La France n’en sort pas grandie de cette histoire…

La France ne sort jamais grandie quand elle oublie les principes démocratiques, même dans ses actions vis à vis des autres pays : la priorité doit toujours aller à l’intérêt général des peuples ! C’est le principe même de l’action d’un pays qui a été inventeur des Droits de l’Homme et du Citoyen ! C’est notre fierté, nos valeurs et cette fierté, ces valeurs, ne peuvent être dévoyées !

La dépense de millions de francs, l’envoi de matériel militaire, l’aide à un Etat, ne peuvent avoir lieu que pour défendre l’intérêt général d’une population.

Soutenir un dirigeant qui opprime son peuple n’est pas digne si l’on est au courant de cette oppression. A priori beaucoup savent mais se taisent…

Soutenir les crimes de guerre et contre l’humanité, tortures et viols, c’est aussi une honte car cela insulte notre propre pays dans son ensemble.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 1er juin 2016

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L’amnésie des responsables français

Diplomates et militaires chargés des affaires tchadiennes dans les années 1980 affirment ne pas avoir été informés de l’ampleur de la répression

A la terrasse d’un café parisien, en mai 2016, Jean-Christophe Mitterrand sourit machinalement, portable à la main. Le réquisitoire du procès Habré est connu depuis cinq mois : crimes de guerre, crimes contre l’humanité.  » Le procès de Dakar ? Oui, j’ai vu. Horrible ! Mais vous savez, moi, à l’époque où Habré dirigeait le Tchad – 1982-1990 – , j’étais loin de tout savoir de la réalité complexe de ce pays. Et puis c’est loin tout ça, très loin. Plus de trente ans, vous imaginez ?  » Trente ans, en effet. Et pourtant, les crimes d’Hissène Habré sont imprescriptibles et ses victimes n’ont rien oublié des exactions massives qui lui ont valu, lundi 30 mai à Dakar, la réclusion à perpétuité.

Dans un rapport en voie de finalisation, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) insiste sur l’importance et la diversité des moyens humains déployés à cette époque au Tchad par l’Etat français : soldats, instructeurs, mercenaires, coopérants civils et militaires, personnels diplomatiques, agents de renseignement. Autant de sources d’information pour Paris. Pourtant, trente ans plus tard, les mémoires flanchent. Les politiques, militaires et conseillers qui ont accepté de répondre aux questions du Monde plaident l’ignorance ou se défaussent sur la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui ne parle pas.

En 1986, le fils du président prend la place de son ancien patron, Guy Penne, dont il était l’adjoint depuis 1983, à la tête de la  » cellule Afrique  » de l’Elysée – la tour de contrôle de l’Etat français sur les questions africaines. Les ambitions expansionnistes du Libyen Mouammar Kadhafi menacent N’Djamena, une capitale amie. Si bien que le Tchad est le dossier africain du moment, avec deux opérations militaires successives, Manta puis Epervier. Des millions de francs dépensés, des tonnes de matériel militaire envoyés, des milliers de soldats, agents, coopérants français dépêchés sur place. Au final, rien moins que la plus grosse opération militaire extérieure de la France depuis la guerre d’Algérie.  » Oui, bien sûr, c’était important, le Tchad, conclut Jean-Christophe Mitterrand. Mais détrompez-vous, la France s’imposait la neutralité dans les questions intérieures du Tchad. « 

 » Tout était cadenassé « 

Le fils du président n’est pas le seul dont la mémoire fait défaut. Michel Roussin :  » Sous Habré, j’étais loin de ce dossier « , déclare celui qui fut pourtant le directeur de cabinet d’Alexandre de Marenches, patron du Sdece (Service extérieur de documentation et de contre-espionnage) – la future DGSE –, dont les agents ont été très nombreux au Tchad.  » Non, vraiment, je ne suis venu sur ces dossiers qu’après la chute d’Habré, lorsque je suis entré au ministère de la coopération, en 1993 « , poursuit-il.

Et le conseiller diplomatique de François Mitterand, Hubert Védrine ? Allusif :  » J’avais d’autres priorités « , dit-il. Le Tchad,  » c’était la cellule Afrique : Guy Penne – décédé en 2010 – et quelques autres « . Roland Dumas, ex-ministre des affaires étrangères, peut-être ?  » Non, lui, c’était plutôt la Libye.  » Jean-Louis Bianco, alors, ex-secrétaire général de l’Elysée (1982-1991) ?  » Oui, sans doute. Il peut vous dire des choses.  » L’actuel président de l’Observatoire de la laïcité n’a pas pu nous répondre en raison d’un  » agenda saturé « .

Il faut sans doute se rapprocher de ceux qui étaient sur le terrain, dans ce Tchad en guerre depuis des années. Jean-Marc Simon, premier conseiller à l’ambassade de France de N’Djamena (1984-1986), vient justement de publier Secrets d’Afrique (Le Cherche Midi, 352 pages, 18,50 euros). Le chapitre sur le Tchad est émaillé d’anecdotes. Mais rien – ou presque – sur les crimes d’Hissène Habré.  » Au Tchad, tout était cadenassé, notamment la DDS – la police politique d’Habré – . A l’ambassade, nous n’avions rien là-dessus.  » Et la DGSE ?  » C’est à part.  » A part de l’Etat français ? Pas de réponse de l’ancien diplomate, reconverti aujourd’hui dans les affaires à Abidjan.

