Le Panama doit se réformer pour protéger son peuple

L’affaire des Panama-papers est choquant dans un pays comme le Panama où l’inégalité est la règle : les plus riches cotoient les plus pauvres, cela n’est pas tolérable…

Il serait bon que le peuple se rebelle pour que l’égalité soit la règle dans ce pays et que l’action politique se fasse dans le sens de l’intérêt général.

Il est intolérable de dire que puisque la fraude est légale, on ne peut rien faire. Dans un pays inégalitaire où une partie de la population n’a rien, l’intérêt général commande que l’Etat assiste ces populations. Il n’est pas moral que des gens s’enrichissent alors que d’autres sont dans la misère. Ceci n’est pas moral. Le légal, quand il s’oppose au moral, ne peut avoir lieu dans un pays démocratique. Quand le légal n’est pas moral, il doit être changé.

Alors oui, on dit que ces faits sont motivés par le fait que trop d’impôts sont imposés dans les pays occidentaux. « Trop d’impôts, tue l’impôt » dit l’adage. Il en va donc d’un état démocratique de l’obligation qu’il a de gérer convenablement son budget afin que les riches paient suffisamment d’impôts, mais pas trop, de manière à faire en sorte que l’impôt soit utile.

Ces impôts sont indispensables car ce sont eux, in fine, qui luttent contre l’inégalité. Les gens riches doivent payer beaucoup d’impôt, mais le mérite ne doit pas disparaître dans cette imposition : si une personne a beaucoup travaillé pour gagner son argent, la majeure partie doit lui revenir…

Dans les relations qu’entretient la France avec le Panama, bien entendu, les relations avec Noriega doivent être dénoncées. Si elles ont mené à ce que des gens aient eu un préjudice, il doit être réparé par la France…

La fuite concernant les Panama-papers n’est pas immorale puisqu’elle a contribué à dénoncer l’immoralité qui a eu lieu chronologiquement avant : voler un voleur, est-ce un vol ? Dénoncer des abus par un vol, est-ce condamnable quand ce vol a servi l’intérêt général ? Non !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 12 mai 2016

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Le Panama dans l’étau

Le scandale des  » Panama papers  » a créé une onde de choc dans le pays, qui craint de voir s’effondrer son économie. Mais seule une minorité milite pour moraliser la finance

Pour le défilé traditionnel du 1er-Mai, à Panama, Ronald Adamson et un groupe d’amis se sont déguisés en banquiers et en avocats, avec des liasses de faux billets dépassant de leurs poches et de leurs attachés-cases. L’un d’eux portait un masque à l’effigie d’Eduardo Morgan, le patron de Morgan & Morgan, le plus grand cabinet juridique du pays, et le plus actif dans la vente de sociétés offshore. Les militants voulaient rappeler que Mossack Fonseca n’est qu’un acteur parmi d’autres dans cette industrie – la seule différence étant que les autres ne se sont pas fait voler leurs archives…

A peine un mois après le début de la publication des  » Panama papers « , ce militant de Suntracs, le syndicat des ouvriers du bâtiment, est déjà descendu trois fois dans la rue pour protester contre la corruption qui sévit dans son pays :  » Dès le 7 avril, j’ai manifesté avec plusieurs centaines de personnes devant les bureaux du cabinet Mossack Fonseca. Il y avait des ouvriers, des fonctionnaires, des médecins… Nous voulions montrer notre colère et notre dégoût face aux activités des cabinets juridiques spécialisés dans l’offshore, et affirmer que le peuple panaméen n’est pas responsable. Les seuls coupables sont une poignée de gens très riches. En fait, le Panama appartient à 115 familles, connues de tous, qui contrôlent à la fois l’appareil d’Etat et l’économie.  » Ces temps-ci, cet homme noir, grand, fort et jovial travaille sur un chantier à Punta Pacifica, un quartier du bord de mer couvert de gratte-ciel luxueux serrés les uns contre les autres, dont les appartements sont surtout achetés par des étrangers – c’est ici que se trouve la Trump Tower locale, en forme de voile de navire.

