demande. Le comité d’éthique accepte le dossier, mais elles doivent préalablement rencontrer une psychologue, avec leurs maris. En juillet, Amélie et Fabien, Justine et Martin se rendent tous les quatre à Londres. Les deux couples sont reçus séparément puis le directeur de la clinique leur annonce son accord.  » Vous voulez le faire quand ? «  » On s’est tous regardés, on ignorait les délais. Il nous a dit que ça pouvait se passer dès le mois suivant si on voulait. Du coup, tout est devenu réel, accessible… « 

Elles décident de se caler sur les vacances de la Toussaint car le protocole médical oblige, les quinze derniers jours, à être sur place. Entre-temps, il leur a fallu effectuer plusieurs déplacements pour les prises de sang, les échographies, les analyses, les dosages de médicament…  » Ils mettent vraiment toutes les chances de leur côté, enfin de notre côté, pour leur taux de réussite et leur réputation aussi « , observe Justine.

La future mère porteuse doit aussi prendre des médicaments afin que les cycles des deux jeunes femmes soient synchronisés, de sorte que, au moment où l’ovule est prélevé, l’implantation puisse avoir lieu tout de suite. Elle est  » gavée  » d’œstrogènes, puis de progestérone, pour que la paroi utérine soit préparée à l’accueillir. Amélie, de son côté, doit recevoir des injections pour produire plus de follicules afin que l' » egg collection  » soit la plus abondante possible.

Le dernier séjour commence le 18 octobre. Le prélèvement des ovules est effectué le 22, sous anesthésie générale : dix-neuf sont récoltés. Après la fécondation in vitro, neuf étaient fécondés.  » On avait demandé de n’en avoir qu’un implanté. On préférait une grossesse unique, pour Justine surtout. Ils nous avaient dit que ça dépendrait de la qualité de mes œufs. Ils nous appelaient tous les jours pour nous dire s’ils se développaient bien. Jusqu’au cinquième jour, ce qui permettait d’attendre qu’ils arrivent au stade du blastocyste et de se donner ainsi plus de chances de réussite. « 

 » C’est génial mais c’est long ! « 
Le 27 octobre est le jour de l’implantation chez Justine.  » Le médecin nous montre avec la sonde ce qui se passe à l’intérieur. On a l’impression de voir dès le début la vie du bébé, de vivre quelque chose d’extraordinaire. On était super-excitées, c’était presque euphorique. On était là en train d’encourager notre petit “winner” : “Vas-y, vas-y, tu vas rester accroché…” Ça a duré peut-être cinq minutes puis le docteur nous a dit qu’on pouvait rentrer chez nous. On est sorties, il faisait un soleil magnifique. On s’est dit que c’était un signe.  » Le soir même, elles étaient à Paris.

Commence alors une période très tendue, dans l’attente du 15e jour, pour savoir si Justine est bien enceinte.  » Je ressentais des symptômes mais je me demandais tout le temps si je les imaginais ou si c’était la réalité.  »  » Moi, j’avais en fait plus peur du test, intervient Amélie. C’est là que j’ai compris quelle allait être ma place pendant neuf mois, à savoir que je ne maîtriserais rien. « 

N’y tenant plus, Justine achète un test de grossesse qui affiche… enceinte.  » J’ai éclaté en sanglots. Martin est arrivé en courant, se demandant ce qui se passait. En fait, je pleurais de soulagement, de joie, c’était une explosion d’émotions.  » Elle envoie un texto à sa sœur, lui envoie la photo du test, ne reçoit aucune réaction.  » Je ne réalisais pas. J’étais sonnée. Je n’osais pas espérer « , se rappelle Amélie.

