Il faut tout faire pour soutenir les lanceurs d’alerte !

Les lanceurs d’alerte servent la démocratie ! Ils servent l’intérêt général ! Ils doivent donc être protégés et soutenus dans leur combat !

Cela passe par une reconnaissance politique, certes, mais aussi citoyenne, car, dans de trop nombreux cas la population elle-même ne les soutient pas assez, les entraînant dans une spirale dépressive qui nuit à tous…

Dans le combat qu’ils mènent, il faut qu’ils soient soutenus et que leurs frais d’avocat soient remboursés au centimes près : l’intérêt général le commande !

On pourrait aussi penser à la possibilité que ces gens puissent changer d’identité comme les collaborateurs dénonçant des pratiques mafieuses : après tout, là aussi, la défense de l’intérêt général est évidente ! Cela faciliterait grandement leur emploi dans une nouvelle entreprise…

En tout cas, ce sont des héros et ils doivent pouvoir être traités comme tels, à la fois par la loi, les politiques mais aussi de tous les citoyens qui ont bénéficié directement de leur courage.

Ils ne doivent pas être seuls, comme le dit M. Denis Robert, lui aussi, un héros de notre société !

Un grand merci à eux tous !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 26 avril 2016

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Les rudes lendemains des lanceurs d’alerte
Du Mediator à UBS, les dénonciateurs de scandales, mal protégés, subissent procès, chômage et intimidations
Les nouveaux héros du quotidien se reconnaissent aux  » bravo  » et  » merci  » que leur adressent les passants dans la rue. A cet air ému et à leur allure un peu gauche lorsqu’ils montent sur scène pour recevoir un prix, une Marianne, voire le diplôme de citoyen de l’année. Ces honneurs les portent et les réconfortent, bien sûr. Mais une fois les estrades redescendues, les vivats évanouis, eux seuls, les  » lanceurs d’alerte « , connaissent l’envers du décor et les conséquences de leur geste sur leur vie et celle de leurs proches.

Difficile de savoir combien ils sont à payer le prix fort pour avoir dénoncé les dysfonctionnements dont ils ont été témoins dans leur travail. Mais le procès d’Antoine Deltour qui s’ouvre mardi 26 avril au Luxembourg aux côtés d’un de ses ex-collègues, Raphaël Halet, et du journaliste Edouard Perrin, est emblématique de ces lendemains vertigineux. Le père de famille de 30 ans risque dix ans de prison et plus d’un million d’euros d’amende. L’intérêt général retiendra que l’ancien auditeur de PricewaterhouseCoopers a permis la révélation d’un vaste système d’optimisation fiscale établi entre des multinationales et le Grand-Duché. Son ex-employeur bloque sur le vol de données et la divulgation de secrets d’affaires.

L’après est souvent cauchemardesque, mais si c’était à refaire, la quasi-totalité des personnes interrogées par Le Monde recommenceraient. La question se pose d’autant moins chez ceux dont l’alerte constituait le cœur de métier. Nicolas Forissier dirigeait le contrôle interne de la banque UBS France. Au milieu des années 2000, il fait fermer  » une soixantaine  » de comptes liés au grand banditisme sans que cela ne froisse personne. L’accueil fut tout autre, en 2007, lorsqu’il a rapporté l’existence d’une comptabilité parallèle dissimulant un système d’évasion fiscale en Suisse.  » Ils allaient avoir ma peau. Mais si j’avais fermé les yeux, aujourd’hui je pourrais être interdit d’exercer et mis en examen.  » La banque suisse UBS AG est poursuivie pour  » blanchiment aggravé de fraude fiscale  » et  » démarchage illicite « .

La réplique fut violente. Passe encore le climat délétère des dix-huit mois qui ont précédé son licenciement. Nettement plus désagréables furent le rat éventré retrouvé sur le climatiseur de sa voiture, les mots sur le pare-brise –  » Si tu vas trop loin, on sait où tes enfants vont à l’école  » –, son domicile visité, et ces  » personnes, dans la rue, qui vous observent en regardant leur montre « . La banque niera toujours être à l’origine de telles intimidations. Hasard ou pas, son ex-collègue Stéphanie Gibaud, qui, elle aussi, a contribué à dénoncer ce système d’évasion fiscale, a retrouvé la porte de son appartement trois fois grande ouverte le matin. Depuis, elle vit avec un chien.

A mesure que la menace s’éloigne, l’usure psychologique s’installe. Le bras de fer entre Nicolas Forissier et son ancien employeur dure depuis neuf ans. Certes, il a gagné 300 000 euros aux prud’hommes, mais UBS a fait appel.  » Je ne manque de rien, j’ai un toit, un chauffage, mais ma vie est réduite à sa plus stricte simplicité. Tout mon salaire passe en frais d’avocats : 6 000, 7 000 euros par trimestre. Et je n’ose imaginer si je perds en appel. « 

Minima sociaux
L’affaire UBS a rapporté des milliards d’euros à l’Etat grâce à la régularisation de milliers de comptes, mais elle a détruit une femme. Stéphanie Gibaud, licenciée il y a quatre ans, est toujours sans travail.  » Qui voudrait de celle qui a parlé ? « , se désole l’ex-responsable événementiel d’UBS France. Aujourd’hui, elle vit des minima sociaux : 450 euros par mois quand on est mère célibataire de deux ados, c’est maigre. Au risque de lasser, elle rappelle les heures passées à renseigner les douanes. Ne comprend pas l’incapacité de l’Etat à indemniser le préjudice. Ses lettres à Bercy, au président de la République, au garde des sceaux, au défenseur des droits sont restées vaines.