Corruption institutionnelle

Ronald Adamson habite à l’autre bout de la ville, dans l’immense quartier populaire de San Miguelito, insalubre, surpeuplé et délabré – maisons rafistolées avec des matériaux de récupération, dépôts d’ordures sauvages, trous de plusieurs mètres de profondeur dans les routes, fils électriques arrachés pendant de leurs poteaux… Pendant son temps libre, il milite aussi pour le Frenadeso (Front national pour la défense de droits économiques et sociaux), qui fédère diverses organisations de gauche :  » Notre deuxième action a eu lieu le 19 avril, nous avons manifesté devant le bureau de la procureure générale, pour exiger qu’elle lance une véritable enquête en profondeur sur Mossack Fonseca. « 

Tactiquement, le syndicaliste estime que la publication des  » Panama papers  » a été bénéfique pour le Frenadeso :  » Les médias internationaux sont venus confirmer ce que nous répétions depuis toujours sur ce système de corruption. Cette affaire a renforcé notre crédibilité, beaucoup de gens s’adressent à nous pour obtenir des informations – ils savent que les médias locaux couvrent très mal cette affaire, puisqu’ils font partie de l’establishment.  » Pour les satisfaire, Frenadeso fait traduire des articles de la presse étrangère et publie des résumés sur son site d’information et sur les réseaux sociaux. Il a aussi agrégé des données en libre accès trouvées sur un site Internet britannique et publié une liste de 50 000 sociétés panaméennes créées par Mossack Fonseca.

Parallèlement, Suntracs distribue des tracts sur l’affaire et organise des réunions d’information dans son quartier général, un petit bâtiment moderne situé au cœur de San -Miguelito. Le secrétaire général du syndicat, Saul Mendez, souligne la profondeur du problème :  » La corruption est institutionnelle, elle est inscrite dans nos lois. L’évasion fiscale, le blanchiment d’argent sale, la création de sociétés bidons, toutes ces activités qui sont considérées comme criminelles dans la plupart des pays sont complètement légales ici.  » Selon lui, seule la réunion d’une Assemblée constituante et la réécriture complète de la Constitution pourraient arranger les choses.

En attendant, Frenadeso et Suntracs ont entrepris de créer un parti, le FAD (Front large démocratique).  » Encore un scandale institutionnel, s’insurge Saul Mendez. L’enregistrement d’un nouveau parti politique est un parcours du combattant bureaucratique invraisemblable, le pouvoir a inventé une série -infinie de tracasseries administratives et de contraintes. Mais nous allons surmonter ces obstacles, grâce à la mobilisation populaire. Avec la multiplication des affaires, les gens commencent vraiment à être révoltés. « 

En fait, l’influence des syndicats reste limitée, même dans les quartiers défavorisés. Lourdes Quijala, dentiste dans un dispensaire municipal de la banlieue populaire de Pacora, est catégorique :  » Mes patients ne parlent pas des “Panama papers”, point final. Ils vivent au jour le jour, certains sont dans la misère, ces problèmes de riches ne les concernent absolument pas.  » Les habitants de Pacora s’intéressent plutôt à un autre scandale, qui vise l’ex-président de la République, Ricardo Martinelli, et son entourage, accusés d’avoir détourné des millions de dollars à coups de marchés -publics truqués :  » L’affaire Martinelli est plus concrète, elle implique un personnage célèbre et concerne l’argent de l’Etat « , ajoute la dentiste. Ricardo Martinelli vit aujourd’hui à Miami, et le Panama n’a pas demandé son extradition.

L’hypocrisie venue du Nord

Lourdes Quijala a aussi des amis qui  » s’inté-ressent aux Panama papers  » dans la classe moyenne aisée.  » Mais, le plus souvent, ils prennent la défense du système. Ils insistent sur le fait que ces pratiques sont légales et que les jugements moraux venus d’ailleurs sont déplacés. Ils font la distinction entre la fraude fiscale, qui est répréhensible, et “l’évitement fiscal”, qui selon eux est justifié pour les gens qui habitent dans des pays comme la France, où les impôts sont trop élevés.  » Cet esprit a été fortement encouragé par les chaînes de télévision proches du pouvoir, qui, dès la publication des  » Panama papers « , ont lancé une campagne patriotique aux accents virulents. De même, au sein de la jeunesse éduquée, l’affaire a déclenché une réaction nationaliste, qui s’est largement exprimée sur les réseaux sociaux. Pendant des semaines, les jeunes ont proclamé leur amour pour leur pays et ironisé sur l’arrogance et l’hypocrisie des pays du Nord, notamment la France, qui veulent une fois de plus imposer leur loi à un petit pays pauvre du Sud.