En 1984, des tensions dans le sud du pays opposent les Codos (des forces rebelles) aux FANT (Force armées nationales tchadiennes, alors dirigées par l’actuel président Idriss Déby), qui pratiquent la politique de la terre brûlée. Cet épisode, au moins, n’échappe pas à l’ambassade ni à la cellule Afrique de l’Elysée. Un témoin tchadien, à l’époque proche de M. Habré, se souvient. Il est aujourd’hui  » sans statut « , quelque part en France. Témoignage anonyme :  » En 1984, je rendais visite à la délégation tchadienne à Paris. Je fus convoqué par la cellule Afrique. J’arrive, Guy Penne était à son bureau avec une pile énorme de dossiers devant lui. “Ce sont les jésuites du sud qui m’écrivent”, me lance-t-il, goguenard. “Ils se plaignent des FANT”. « 

L’ex-ambassadeur de France à N’Djamena, Claude Soubeste, sait tout cela et en parle aujourd’hui avec amertume.  » Nous avons manqué là-bas de nombreuses occasions de construire la paix. En 1984, j’ai refusé de couvrir ces violences dans le sud et décidé d’alerter Paris.  » L’aide militaire française ne sera pas interrompue. Après l’accord avec la Libye de Kadhafi, l’opération Manta plie bagage fin 1984. Quelques mois plus tard, Epervier prend la relève. A nouveau, la France dépêche au Tchad des milliers de soldats, du matériel, des avions, des missiles… Au même moment, la DDS intensifie les arrestations et la terreur règne plus que jamais dans les prisons tchadiennes.

 » C’était pas un salon de thé « 

Cap sur Aubagne (Bouches-du-Rhône). Le président de l’Association des amis du musée de la Légion étrangère, un homme vif de 78 ans, reçoit dans un modeste bureau. Le général Bruno Le Flem, trente ans de Coloniale, est en tenue civile : Saint-Cyr, légionnaire parachutiste à Djibouti, cadre de l’opération Turquoise au Rwanda en 1994. Il était lieutenant-colonel au Tchad à l’été 1984. Officier dans la cellule d’étude de Manta, puis instructeur militaire et, surtout, conseiller personnel d’Idriss Déby, le  » Comchef  » des FANT responsable de nombreuses exactions militaires, notamment dans le sud du pays.  » J’ai vu pour le procès Habré, lâche le général le Flem. Mais pourquoi juge-t-on cet homme aujourd’hui, subitement, trente ans après ? Qu’est-ce qu’on cherche ? « 

Les archives qui tendent à démontrer que la France ne pouvait pas ignorer l’ampleur de la répression ?  » Pas vu. Une guerre c’est une guerre, pas une campagne pour les droits de l’homme. Déby allait faire ses affaires au sud. Pour sûr, c’était pas un enfant de chœur et ça devait chauffer. Quand il revenait, il ne me racontait pas sa vie. L’état-major tchadien, c’était pas un salon de thé.  » Et les prisons, la torture, les prisonniers exécutés ?  » Qui a dit que les prisons tchadiennes étaient des trois-étoiles ? Qui l’a cru ? Moi, je faisais de la formation et du rens’ – renseignement – quand je pouvais. Tac-tac, à l’instinct, à l’affût du moindre doc’qui traînait à l’état-major des FANT, au cabinet de Déby. La DDS, la GP – garde présidentielle – , les prisons, tous ces trucs, j’y avais pas accès. Fermé. C’est comme ça. Je n’avais d’ailleurs rien à y faire. Mes docs chapardés, j’avais même pas le temps de les lire. Hop, je transmettais illico à Monti. Chacun sa gamelle ! « 

Retour en Ile-de-France.  » Monti  » ? Dominique de son prénom, colonel en 1983 et attaché-défense à l’ambassade de N’Djamena entre mai 1983 et septembre 1986. L’homme-orchestre de la partie militaire au Tchad, de Manta à Epervier. Cet officier à la retraite de 83 ans a toute sa tête.  » J’ai tout donné là-bas, dans l’intérêt des deux pays et pour la paix, dit-il. Avec Habré, les politiques français ont louvoyé jusqu’à la fin en le tenant toujours au bout de la gaffe. Pour moi – et je l’ai bien connu –, c’était un chef d’Etat d’envergure : il a tout fait pour réconcilier les Tchadiens du nord et du sud et défendre l’intégrité territoriale. « 

Et les crimes de guerre et contre l’humanité, tortures et viols qui lui ont valu la perpétuité ?  » Je sais, murmure soudain M. Monti, les yeux fixes. Je sais bien. En 1984, on parlait de 2 000 à 3 000 morts de ce type. Mais 40 000, c’est juste incroyable !  » Incroyable, sauf que 3 000 par an pendant neuf ans, le compte est déjà étourdissant. M. Monti se fige, comme saisi par cette sinistre arithmétique.

Olivier Piot

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