Le lanceur d’alerte échappe rarement à une campagne de discrédit.  » Après quinze et vingt ans de travail sans histoire à Monaco, nous serions “des gestionnaires indélicats” « , soupirent Céline Martinelli et Mathieu Chérioux, deux des trois anciens employés de la banque Pasche qui, en 2012, ont signalé des remises d’espèces douteuses. Ils ont été mis à la porte un an plus tard.  » Alors qu’on aurait très bien pu fermer les yeux, ne rien dire et partir chercher ailleurs, nous voilà sans emploi  » – aucune banque n’a répondu à leurs lettres de candidatures –,  » déboutés en premier instance  » par le tribunal du travail et avec  » des amis qui nous ont subitement tourné le dos « .

Inévitablement, la famille trinque. A la maison, le sujet prend toute la place. Vos amis vous trouvent obsessionnel.  » Alors que c’est souvent eux qui, par sympathie, demandent des nouvelles de “votre” affaire « , rectifie Daniel Ibanez, organisateur du Salon du livre des lanceurs d’alerte, et ardent détracteur du tunnel Lyon-Turin. Amélie, la petite dernière de la pneumologue Irène Frachon, ne veut plus entendre parler du Mediator ni des laboratoires Servier qui lui ont volé sa mère durant six années. Hervé Falciani, l’informaticien de HSBC parti en 2008 avec des listes d’évadés fiscaux, et désormais conseil  » du gouvernement grec, de municipalités Podemos en Espagne, mais aussi de Chypre « , vit toujours sous protection en Espagne.

Le couple d’Olivier Thérondel n’a pas résisté. Lui, c’est l’ancien fonctionnaire de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, qui s’agaçait sur un blog de la lenteur avec laquelle sa direction gérait l’affaire Cahuzac.  » Lorsque j’ai reçu ma convocation pour “violation du secret professionnel”, j’ai voulu médiatiser. Pendant des mois, j’ai été absorbé par mon combat, alors que mon amie, le politico-financier c’était pas son univers.  » Condamné à deux mois de prison avec sursis, mais sans inscription au casier, il est toujours aux douanes. Il vit mal sa perte d’anonymat et, lors du premier rendez-vous, ne donne pas son nom de peur que la jeune femme ne rappelle pas.

 » Il faut casser le mythe du lanceur d’alerte assoiffé de médias. En réalité, il rêve de tranquillité « , confirme Daniel Ibanez. Bernard ne souhaite d’ailleurs ni que l’on donne son nom ni que l’on s’étende trop sur sa nouvelle vie de libraire, pour préserver sa sérénité retrouvée. Il y a dix ans, directeur financier dans le parapétrolier, il s’était ému auprès de sa hiérarchie du système de contournement de l’impôt de la société. Pressions, intimidations, rumeurs, procès, il a tout subi, et n’a jamais retrouvé de travail dans sa branche.

Le seul à regretter son geste est l’ex-commandant de police Philippe Pichon, pourfendeur du fichier de traitement des infractions STICet de ses données erronées. Face à la sourde oreille de sa hiérarchie, il se tourne vers la presse. Le site d’information Bakchich publie, en 2008, les fiches de Johnny Hallyday et Jamel Debbouze. Le ministère de l’intérieur n’apprécie guère. Mise à la retraite d’office de l’indélicat, qui n’a pu conserver sa maison que grâce à la solidarité familiale. En 2014, le médiateur de la police a plaidé pour sa réintégration. Lui qui rêve  » de contact humain « , et vivote de missions de conseil juridique, attend toujours.

Seul, on ne tient pas

Un jour, pourtant, les procédures judiciaires s’éteignent et l’ennemi qui vous a tant hanté disparaît. Foi de Denis Robert, l’homme qui s’est battu dix ans contre la société luxembourgeoise Clearstream. Antoine Deltour ne fut pas le premier à lui demander conseil. Seul, on ne tient pas, confirme Denis Robert. Lui a supporté une quarantaine de procédures dans cinq pays grâce à l’ingéniosité d’une bande de copains qui a tout osé – vendre des tee-shirts, transformer un mauvais vin en cuvée  » Denis Robert « , organiser un concert à la Cigale – pour payer les plus de 100 000 euros de frais d’avocats.

Antoine Deltour n’a pas encore cette notoriété mais son comité a déjà récolté 18 000 euros. Après l’émission  » Cash investigation  » sur les  » Panama papers « , Stéphanie Gibaud a, elle, reçu 12 000 euros de dons anonymes. En attendant qu’une loi cohérente et adaptée protège les lanceurs d’alerte en France, la société civile soutient comme elle peut ses modèles du moment.

émeline Cazi


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