En matière commerciale aussi, le mieux est souvent ennemi du bien

Parfois, il faut éviter de toujours pondre des textes de lois et faire confiance aux juges pour juger sur des textes qui existent déjà… L’abus de position dominante est déjà défini. Rien ne sert donc de continuer encore et encore à légiférer, qui plus est, dans des relations commerciales entre des petits fournisseurs et des hypers…

De temps en temps, il faut raison garder et axer plus l’action sur les juges et un peu moins sur le législatif. Nos députés et sénateurs sont déjà suffisamment occupés comme cela pour ne pas à avoir encore et encore à pondre des textes inutiles.

Comme en matière économique, le mieux est souvent l’ennemi du bien, faisons confiance aux juges pour juger de l’équilibre des relations entre les industriels et les distributeurs…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 16 avril 2016

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Alliance contre nature entre PME et hypermarchés

Industriels et grande distribution s’opposent à un texte visant à redéfinir l’abus de dépendance économique

Plus habitués à se regarder en chiens de faïence, industriels et distributeurs font exceptionnellement cause commune. L’objet de leur alliance ? Faire barrage à une proposition de loi  » visant à mieux définir l’abus de dépendance économique « entre un fournisseur et son distributeur. Pour faire capoter ce texte, déposé le 15 mars par le député Bernard Accoyer (Les Républicains, Haute-Savoie), une intense opération de lobbying s’organise avec des rencontres avec les parlementaires. Le temps presse : adoptée début avril à l’unanimité par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, la proposition de loi sera examinée en séance publique le 28 avril.

Reprenant une recommandation de l’Autorité de la concurrence visant à mieux caractériser la notion d’abus de dépendance économique, cette proposition de loi – si elle est adoptée – bouleverserait les relations contractuelles et l’activité économique dans le secteur de la grande distribution.

Initialement cette proposition avait pour objectif de lutter contre les effets des rapprochements intervenus en 2014 et 2015 entre centrales d’achats de la grande distribution sur les petits fournisseurs. Ces alliances, formées d’abord pour  » massifier  » les achats et ainsi faire pression sur les prix auprès des grandes multinationales tels Coca-cola ou Nestlé, commencent à affecter les fabricants des marques de distributeur (MDD). Lesquels sont en général des PME dont le pouvoir de négociation est assez faible.

Ainsi, le mandat commun entre Auchan et Système U dans le domaine des achats en Europe, auquel s’est associé le groupe Metro, est en train de s’étendre aux MDD et aux articles dits de bazar. Tandis que Casino et l’espagnol Dia ont annoncé en novembre 2015 qu’ils coordonnaient  » les négociations d’achats de leurs marques distributeurs en Europe « .

 » Ce n’est pas sain « 

La proposition de loi prévoit de modifier le code du commerce et définit une situation de dépendance économique  » à court et moyen terme  » par le fait que  » la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risquerait de compromettre le maintien  » de l’activité du premier et que ce fournisseur  » ne dispose pas d’une solution de remplacement aux dites relations commerciales, susceptible d’être mise en œuvre dans un délai raisonnable « .

Cette définition assez large vient à rebours de ce qui existait précédemment. L’abus de dépendance économique existe dans la loi depuis 1986,  » sauf qu’étant défini par des critères trop complexes (notoriété de la marque du fournisseur, importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur…), cela n’est jamais appliqué « , explique Damien Abad, député Les Républicains de l’Ain, rapporteur de la proposition de loi. Dans ce contexte, souligne-t-il,  » seule la DGCCRF intervient et sanctionne au titre des pratiques commerciales illégales « . En adoptant une conception large,  » cela permet de qualifier plus souvent une situation de dépendance économique, et de donner aussi la possibilité à l’Autorité de la concurrence d’intervenir lorsqu’il y a atteinte à la concurrence « , poursuit-il. Il précise que cette dernière pourra s’autosaisir ou déclencher une procédure à la suite d’une alerte, mais que l’appréciation reviendra au juge.  » Il ne s’agit pas de sanctionner les entreprises mono-client, explique-t-il. S’il n’y a pas de difficultés, le juge n’interviendra pas. « 

Deux gendarmes au lieu d’un pour surveiller des relations contractuelles, le tout passible d’une amende allant  » jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial du distributeur, c’est un peu disproportionné alors qu’on parle d’une relation avec une PME « , estime Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.

Côté petits fournisseurs, dont la plupart travaillent avec une ou deux enseignes, l’inquiétude porte sur les effets pervers que comporterait, selon eux, une telle modification de la loi : le risque est de voir des distributeurs écarter, avant l’adoption du texte, certains fournisseurs en prévention,  » pour éviter d’être pris en défaut d’abus de dépendance économique « , juge Dominique Amirault, président de la Fédération des entrepreneurs et entreprises de France, qui dénonce un  » droit de vie ou de mort sur les PME « . » Il est évident que les acheteurs auront tout intérêt à aller vers les multinationales, car les PME vont potentiellement présenter un risque « , renchérit M. Creyssel.

Les PME s’inquiètent d’un autre aspect : pour s’assurer que leurs fournisseurs ont d’autres clients, les distributeurs devront regarder de près l’activité des industriels.  » Ce n’est pas sain. Une fois qu’ils auront le nez dans nos comptes, ils pourront nous demander des remises supplémentaires « , estime M. Amirault. Et, à entendre les distributeurs, cela pourrait commencer dès le processus de sélection des sous-traitants.  » Bien sûr que l’on va être obligé de leur demander, notamment lors des appels d’offres, le poids que l’on représente dans leur chiffre d’affaires, sachant que l’on estime communément qu’au-delà de 22 % de part de marché, il y a un risque de dépendance économique, ajoute M. Creyssel. Et il faudra qu’en permanence, le fournisseur nous informe de notre poids dans son activité, de la perte d’un de ses clients… « 

Les parlementaires sont pour l’instant bien décidés à adopter la proposition de loi en l’état. Au cas où elle ne serait pas votée le 28 avril, les députés proposeraient de nouveau cette mesure sous forme d’amendement dans le projet de loi dit  » Sapin II « .

Cécile Prudhomme

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