Il faut combattre la haute finance car elle nuit trop souvent au peuple

La spéculation est la forme inutile et abjecte de l’économie, car elle nuit à l’intérêt général. En effet, la nuisance à l’intérêt général est manifeste quand une ultra-minorité s’accapare la majorité de la richesse mondiale.

Il faut mettre fin à cet état de fait en redonnant la place aux politiques, mais pas à n’importe lesquels ! En effet, seuls compteront ceux qui oeuvreront dans le sens de l’intérêt général et de lui seul, en soutenant l’économie et en sanctionnant fortement la spéculation et la haute finance.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 8 juin 2016

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LETTRE DE WALL STREET|

Occupy Wall Street, le retour ?

La haute finance n’a qu’à bien se tenir. Ses contempteurs sont de retour. Et, cette fois, ils le jurent, la révolution ne fera pas de quartier. Les banques avaient détesté Occupy Wall Street, le mouvement né dans le sillage de la crise financière de 2008. Elles vont abhorrer  » Take On Wall Street « , une initiative récemment lancée aux Etats-Unis pour (enfin) réformer la finance.

Les principes directeurs sont simples. Il s’agit de réduire la taille des grandes banques et d’instaurer un nouveau Glass-Steagall Act. Cette loi de 1933 avait été à la base de la reconstruction du secteur financier sur les décombres générés par la grande crise, en instaurant une incompatibilité entre banque de dépôt et banque d’investissement. Son but : ériger un pare-feu pour protéger l’épargne populaire des activités de spéculation. Le système fonctionna très bien pendant soixante-six ans, jusqu’à ce qu’un certain Bill Clinton y mette fin.

Take On Wall Street veut aussi créer une taxe sur les revenus de la spéculation, qui irait alimenter un fonds destiné à financer les investissements vitaux pour la collectivité comme les infrastructures ou la santé. Au programme également la suppression de la niche fiscale du carried interest, qui permet aux dirigeants de fonds spéculatifs de payer moins d’impôts sur leurs revenus que le salarié lambda. Une anomalie à laquelle les politiques n’osent pas vraiment s’attaquer, alors qu’en 2015 les 25 patrons de hedge funds les mieux payés se sont partagé 13 milliards de dollars. Les dirigeants des grandes entreprises ne sont pas oubliés non plus : il est prévu de supprimer l’avantage fiscal leur permettant de déduire leurs bonus liés à la performance de l’entreprise.

Hypocrite

Bref, de l’aveu même des supporteurs de cette initiative, il s’agit de terminer le job qu’a tout juste commencé Barack Obama avec la loi Dodd-Frank. Sur les 400 articles de cette réforme du système financier votée en 2010, une centaine ne sont toujours pas entrés en application. Ainsi, le risque du  » too big to fail  » n’a pas vraiment disparu. En cas d’important séisme financier, le contribuable pourrait être à nouveau sollicité, comme en 2008, pour sauver l’une des grandes banques de Wall Street dont la faillite menacerait l’ensemble du système. Par ailleurs, la régulation des rémunérations des dirigeants est encore dans les limbes. Non seulement les excès n’ont toujours pas été jugulés, mais on a parfois le sentiment que les aberrations se sont amplifiées. D’une part, l’écart avec le salaire médian continue de se creuser et, d’autre part, comme le soulignait récemment une étude du Wall Street Journal, le rapport entre rémunération et performance est de moins en moins évident.

Enfin, le sentiment que la finance n’a pas été mise au pas est alimenté par le fait que le tableau de chasse de la justice et des régulateurs reste clairsemé. Certes, les banques ont été condamnées à de lourdes amendes, mais le système a fauté sans véritables responsables désignés. Toujours selon le Wall Street Journal, sur les 156 poursuites dont les banques ont fait l’objet depuis 2009, 81 % n’ont donné lieu à aucune mise en cause individuelle. Sur les 19 % restantes, seuls 47 employés se sont retrouvés à devoir répondre à des accusations de malversation pour cinq condamnés. Pas étonnant dans ce contexte qu’une large majorité d’Américains soit en faveur d’un renforcement de la régulation de la finance, comme le montrent une étude de l’institut Lake Research Partners et les sondages réalisés à la sortie des bureaux de vote lors des primaires.

Alors, les belles idées de Take On Wall Street ont-elles des chances de répondre à ces attentes ? La tournure que prend la mobilisation à l’occasion de la campagne présidentielle permet d’en douter. L’essentiel des mesures prônées par le mouvement se retrouve bien dans le programme du candidat à l’investiture démocrate, Bernie Sanders. Mais, bizarrement, la plupart des signataires ne se sont pas rangés derrière lui. La Fédération des enseignants a ainsi préféré soutenir la favorite de l’investiture, Hillary Clinton, alors que cette dernière ne prend à son compte aucune des propositions de Take On Wall Street, à part celle sur le carried interest. Le côté pasionaria anti-Wall Street d’Elizabeth Warren, la sénatrice du Massachusetts, aurait dû la conduire à rallier la candidature de M. Sanders. Ce dernier attend toujours. Idem pour Richard Trumka, président de l’AFL-CIO, le principal regroupement syndical américain, qui a opté pour le  » ni-ni « . Parmi les supporteurs du mouvement, seul The Communications Workers, le syndicat des télécommunications, soutient M. Sanders.

Il y a donc un certain paradoxe à prôner la révolution, tout en roulant de façon plus ou moins assumée pour une candidate qui n’a cessé de se faire critiquer pour sa proximité avec le lobby de la finance et dont l’époux a été l’un des principaux artisans de la dérégulation du système. Il est tout à fait respectable de -considérer que le programme de M. Sanders va trop loin dans un sens social-démocrate, mais prétendre vouloir en même temps mettre la haute finance au pas semble hypocrite. Celle-ci peut dormir sur ses deux oreilles : le retour d’Occupy Wall Street n’est pas pour demain.

par stéphane lauer


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