Javier Navarro, 24 ans, ingénieur dans une entreprise de travaux publics, s’agace de voir les journalistes étrangers s’ériger en moralisateurs, au nom de ce qu’il appelle une  » éthique médiatique « , selon lui très discutable. Sur le fond de l’affaire, il est hostile à des contrôles accrus :  » Si un jour je crée mon entreprise et que je gagne beaucoup d’argent, je voudrais pouvoir en disposer librement, le placer et le faire fructifier dans le pays de mon choix, sans que le gouvernement se mêle de ma vie.  » Au fond, il n’a pas grand-chose à reprocher à Mossack Fonseca :  » On les a diabolisés, c’est ridicule. Je ne dis pas que ce sont des patriotes ou des bienfaiteurs, mais ils font venir de l’argent dans notre pays, qui en a grand besoin. Si des Européens ou des Américains veulent exporter leur fortune, je préfère qu’ils l’envoient au Panama plutôt qu’ailleurs. « 

En souriant, il ajoute que, en matière fiscale, la culture locale doit être prise en compte :  » Ici, la triche commence au plus bas niveau. Si j’achète quelque chose dans une boutique et que je dis au commerçant que je n’ai pas besoin de reçu, il comprend tout de suite. Il ne sera pas obligé de déclarer cette vente, et en échange il me fera une ristourne. C’est une tradition ici. Alors, qui va donner des leçons à Ramon Fonseca ?  » A noter qu’au Panama la fraude fiscale n’est pas un délit pénal, mais une simple irrégularité administrative, traitée par les services fiscaux sans intervention judiciaire.

Ce laxisme se marie bien avec l’ambiance désordonnée de la ville : les casinos et salles de jeux innombrables, la vie nocturne débridée où tout semble permis, les maisons closes installées au milieu des centres commerciaux, le chaos des circulations automobile et piétonne mêlées même sur les voies rapides au péril de la vie de tous, les nouveaux gratte-ciel et galeries commerciales qui se construisent un peu partout sans plan urbanistique très clair… Les  » expats  » qui ont choisi de vivre ici semblent apprécier cette ambiance à la fois frénétique et décontractée.

Beaucoup tiennent le même discours décomplexé : les sociétés offshore sont utiles, car elles facilitent la gestion et la transmission de patrimoine pour les gens fortunés du monde entier. Elles permettent aux entrepreneurs de certains pays de protéger leurs actifs contre des procédures abusives, par exemple le paiement de dommages et intérêts exorbitants en cas d’accident provoqué par un employé. Elles offrent un minimum de sécurité aux familles riches de pays plus violents, qui sont obligées de cacher leur fortune pour ne pas se faire kidnapper et rançonner… Enfin, du fait que le Panama n’a pas de monnaie nationale et utilise le dollar, il offre aux épargnants des pays voisins une garantie contre les dévaluations – un précieux îlot de stabilité dans une région troublée.

22 500 avocats en activité

De leur côté, les représentants des fameuses  » grandes familles « , qui vivent dans des quartiers périphériques vastes, aérés et fortement gardés, espèrent pouvoir préserver le système, en l’aménageant à la marge. Ils ont déjà développé un discours bien rodé et assez uniforme. Ricardo Zubieta, chef de cabinet du ministre de l’économie et des finances, par ailleurs avocat et entrepreneur, affirme que les révélations des  » Panama papers  » sont caduques :  » Elles arrivent un an après le vote par le Parlement d’une nouvelle loi sur la transparence, qui a changé la donne. Désormais, les cabinets juridiques connaissent les bénéficiaires réels des sociétés offshore. Les actions au porteur existent toujours, mais l’avocat qui crée la société a l’obligation de tenir un registre avec la liste nominative de leurs propriétaires. D’ailleurs, depuis cette loi, les actions au porteur sont de moins en moins utilisées, puisque l’anonymat réel n’existe plus.  » Mais les noms de ces bénéficiaires ne sont toujours pas inscrits au registre public des sociétés : si les autorités judiciaires veulent connaître un nom, elles doivent en faire la demande, au coup par coup.

Le 9 mai, le gouvernement panaméen a accepté par écrit une exigence de longue date de l’OCDE et du G20 : l’échange automatique de données fiscales, une fois par an, avec les pays qui le souhaitent – mais seulement à partir de 2018, officiellement pour des raisons techniques. Déjà, le Panama était en négociations avec différents pays, dont les Etats-Unis, le -Japon, Singapour, la Colombie et l’Allemagne, pour rédiger de nouveaux traités ou introduire dans les accords existants une clause d’automaticité annuelle. Ricardo Zubieta reconnaît que la publication des  » Panama -papers  » a fortement incité son gouvernement à accélérer ces diverses négociations, mais rappelle qu’elles étaient déjà en cours.

