Les scientifiques nous protègent : arrêtons de les accuser de tous les maux !

On accuse trop souvent les scientifiques de mentir. En effet, il est tellement plus facile de casser le thermomètre plutôt que d’essayer de prendre nos responsabilités pour agir…

Aujourd’hui, cet article remet du sens dans le propos des scientifiques : car ils essaient sans cesse de démontrer leur propos, ils mentent plus par omission que par exagération ! Un scientifique ne s’exprime pas lorsqu’il n’a pas les preuves de ce qu’il avance : c’est pour cela et par cela qu’il a été formé !

Il faut donc prendre tous les mots du scientifique en compte et savoir anticiper ses manques pour agir, par principe de précaution et dans l’intérêt général !

C’est une question de survie pour l’Humanité toute entière !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 12 avril 2016

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Un grand malentendu

Un grand malentendu se cache derrière l’incapacité de la plus grande part d’entre nous (et de nos responsables politiques) à prendre la juste mesure de la question climatique. Ce malentendu, c’est l’idée selon laquelle les scientifiques exagéreraient systématiquement la gravité de leur diagnostic, dans le but – louable ou répréhensible selon les options idéologiques de chacun – d’attirer l’attention sur le problème. Hélas, cette croyance est aussi fausse qu’elle est généralisée.

Une étude américaine, publiée début avril par la revue Nature, en donne (une nouvelle fois) une claire illustration. Qu’ont donc découvert Robert DeConto (université du Massachusetts à Amherst) et David Pollard (université de Pennsylvanie) ? Que l’élévation moyenne du niveau de l’océan pourrait atteindre un maximum de 2 mètres d’ici à la fin du siècle, dans le cas d’un scénario  » business as usual  » – c’est-à-dire sans infléchissement de nos émissions de gaz à effet de serre.

Or il n’aura échappé à personne que 2 mètres, c’est beaucoup, et que c’est bien plus que le niveau projeté, au même horizon de temps et dans les mêmes conditions, par le Groupe d’experts intergouvernermental sur l’évolution du climat (GIEC). Rappelons qu’en 2013, dans son cinquième et dernier rapport, le GIEC prévoyait qu’un maximum de 1 mètre environ d’augmentation du niveau marin était à attendre en 2100, si aucune politique climatique n’était mise en place.

Un mètre, deux mètres : la différence sur un trait de côte est considérable. Comment diable des chercheurs sérieux peuvent-ils parvenir à un résultat aussi radicalement différent de celui du GIEC, établi voilà seulement trois ans ?

La bombe carbone
La réponse est libellée dans un bref paragraphe, à la page 1 174 du premier volet du cinquième rapport du GIEC. Tout indique, y lit-on en substance, que la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’Ouest est instable, susceptible de laisser s’écouler dans l’océan, de manière  » abrupte et irréversible « , de grandes quantités de glace, mais il n’est pas possible de savoir à quel moment se concrétisera cette instabilité, ni quelle sera son ampleur… Parce que non quantifiable, cet effet n’a pas été pris en compte par le GIEC dans ses projections.

En utilisant un modèle sophistiqué, capable de reproduire le comportement passé des glaces de l’Antarctique de l’Ouest, Robert DeConto et David Pollard proposent une quantification de ce phénomène. Et une fois cela ajouté aux projections du GIEC, le pire à attendre pour 2100 n’est plus 1 mètre d’élévation des mers… mais le double.

Il ne s’agit pas de dire que le pire est certain. Mais plutôt de comprendre un aspect fondamental de l’expertise scientifique sur le climat. Non seulement les chercheurs participant au processus du GIEC n’exagèrent pas, mais ils sous-estiment à peu près systématiquement leur diagnostic en écartant de toute évaluation chiffrée ce qui est imparfaitement connu.

Ce n’est pas nouveau. En 2007, dans son quatrième rapport, le GIEC n’avait pas tenu compte des pertes de glaces du Grœnland : le pire attendu pour 2100 était estimé autour de 60 centimètres de hausse du niveau marin. En 2013, une fois le Grœnland intégré aux calculs, le diagnostic s’était aggravé de près d’un facteur deux, à environ un mètre. Et, dans son prochain rapport, pour peu que les travaux de DeConto et Pollard soient reproduits et validés, il y a fort à parier que le GIEC doive doubler à nouveau la fourchette haute de ses projections.

Autre exemple. Les modèles climatiques ne tiennent pas compte d’un possible relargage dans l’atmosphère du carbone prisonnier des sols gelés de l’Arctique. Il est pourtant très probable que le réchauffement à venir, en décongelant le pergélisol, conduise à une aggravation considérable de la situation. Il faut cette fois se transporter à la page 526 du premier volet du cinquième rapport du GIEC pour en avoir le cœur net :  » Aucun des modèles climatiques – utilisés par le GIEC – n’inclut de représentation explicite de la décomposition du carbone présent dans le permafrost en réponse au réchauffement futur.  » Il y a pourtant là une bombe à retardement à ne pas négliger. La quantité de carbone dormant dans les sols gelés de l’Arctique est généralement estimée à environ 1 700 milliards de tonnes, c’est-à-dire plus de deux fois l’ensemble du carbone présent dans l’atmosphère.

L’expertise scientifique est ainsi systématiquement soupçonnée d’alarmisme alors qu’elle est, surtout lorsqu’elle est conduite dans un cadre officiel, profondément conservatrice. L’historienne des sciences Naomi Oreskes (université Harvard) a traduit cette tendance à la  » prudence  » scientifique par une expression difficilement traduisible :  » Erring on the side of least drama  » (quelque chose comme :  » Arpenter le côté le moins dramatique des choses « ).

C’est un aspect culturel fondamental du monde scientifique, dans lequel il est préférable de se tromper en restant en deçà de la réalité, qu’en étant au-delà. Il vaut mieux pécher par excès de scepticisme, y compris vis-à-vis de ses propres résultats, que fauter par alarmisme. C’est vrai pour le climat, mais cela l’est également, sauf exception, dans les autres domaines des sciences de l’environnement : écologie, toxicologie, etc. Cela, la plus grande part de la société et des responsables politiques ne le comprend pas.

C’est un malentendu aux conséquences graves, qui pourrait conduire à l’avenir à quelques cocasseries. Après avoir été plus ou moins suspectés d’alarmisme de longues années durant, il est probable que les chercheurs en sciences du climat seront accusés, dans les prochaines décennies, de n’avoir pas crié assez fort.

par Stéphane Foucart


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