Produire toujours plus de lois sert-il l’intérêt général ?

Rien d’étonnant à voir les gens qui nous dirigent de pondre des lois à tout va : ils ont été formés pour ça… En effet, la formation Sciences-Po – ENA est une formation essentiellement juridique. Dès lors, on ne peut condamner les gens à vouloir exercer le pouvoir comme on leur a appris… même si la finalité de la gestion d’un pays dépasse largement le cadre juridique…

On continue donc à pondre des lois à tout va, et ces lois ne règlent en rien les problèmes de notre pays : nul texte n’a jamais créé de la richesse à lui seul et l’inflation législative ne règlera rien…

On le voit donc aujourd’hui : hormis engorger nos institutions, l’écriture compulsive de lois ne mène à rien…

Et elle ne mène à rien quand on se rend compte que l’écriture des décrets d’application relève de la même gageure !

Quand va-t-on se rendre compte que l’écriture compulsive de lois ne servent pas toujours l’intérêt général et que l’action politique est la prise de décisions au sens large et non pas uniquement législatif ?

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 9 août 2016

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Quand l’obésité des lois ralentit leurs décrets

Contenant de plus en plus d’articles, les textes contribuent à l’engorgement parlementaire et administratif

Présentée en conseil des ministres le 26 mars et validée dans sa quasi-totalité par le Conseil constitutionnel, jeudi 4 août, la loi travail aura donc mis un peu plus de quatre mois pour accomplir tout son parcours législatif. Ce record de vitesse, loin des douze à dix-huit mois de moyenne, a été rendu possible par l’utilisation d’outils comme la procédure accélérée et, surtout, le 49.3 qui, outre faire passer le texte sans vote, a considérablement réduit les périodes de débat.

Pour autant, il faudra attendre encore de longs mois avant que toutes les mesures du texte n’entrent réellement en application. En cause : les quelque 120 décrets d’application que le gouvernement va maintenant devoir rédiger pour préciser tout un tas de modalités pratiques du texte.

Si de 30 % à 40 % des lois votées sont dites d’application  » directe « , la plupart contiennent des mesures trop abstraites ou trop générales pour être appliquées et nécessitent donc des décrets pour les expliciter. En théorie, ils devraient être publiés dans les six mois suivant la promulgation de la loi ; en pratique, cela prend plutôt dix mois, voire plusieurs années. Certains ne le sont même jamais.

La loi Macron bonne élève

En la matière, la fâcheuse tendance à produire des textes de plus en plus riches n’aide pas. Plus les lois sont denses, plus elles peinent à traverser les tuyaux parlementaires et administratifs. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) en est l’un des meilleurs exemples : promulgué en mars 2014, le texte fort de 177 articles attend encore 23 % de ses 174 décrets d’application.

Deux ans après le vote de la loi, on ne connaît, par exemple, toujours pas tous les détails pratiques du  » diagnostic technique  » qui doit être remis au locataire d’un logement, notamment sur l’ » état de l’installation intérieure d’électricité et de gaz  » et sur les  » matériaux ou produits de la construction contenant de l’amiante  » à signaler.

Or, cette propension à produire des  » lois obèses  » ne s’est pas calmée au fil du quinquennat, bien au contraire, et les 123 articles de la loi travail en sont une illustration. Dans son dernier bilan annuel de l’application des lois publié le 31 mai, le Sénat note que dans la session 2014-2015,  » plusieurs lois ont atteint des records « .

A elles seules, les lois Macron, pour l’agriculture, sur la réforme territoriale et sur la transition énergétique  » totalisent plus de 740 articles et nécessitent plus de 460 mesures d’application « , écrit ainsi le sénateur Claude Bérit-Débat (Parti socialiste, Dordogne) dans son rapport. Résultat : sur les quarante-trois lois promulguées entre octobre 2014 et septembre 2015, dix-huit ne sont aujourd’hui que  » partiellement  » appliquées.

Si la loi Macron (308 articles) fait plutôt figure de bonne élève – avec 90 % de ses décrets déjà pris –, il manque, par exemple, ceux précisant les modalités de l’article 3 qui prévoit que  » tout autocar est équipé de dispositifs permettant d’en prévenir la conduite sous l’empire d’un état alcoolique « .

La loi agriculture (96 articles), promulguée en octobre 2014, a certes progressé depuis août 2015, date à laquelle il manquait plus de la moitié de ses décrets mais, selon le site du secrétariat général du gouvernement Legifrance. gouv.fr, seize se faisaient encore désirer début août 2016.

Inertie

La réforme territoriale (136 articles) promulguée en août 2015, attend encore la publication de 17 % de ses décrets, la loi sur la transition énergétique (215 articles, août 2015) de 30 % d’entre eux et la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de décembre 2015 (101 articles) n’a vu à ce jour que la moitié de ses décrets être rédigés. Dans l’ensemble toutefois, le dernier bilan sur toute la législature est meilleur au 30 juin 2016 qu’il ne l’était au 30 juin 2011.

Selon Legifrance, sur les 111 lois promulguées entre 2012 et fin 2015 nécessitant des décrets d’application, 84 % des décrets sont déjà publiés, contre 75 % cinq ans auparavant. Il n’empêche ; le problème de l’engorgement voire du blocage administratif de certaines mesures votées démocratiquement demeure. Et ce même si, en 2008 déjà, le premier ministre, François Fillon, reconnaissait que cela constituait  » une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens « .

Heureusement peut-être pour les responsables politiques, lesdits concitoyens sont en général peu conscients de l’ampleur de cette inertie administrative. Et les associations qui tentent de s’y attaquer rencontrent souvent un mur.

Le 25 juillet, la section française de l’Observatoire international des prisons s’est ainsi vue déboutée de sa requête auprès du Conseil d’Etat précisément sur ce sujet. L’ONG estimait que l’absence d’un des trois décrets d’une loi de mai 2014 sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales pénalisait les personnes concernées par le texte, à savoir les détenus soumis à des mesures disciplinaires.

Le décret devait notamment préciser les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent avoir accès à leur dossier et comment leur avocat  » peut prendre connaissance de tout élément utile à l’exercice des droits de la défense « , particulièrement les enregistrements de vidéosurveillance. Mais le Conseil d’Etat a estimé qu’ » il n’apparai – ssait – pas que le respect du principe constitutionnel du respect des droits de la défense soit conditionné par la publication de ce décret  » et que celui-ci était de toute façon  » en préparation « . Comme depuis plus de deux ans.

Hélène Bekmezian


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