Que la SNCF médite cette expérience : dans quelques années, ça sera son tour…

Il y a près de 20 ans, j’ai eu des problèmes avec le service clientèle de France Télécom. Sous prétexte que j’avais mis un peu de temps à les payer, j’ai eu des relances et des frais à tout va.

J’avais eu leur service clientèle à qui j’avais dit qu’à force de traiter leurs clients de cette manière, ils auraient des problèmes.

On m’avait répondu que je n’étais pas client, mais usager… Ah ! Le bon temps du client captif vis à vis d’une entreprise monopolistique !

Inutile de dire que dès que j’ai pu claquer la porte, je l’ai fait et j’avais encore conseillé aux salariés de prendre soin des clients car, dixit, s’ils continuaient à considérer leurs clients comme des moins-que-rien, il y aurait des licenciements sous peu… On m’avait dit que ça ne risquait pas vu qu’ils étaient fonctionnaires…

Depuis, il y a eu le drame des suicides et une boite qui a beaucoup souffert…

Toute cette expérience pourrait bien servir à la SNCF car celle-ci considère ses clients comme France Télécom il y a 20 ans. Je crains que l’avenir soit très sombre pour l’entreprise ferroviaire dans le futur car les mêmes causes conduisent très souvent aux mêmes effets.

La concurrence arrive à grands pas, et la plupart du personnel de la SNCF n’a aucune idée de ce qu’est un client.

Rappelons-nous Air France, la SNCM, les Pages Jaunes…

La SNCF me fait penser à la maxime du film « La Haine »…

C’est l’histoire d’un homme
qui tombe d’un immeuble de 50 étages.
Au fur et à mesure de sa chute,
pour se rassurer, il se répète:

« Jusqu’ici, tout va bien. »
« Jusqu’ici, tout va bien. »
« Jusqu’ici, tout va bien. »

Mais l’important, c’est pas la chute.
C’est l’atterrissage…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 8 juillet 2016

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Suicides à France Télécom : le procès se rapproche

Le parquet demande le renvoi de sept dirigeants, dont Didier Lombard, devant le tribunal correctionnel
La réunion des cadres de France Télécom organisée à la Maison de la chimie, à Paris, le 20 octobre 2006, se voulait sans détour. Une opération de motivation des troupes comme les grandes entreprises savent le faire. Les objectifs étaient clairs, et le PDG Didier Lombard n’a pas pris de gants pour les annoncer.

D’ici à trois ans, 22 000 salariés devront avoir quitté l’entreprise, 14 000 autres auront changé de poste. Soit une personne sur trois.  » Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé « , a admis Didier Lombard ce jour-là, mais  » je ferai – ces départs – d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte « . En contrepartie, 6 000 personnes seront recrutées. Sur scène, aux côtés du grand chef, le directeur des ressources humaines (DRH), Olivier Barberot, opine. Next, le plan de restructuration, et son volet social Act, sont ambitieux, il faut se donner les moyens.

Les conséquences de la mise en œuvre de ces deux programmes furent dramatiques. Soixante personnes se sont suicidées en trois ans, dont trente-cinq pour les seules années 2008 et 2009. En septembre 2009, le syndicat SUD-PTT de l’entreprise déposait plainte contre la direction dont il dénonçait  » les méthodes de gestion d’une extraordinaire brutalité « .

Pendant quatre ans, l’ex-juge d’instruction Pascal Gand a épluché des milliers de courriels, déchiffré des PowerPoint, interrogé des dizaines de salariés et de cadres. L’enquête est terminée et le parquet vient de prendre ses réquisitions. A la fin d’un document de 193 pages signé le 22 juin, le procureur de la République de Paris est catégorique : selon lui, sept anciens dirigeants de France Télécom doivent être renvoyés devant un tribunal correctionnel.

Juger un système

Si le juge d’instruction, qui rendra son ordonnance d’ici quelques semaines, suit l’avis du parquet, Didier Lombard, ancien numéro un de France Télécom (devenu Orange en 2013), son ex-bras droit, Louis-Pierre Wenes, et celui qui fut DRH, Olivier Barberot, comparaîtraient pour  » harcèlement moral « . De même pour la société France Télécom, personne morale. Deux directeurs territoriaux – Nathalie Boulanger et Jacques Moulin –, ainsi que le DRH France de l’entreprise, Guy-Patrick Cherouvrier, et l’ex-directrice du programme Act, Brigitte Bravin-Dumont, devraient répondre, eux, de  » complicité de harcèlement moral « .

De telles réquisitions –  » qui ne sont qu’une étape de l’instruction « , rappelle Me Claudia Chemarin, l’avocate de l’entreprise – sont exceptionnelles, en France. Il est encore rarissime, pour ne pas dire inédit, que les plus hauts dirigeants d’une entreprise, qui n’étaient pas les responsables directs des salariés, doivent répondre d’actes de  » harcèlement moral  » devant un tribunal et pour autant de salariés. Pour le procureur, il s’agit surtout de juger un système, celui de la politique de la chaise vide. Ces années-là, chez France Télécom, le harcèlement était érigé en méthode. Les cadres étaient formés à décourager leurs équipes, leur bonus en dépendait. Chaque nouveau départ était la promesse d’une prime majorée en fin d’année.