Après ?  » C’est génial mais c’est long ! « , s’exclament-elles en chœur. La clinique, de son côté, attendait la prise de sang pour déclencher le protocole. Une fois connu le résultat, c’est un suivi permanent et lourd. Justine est obligée de prendre des doses de progestérone pour  » faire croire  » à son corps qu’elle est enceinte. Les suppositoires sont insuffisants, il faut passer aux piqûres. Mais, sans ordonnance, Justine doit se les faire elle-même.  » Je suis allée sur Internet pour suivre des tutos, en suivant les instructions pour me la faire dans la cuisse. Toute la nuit, j’ai eu des douleurs pas possibles. Le lendemain matin, je n’arrivais plus à marcher. « 

Il n’est pourtant pas question d’abandonner. Elle découvre que les injections doivent être moins douloureuses dans la fesse. Martin lui fera les piqûres : une tous les trois jours jusqu’à treize semaines de grossesse. Retour à Londres pour la première échographie, à sept semaines :  » Johnny « , le nom de code que les deux sœurs ont donné au bébé, se développe à merveille.

Dès lors, Justine sera suivie en France, jusqu’à l’accouchement. Elles se rendent toutes les deux aux examens mensuels, sans cacher la situation et ont affaire à un personnel médical extrêmement bienveillant. Elles voient aussi une avocate afin de s’informer sur la meilleure façon de procéder.  » Elle était contre la GPA et, du coup, nous a exposé tous les écueils.  » L’avocate conseille que le mari d’Amélie reconnaisse l’enfant, en attendant que, deux ou trois ans plus tard, Justine fasse une déclaration d’abandon et Amélie une demande d’adoption. Mais Justine craint une enquête judiciaire sur les raisons de l’abandon, alors qu’elle a deux autres enfants.  » Ma plus grande peur, c’était qu’on me retire mes enfants « , avoue-t-elle.

Une autre avocate leur recommande de ne pas essayer de contourner la justice.  » En fait, demander à adopter mon propre fils constitue un mensonge par rapport à sa filiation « , souligne Amélie. Ils laisseront donc les choses en l’état : Justine est la mère, le mari d’Amélie reconnaît l’enfant, ils ont un livret de famille en attendant que la loi évolue,  » parce qu’elle évoluera forcément « .  » Quand ce sera le cas, ce sera rétroactif, alors que, si on ment, on ne pourra pas revenir en arrière « , a raisonné Amélie.

Vient le jour tant attendu où l’enfant arrive au monde, le 22 juillet. Depuis quinze jours, Amélie dort chez Justine pour pouvoir l’accompagner. Elles sont toutes les deux dans la salle d’accouchement : l’une souffre, l’autre piaffe et adjure le personnel médical de la soulager, jusqu’au moment magique où apparaît la tête du bébé.  » Je le vois, je le vois, s’exclame Amélie. On l’a sorti toutes les deux, avec l’obstétricienne. J’avais l’impression de le mettre au monde. J’ai vu naître mon enfant, vraiment.  » Amélie l’a pris dans ses bras, l’a déposé sur le ventre de sa sœur,  » il nous a regardées toutes les deux… « .

A la clinique, le personnel se montre à l’écoute. Les deux jeunes femmes vivent dans la même chambre. C’est Amélie – qui a suivi un traitement à cet effet – qui allaite Adrien.  » Je ne donne pas un bébé à Amélie. C’est le sien. Mes enfants, j’avais besoin de les sentir contre moi. Là, c’était le bébé d’une autre, même si je n’aurais jamais fait ça avec quelqu’un d’autre que ma sœur.  » Et réciproquement.  » C’est là qu’on voit la puissance du cerveau. J’avais accouché mais je n’avais pas de bébé et il ne me manquait pas. C’était hyperbizarre « , se rappelle Justine, qui part en vacances avec sa famille en sortant de la maternité.

Pour Maxence et Tom, ses deux enfants de 6 et 2 ans, elle avait trouvé des petits livres, en anglais, qui transposaient la GPA dans l’univers de la BD, avec une famille koala. L’aîné avait commenté sans hésiter :  » C’est bon, j’ai compris.  » Et il a observé scrupuleusement les consignes de discrétion à l’école.

 » Le plus pénible, c’est de devoir mentir « , confessent les deux sœurs. Les voisins et collègues qui ont vu Justine enceinte s’étonnent de ne pas la voir avec son enfant. Ceux d’Amélie paraissent stupéfaits de n’avoir rien remarqué avant, même si elle prenait soin de porter des vêtements amples. Mais cela n’est rien au regard du parcours qu’elles auront effectué ensemble et de l’indicible joie à l’arrivée d’Adrien.

Patrick Roger

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