Une chose est sûre, selon lui :  » Les grands pays et l’OCDE sont plus exigeants avec le Panama qu’avec n’importe quel autre pays dans notre situation. Nous nous sommes engagés à surveiller non seulement les institutions financières, mais aussi seize autres secteurs d’activité, y compris les joailleries, les marchands de voitures, etc. C’est injuste, mais nous l’acceptons.  » Il craint aussi que, de facto, ces accords soient à sens unique :  » Nous nous engageons à envoyer toutes les données requises, mais nous savons que la réciproque ne sera pas vraie. Les grands pays ne nous envoient jamais rien.  » Reste à savoir si ces futures informations, transmises une fois par an, seront plus fiables et plus exhaustives que par le passé.

Comme tout le monde dans le pays, Ricardo Zubieta regrette vivement la décision de la France d’avoir replacé le Panama sur sa liste de pays  » non coopératifs  » :  » Le gouvernement français a agi de façon incompréhensible, précipitée et irresponsable, explique-t-il avec un sourire désabusé. Il a fait une opération politique sur notre dos, pour se construire une image vertueuse en pleine campagne électorale.  » Et de rappeler que dans ses relations avec le Panama, la France n’a pas toujours eu le beau rôle :  » Dans les années 1980, quand le dictateur Noriega a volé l’argent des trafiquants de drogue, il est allé le cacher en France. Or, les Français ne nous ont jamais rien rendu. A l’époque, ça ne les dérangeait pas de voir Noriega acheter un hôtel particulier à -Paris. Mais, bon, c’est le passé. « 

Sur le plan judiciaire, l’enquête suit son cours, sans précipitation. Selon Rolando -Rodriguez Cedeno, secrétaire général du bureau de la procureure nationale, elle a été confiée à un procureur spécialiste de la répression du crime organisé, qui pourra travailler aussi longtemps que nécessaire – ce qui laisse présager une procédure longue. Dans un premier temps, la priorité est donnée à l’analyse des documents saisis lors de la perquisition, en avril, des locaux de Mossack Fonseca et de ses serveurs informatiques.  » Nous avons des experts en interne, précise M. Rodriguez Cedeno, mais, en cas de besoin, nous pourrons embaucher des consultants extérieurs. Cela dit, à ce jour, personne n’a été -inculpé ni désigné comme suspect. En fait, nous n’avons pas encore établi si un délit a été commis…  » Aucun autre cabinet juridique -panaméen n’est visé par cette enquête.

De son côté, Mossack Fonseca a porté plainte pour le vol de ses données informatiques, qu’il avait confiées à un data center géré par la -filiale panaméenne de la compagnie de télécoms internationale Cable & Wireless – un bâtiment gris quasiment désert cerné de hautes grilles, situé dans une ancienne base militaire de l’US Army, transformée en parc d’activités.

En apparence, le cabinet continue à fonctionner comme si de rien n’était. Ses bureaux du centre-ville sont animés, ses parkings sont remplis, les journalistes qui campaient sur le trottoir ont disparu et les gardes en uniforme écartent les intrus, poliment mais fermement. Ramon Fonseca, cofondateur du cabinet, ami intime du président de la République et romancier à succès, communique avec les médias par Whatsapp, mais sans répondre aux questions.

Plus généralement, les cabinets panaméens commencent à organiser leur défense. Ils en ont les moyens : Panama compte 22 500 avocats en activité, soit un pour 180 habitants, un record mondial. Les grands cabinets comptent plusieurs dizaines d’avocats à plein temps (80 pour Morgan & Morgan) et fournissent à la population des dizaines de milliers d’emplois très diversifiés. Dans la tourmente, certains veulent afficher leur sérénité. David Sucre, partenaire du cabinet Sucre, Arias, Reyes, est installé dans un petit immeuble luxueux, richement décoré. Au centre du hall trône une statue grandeur nature de son grand-père, qui fut avocat, diplomate, député et ministre. Très détendu, David Sucre explique qu’il continue à créer des sociétés pour des clients étrangers désireux d’ouvrir un compte en banque dans un autre pays :  » Nous domicilions la moitié des sociétés au Panama, le reste aux îles Vierges britanniques et au Belize. Depuis la publication des “Panama papers”, certains clients ont décidé de surseoir, ils veulent d’abord voir comment la situation va évoluer ici. Récemment, j’ai eu le cas d’une compagnie d’assurances. Mais d’autres ont finalisé la création de leur société sans problème. « 

