Les délais de prescription doivent disparaître pour les crimes

Il n’est pas normal qu’un crime soit impuni. En ce sens, il ne doit pas y avoir de prescription en matière criminelle.

Qu’est-ce qui pourrait justifier qu’un délai puisse faire oublier un crime ? Il n’y a pas de réponse à cette simple question, il n’y a pas de réponse qui puisse y répondre dans l’intérêt général. Le sens même de la justice est de punir les faits les plus graves ainsi que protéger la société des criminels.

Si l’on n’engage pas d’action pour un crime prescrit, la société est-elle protégée ?

Quand on y réfléchit, rien ne le justifie. Les crimes doivent donc être imprescriptibles.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 12 mars 2016

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Les députés doublent les délais de prescription des crimes et délits
Une proposition de loi adoptée à l’unanimité jeudi au nom de la défense des victimes bouleverse un des fondements de la politique pénale
C’est un rare moment d’unanimité qui a soufflé jeudi 10 mars à l’Assemblée nationale. Une proposition de loi sur la prescription pénale, élaborée par deux députés politiquement opposés, Alain Tourret (radicaux de gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), a été votée sans la moindre voix contre. Ce texte court (4 articles) double les délais de prescription des délits et des crimes, c’est-à-dire le temps entre une infraction et le moment où l’on ne peut plus engager d’action judiciaire.

D’apparence technique, et répondant à un souhait de modernisation, alors que la jurisprudence et les lois avaient multiplié les exceptions et incohérences depuis les principes édictés en 1808 par le Code Napoléon, cette proposition de loi touche à l’un des fondements de la politique pénale.

Désormais, la justice pourra se saisir, ou être saisie, d’un crime vingt ans après les faits (contre dix ans aujourd’hui) et d’un délit six ans après sa commission (contre trois ans). Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice, a apporté le soutien du gouvernement à ce texte qui, selon lui, propose  » un équilibre entre l’effectivité de la peine et le souhait qu’a la société d’être certaine d’être défendue, un équilibre entre la proportionnalité et le sens éducatif de la peine et la prévention de la récidive « .

 » Sociétés de mémoire « 
Les promoteurs de cette loi, qui pourrait être rapidement soumise à l’examen au Sénat, estiment le report de la prescription justifié par l’allongement de la durée de la vie et les progrès de la police scientifique. Surtout, et l’argument a été repris par nombre des députés qui se sont succédé à la tribune du Palais-Bourbon pour les groupes UDI, socialistes, verts ou du Front de gauche, ce texte répond aux attentes d’une société qui donne aux -victimes une place sans cesse croissante.

Pour Anne-Yvonne Le Dain, députée PS de l’Hérault, nous sommes  » des sociétés de mémoire. Depuis quinze ans, nous multiplions les lois mémorielles sur à peu près tous les sujets ainsi que les journées commémoratives, nécessaires pour les victimes. Notre société considère que la mémoire est un droit et un dû. D’une certaine manière, ce texte sur la prescription l’affirme et le confirme. « 

 » Cette proposition de loi est sans doute le dernier texte que nous votons avant l’imprescriptibilité « , indique le rapporteur Alain Tourret, assumant ainsi explicitement la philosophie qui sous-tend la réforme.  » La grande loi de l’oubli a perdu de sa force face aux nombreuses associations de victimes en capacité de maintenir durablement la mémoire des faits et dénoncer une forme de déni de justice en raison de la prescription acquise « , a surenchéri Georges Fenech.

 » On est une nouvelle fois en train de faire tomber sans réflexion des fondements de notre droit pénal « , réagit Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature. Elle s’inquiète d’une dérive qui  » n’a aucun sens « . Déjà, lorsque des procès correctionnels ou criminels en cours d’assises interviennent en appel dix ou quinze ans après les faits, ils débouchent bien souvent sur des peines symboliques ou des relaxes et acquittements, car le flou des souvenirs des témoins a jeté des doutes sur la culpabilité.  » Quel est le sens de la peine si longtemps après ? « , s’interroge Véronique Léger, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats qui n’est toutefois pas opposée à cette proposition de loi. L’USM fait observer que la prescription était plus courte en France que chez certains de nos voisins.

A l’égard des victimes, l’allongement du délai de prescription comporte un risque de malentendu.  » On entretient les victimes dans l’idée qu’elles obtiendront forcément une réparation alors que toute procédure pénale comporte un aléa « , souligne le magistrat et essayiste Denis Salas. Le procès qui clôt une procédure judiciaire peut en effet aboutir à une condamnation mais aussi à une relaxe ou un acquittement. Or, plus le temps écoulé est long entre le délit ou le crime et le moment où il est jugé, plus l’absence de condamnation est violente pour la victime qui sent sa parole déconsidérée.

Exceptions sanctuarisées
Quant à l’argument sur les performances de la police scientifique qui permettrait désormais d’élucider des  » cold case « , il est à double tranchant. Les progrès de ces techniques d’investigations devraient d’abord permettre d’accélérer les enquêtes et d’écourter les procédures.

Car les procédures sont déjà bien plus longues que ne laisse croire la prescription théorique. Ce compte à rebours judiciaire est interrompu par tout acte de procédure. C’est ce qui a permis de juger et condamner Emile Louis en 2004 à la réclusion criminelle à perpétuité pour  » l’affaire des disparues de l’Yonne  » qui remontait à près de trente ans. Dans les affaires les plus graves, on s’approche déjà de l’imprescriptibilité de fait.

Quelques exceptions à ces nouvelles règles ont été sanctuarisées jeudi par le législateur. Pour les délits sexuels sur mineur, le délai de prescription ne court qu’à partir de leur majorité, comme le prévoyait déjà la loi.

Pour les infractions économiques et financières, tels l’abus de confiance ou l’abus de bien social, la jurisprudence de la Cour de cassation est reprise dans la loi : le délai de prescription démarre une fois que l’infraction apparaît ou peut être constatée. Les députés ont aussi résisté aux pressions pour allonger spécifiquement la prescription de certains crimes, contre les mineurs ou les forces de l’ordre par exemple.

Jean-Baptiste Jacquin, et Pascale Robert-Diard

Le Contexte
Allemagne

La prescription intervient au bout de trente ans si les faits sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité, vingt ans si la peine de prison est d’une durée supérieure à dix ans et dix ans pour une infraction punie d’une peine d’emprisonnement comprise entre cinq et dix ans.

Espagne

Vingt ans si la peine d’emprisonnement est d’une durée égale ou supérieure à quinze ans, quinze ans si la durée de la peine d’emprisonnement est comprise entre dix et quinze ans.

Pays-Bas

Vingt ans pour les crimes et les délits réprimés par une peine de huit ans ou plus, douze ans si le crime ou le délit est passible d’une peine de prison d’une durée supérieure à trois ans.


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