Quand Bercy se sert de sa communication dans un but politique

La tentation est grande pour Bercy de maquiller ses chiffres afin de faire croire que l’action gouvernementale porte ses fruits. Bercy semble ne pas s’en priver : la Cour des comptes fustige cette action…

Nous ne pouvons tolérer que l’on mente au peuple dans un but de réélection ! Le peuple doit être informé et de manière juste et sincère !

Il ne l’est pas : à lui de prendre ses responsabilités lors des futures échéances électorales.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 26 mai 2016

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La Cour des comptes accuse Bercy de travestir les chiffres du budget

Selon les magistrats, le déficit de l’Etat n’a été réduit que de 300 millions d’euros en 2015
Une maîtrise en trompe-l’œil ? Telle est la conclusion qui s’impose à la lecture du rapport de la Cour des comptes, rendu public mercredi 25 mai, sur l’exécution du budget de l’Etat en 2015. Certes, en apparence, le déficit budgétaire (70,5 milliards d’euros) a été inférieur de 15,1 milliards à celui de 2014 (85,6 milliards) et de 4,4 milliards d’euros à celui de 2013. Toutefois, note la Cour, ces évolutions sont  » peu significatives « , du fait des éléments exceptionnels – programme d’investissements d’avenir (PIA) et versements au Mécanisme européen de stabilité (MES) – qui avaient dégradé le solde de l’année précédente.

La Cour des comptes, elle, présente une évolution annuelle du déficit budgétaire en éliminant les dépenses exceptionnelles, comme les versements au MES, et en prenant en compte les décaissements effectifs de l’Etat aux organismes gestionnaires des PIA. Après ces retraitements, elle établit le déficit budgétaire de l’Etat à 74 milliards d’euros. Soit à peine 300 millions d’euros de moins qu’en 2014 (74,3 milliards) et 5,2 milliards de plus qu’en 2013 (68,8 milliards).

La haute juridiction financière nuance cependant son jugement. Elle reconnaît que cette  » quasi-stabilité du déficit  » a été obtenue dans un contexte de montée en charge du crédit d’impôt compétitivité emploi et du pacte de responsabilité. Le premier s’est traduit par une diminution des recettes fiscales de 5,4 milliards d’euros par rapport à 2014 et le second a aggravé le déficit de 5,1 milliards.

Non seulement, le déficit de l’Etat reste à un niveau élevé mais sa situation nette – correspondant à la différence entre ses actifs et ses passifs – continue de se détériorer.  » Elle est négative à hauteur de 1 115 milliards d’euros, soit l’équivalent d’environ quatre années de produits régaliens – les impôts – « , souligne la Cour. En une année, elle s’est dégradée de 93,3 milliards d’euros.

Chiffre magique

Si les recettes fiscales ont été proches de celles prévues en loi de finances initiale, et même légèrement supérieures, de 1 milliard d’euros, aux prévisions, la Cour des comptes se montre beaucoup plus dubitative sur le sujet des dépenses. Dans un chapitre intitulé  » une maîtrise des dépenses en demi-teinte « , avec tout l’art de la nuance qui la caractérise, elle observe que, malgré des efforts réels,  » les conditions d’une maîtrise durable des dépenses de l’Etat ne sont pas réunies « .

 » En exécution, les “économies” se sont avérées faibles « , note la Cour des comptes. Tout est dans les guillemets.  » Cette notion d’“économies” ne correspond pas à l’usage habituel du terme « , ajoute-t-elle. En clair, le gouvernement évalue l’effet de mesures nouvelles par rapport à l’estimation de ce qu’aurait été l’évolution tendancielle des dépenses, à législation constante. Et, pour parvenir à afficher son  » chiffre magique  » de 50 milliards d’euros d’économies en trois ans, il a tendance à surévaluer l’évolution tendancielle.

En définitive, les économies réalisées par l’Etat sont faibles.  » Les véritables “économies” imputables à l’exercice 2015 se limiteraient donc à 1,7 milliard d’euros « , estime la Cour des comptes. Par surcroît, elles correspondent, pour 1 milliard d’euros, à des prélèvements sur le fonds de roulement de divers organismes bénéficiaires de taxes affectées (chambres de commerce et d’industrie, agences de l’eau, universités, fonds national de garantie des risques agricoles). Ces prélèvements, non reconductibles, ne constituent pas des économies structurelles. Au total, la Cour des comptes chiffre à 3 milliards d’euros les  » contournements de la charte de budgétisation  » opérés par Bercy dans la présentation de l’exécution du budget de l’Etat en 2015.

Les dépenses nettes du budget de l’Etat ressortiraient finalement en augmentation de 2,6 milliards d’euros par rapport à 2014, malgré les économies réalisées sur les dotations aux collectivités territoriales et sur les prélèvements au profit de l’Union européenne, qui ont été révisés à la baisse. A court terme, c’est surtout grâce à des économies de constatation, notamment sur la charge de la dette, des artifices de présentation ou des mesures  » à un coup « , non reconductibles, que la dépense a pu être maintenue à un niveau permettant une très légère réduction du déficit. L’effort structurel, lui, est inférieur à ce qui avait été annoncé et, insiste la Cour des comptes dans sa conclusion,  » l’exercice 2015 est pauvre en mesures susceptibles de réduire les dépenses au cours des prochaines années « .

L’appréciation de la juridiction financière peut refroidir le satisfecit du gouvernement sur l’exécution du budget 2015. Du reste, dans leur réponse, annexée au rapport, le ministre des finances, Michel Sapin, et le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert,  » contestent vivement l’analyse de la Cour sur le respect des cibles de dépenses et d’économies « . Visiblement, la Cour et Bercy n’ont pas la même conception des économies.

Patrick Roger

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