Mossack Fonseca peut compter sur le soutien d’une bonne partie de la profession, notamment celui de Jose Alvarez, président de la principale association d’avocats du pays, forte de plus de 10 000 membres, y compris MM. Mossack et Fonseca en personne. Tout en conservant un ton jovial, Jose Alvarez prend leur défense sans hésitation :  » L’opération “Panama papers” est à la fois illégale et immorale, puisqu’elle s’appuie sur des documents volés.  » Il soutient aussi la dernière initiative de Mossack Fonseca, qui a publié le 5 mai une lettre comminatoire enjoignant aux médias de ne pas reprendre les publications – une démarche juridique chargée de symbole,  » pour montrer qu’il n’est pas question de céder sur les principes « .

un scandale chasse l’autre

José Alvarez reconnaît pourtant que l’ambiance est tendue :  » Certains de mes clients ont peur, ils me demandent si ce qui est arrivé à Mossack Fonseca pourrait aussi m’arriver. Je leur réponds que je n’en sais rien.  » Plus globalement, il craint pour l’avenir de son pays :  » Je fais partie d’un comité stratégique de haut niveau, où siègent des membres du gouvernement. Après analyse, nous avons conclu que la situation est préoccupante.  » Le Panama était, selon lui, pris entre deux feux.

S’il refusait de signer les traités d’échange automatique d’informations avec les grands pays et l’OCDE, il prenait le risque d’être à nouveau placé sur la liste des pays non coopératifs. Autant dire que, privé des prêts du FMI et de la Banque mondiale, il aurait vu les taux d’intérêt des emprunts bondir. Les banques, elles, n’auraient plus trouvé de correspondants dans certains pays.

A l’inverse, accepter une certaine transparence financière s’annonce lourd de conséquences :  » Les capitaux étrangers vont fuir le pays, nos banques vont se retrouver en difficulté, le crédit va s’assécher, les entreprises ne pourront plus fonctionner. Or, au Panama, 90 % des transactions se font à crédit. « 

Le secteur bancaire, lui, essaie de se montrer rassurant. Il compte aujourd’hui 90 établissements – dont la moitié travaillent uniquement pour l’étranger–, qui dominent la ville du haut de leurs tours étincelantes aux formes avant-gardistes. Moises Cohen, fondateur et patron de la banque panaméenne Capital Bank, se dit lui aussi contrarié par l’attitude de la France, mais il affirme que la douleur a surtout été morale :  » Pour le moment, je ne constate aucun impact négatif sur les activités de Capital Bank. A ce jour, nos clients continuent à nous faire confiance. « 

Certains universitaires estiment qu’une crise est inévitable, comme Carlos Guevara-Mann, professeur de sciences politiques dans une université américaine installée au Panama :  » Compte tenu des rapports de force internationaux et de la nouvelle baisse de standing subie par le Panama, le “business as usual” assorti de réformes superficielles ne suffira pas. Si les Etats-Unis l’exigent, nous signerons tous les traités d’échange d’informations, et cela aura des conséquences néfastes. Un exemple : les plus gros clients de nos banques sont les Colombiens. Je parie que, avant l’entrée en vigueur de l’accord avec la Colombie, tout leur argent sera parti ailleurs.  » Il s’inquiète de la nouvelle vulnérabilité du Panama :  » Le secteur tertiaire représente 87 % de notre PNB. -Notre réputation de stabilité et d’efficacité est un élément essentiel de notre survie. Or, ce capital est en train d’être détruit. Si ça continue, le pays sera à genoux.  » Comme les militants de Suntracs, dont il est pourtant très éloigné socialement et politiquement, Carlos Guevara-Mann rêve d’une Assemblée constituante qui remettrait à plat le système politique.

Le fait est qu’ici un scandale chasse l’autre : le 5 mai, les Etats-Unis ont officiellement accusé la famille Waked, l’une les plus riches du pays, de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Les autorités américaines affirment posséder des preuves contre neuf hommes d’affaires et un réseau de 68 sociétés, dont une banque, deux journaux, des firmes d’import-export, des grands magasins… Les avoirs de ces entreprises risquent d’être saisis, leurs comptes en banque gelés, leurs contrats avec des sociétés américaines suspendus. Or, si elles ferment, de six mille à huit mille personnes pourraient se retrouver au chômage. A la demande des Etats-Unis, l’un des chefs du clan Waked a été arrêté à -Bogota. De quoi faire oublier les  » Panama papers « . Le temps d’un week-end.

Yves Eudes


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