La loi, en France, est pourtant claire. Quiconque  » harcèle autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail  » est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, dit l’article 222-33-2 du code pénal. Si la preuve est donc apportée que des actes ont été commis dans le but de dégrader les conditions de travail d’un ou plusieurs salariés, le délit de harcèlement moral est constitué. Des preuves, le parquet estime en avoir pléthore.

Soyons clairs, la justice ne reproche pas aux anciens dirigeants de France Télécom d’avoir voulu réorganiser l’entreprise pour l’adapter à l’ère du numérique et du (presque) tout-mobile.  » Ce qui est en cause, c’est la façon dont – ils ont – géré cette organisation « , explique le procureur. Au cours de l’instruction, Didier Lombard et son équipe ont beaucoup joué sur les mots. Ils ne contestent pas les chiffres de 22 000 départs et 14 000 mouvements annoncés à la Maison de la chimie, mais il ne s’agissait pas d' » objectifs « , juste des  » estimations « , des  » trajectoires « , assurent-ils.

Pour le parquet,  » cette dénégation n’est pas sérieuse « . Tout prouve, au contraire, que  » l’objectif de déflation et de mobilité est devenu une fin en soi, quels que soient les moyens pour l’obtenir « . Mais comme  » la société n’a pas tenu compte des alertes et des avertissements sur l’impact  » des changements,  » n’a pas évalué les risques psychosociaux « , cette défense était  » la seule possible « , note le parquet. Combien de fois, pourtant, les syndicats, l’inspection du travail, les médecins ont-ils alerté les dirigeants du climat de travail exécrable de l’entreprise ?

 » Faire bouger les gens « 

Le dossier d’enquête regorge de documents – tableaux Excel, présentations PowerPoint – et de témoignages de salariés qui relatent la chronique de ces départs forcés.  » 5 janvier 2007, petit déj Codir (…). RH (ressources humaines) : objectif réduction atteint tant bien que mal « , griffonne, par exemple, sur un carnet, Gervais P., directeur financier. Là, c’est une note adressée à Nathalie Boulanger évoquant la  » décroissance de 47 CDI – contrats à durée indéterminée – actifs (…), soit sept de mieux que le budget repérimétré (…), l’objectif annuel de 296 départs est donc atteint à hauteur de 74 % « . Jacques Moulin avait conservé, chez lui, des montagnes de documents récapitulant,  » pour toutes les directions (…), la réalisation ou non des objectifs de réductions d’effectifs « .

Combien de chefs ont pu résister ou protéger leurs équipes, alors que tout les poussait à suivre le mouvement ? Leur rémunération était indexée sur les départs. Et l’école de management de Cachan, spécialement créée en 2005 et entièrement consacrée au projet, les formait à  » faire bouger les gens « , en mettant  » la pression partout « . Plus de 4 000 cadres suivaient le cursus chaque année.

Le message toxique est passé ; la méthode a fonctionné. Progressivement, mais sûrement, les conditions de travail se sont dégradées. Tout était bon pour faire craquer le personnel. Affecter les mères de famille sur un poste à deux heures de route de chez elles, offrir à un cadre des responsabilités nettement inférieures à celles qu’il occupait précédemment. Mais aussi  » oublier  » des salariés lors d’un déménagement, les laisser quelques semaines sur un plateau vide, sans chaise ni bureau, loin de leurs anciens collègues.

La situation semble ubuesque, mais Etienne et Vincent l’ont vécue à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine, comme Guy, à Villeneuve-d’Ascq (Nord). Chaque vendredi soir, chacun attendait avec crainte ce courriel qui leur vanterait une nouvelle fois les bienfaits d’un poste au conseil général ou des aides qu’ils pourraient recevoir s’ils se lançaient dans l’apiculture.

Dans son réquisitoire, le parquet précise que les victimes concernées pourraient être plus nombreuses que les quelques dizaines de personnes qui se sont déjà manifestées auprès de la justice :  » Ces dégradations ont concerné tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels était recherchée ou pratiquée la déstabilisation des salariés (…) propice à accélérer la déflation d’effectifs et les mobilités. « 

Sur les 110 000 salariés que comptait alors France Télécom,  » il existe nécessairement de très nombreuses victimes non identifiées « , poursuit le magistrat.  » Cette machine était une machine de destruction massive « , confirme Me Jean-Paul Teissonnière, avocat du syndicat SUD-PTT. Dans l’hypothèse où un procès se tiendrait, des centaines d’autres salariés pourraient demander l’indemnisation de leur préjudice.

émeline Cazi

Les dates
septembre 2009

Le syndicat SUD-PTT dépose plainte contre la direction de France Télécom pour  » mise en danger de la vie d’autrui « , après la vague de suicides qui touche l’entreprise depuis 2006. Une enquête préliminaire est ouverte.

4 juillet 2012

Didier Lombard, l’ex-PDG de France Télécom (2005-2010), est mis en examen pour  » harcèlement moral « . Son ancien bras droit, Louis-Pierre Wenes, et le DRH, Olivier Barberot, seront mis en examen des mêmes chefs.

Décembre 2014

Les juges Pascal Gand et Aurélie Reymond étendent les poursuites à quatre autres dirigeants, qui sont mis en examen pour  » complicité de harcèlement moral « .

22 juin 2016

Le parquet de Paris demande le renvoi de ces sept dirigeants pour  » harcèlement moral  » ou  » complicité de harcèlement moral « .

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