Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte « au carré » ?

Je trouve inopérante la démonstration du journaliste tendant à faire croire que le lanceur d’alerte de cet article ne serait pas exemplaire… La démonstration tombe à plat car elle n’est pas suffisamment argumentée.

Sous principe qu’il y a eu discussion entre le lanceur d’alerte et sa hiérarchie, le lanceur d’alerte ne serait plus légitime à dire ce qui ne va pas ?

C’est faux et absolument faux ! M. Rice a été licencié et a été intégré au sein d’un organisme qui devait le sanctionner ! C’est un fait !

C’est pas parce que l’on convoque une personne lanceur d’alerte à une réunion qu’elle est entendue et que les conclusions de la réunion iront dans le sens du lanceur d’alerte !

Bien au contraire : tous les jours des gens pris la main dans le pot de confiture essaie de discuter avec les gens qui les ont pris la main dans le sac, ce n’est pas pour cela que la faute peut être effacée !

Bref, cet article est léger, très léger, trop léger pour un journal comme ‘Le Monde’. Les sous-entendus que M. Eric Ben-Artzi ait pu agir uniquement pour que son modèle soit pris en compte pour flatter son égo, ne sont rien face au fait que le même Eric Ben-Artzi refuse 8 millions de dollars…

M. Paul Jorion a été très léger dans cette histoire… Comme quoi, même au journal ‘Le Monde’, tous les journalistes ne sont pas des cadors…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 31 août 2016

*****************

Un lanceur d’alerte peut en cacher un autre

Savez-vous ce qu’est un lanceur d’alerte  » au carré  » ? Il s’agit d’un lanceur d’alerte dénonçant un scandale dans son entreprise et qui, ensuite, dénonce la manière scandaleuse dont fonctionne l’organisme de régulation qu’il a alerté.

Eric Ben-Artzi, ancien employé à la gestion du risque de la Deutsche Bank (DB), avait dénoncé en 2011 à la Securities and Exchange Commission (SEC, le régulateur du système bancaire américain) la manière dont la Deutsche Bank avait valorisé un portefeuille de produits dérivés, cachant selon lui le caractère dramatique de sa situation en 2008-2009. En août, il a dénoncé la passivité de la SEC, qui a certes infligé une amende de 55 millions de dollars (49 millions d’euros) à la DB mais n’a lancé aucune poursuite judiciaire contre ses dirigeants. Refusant sa  » part  » de l’amende, une récompense de 8 millions de dollars, il a affirmé que la SEC était infiltrée par d’anciens membres de cette banque.

Il est vrai que Robert Rice, qui dirigeait chez DB le département gouvernance, contentieux et réglementation en 2011, est, depuis 2013, conseiller juridique en chef à la SEC. Il est vrai aussi que Robert Khuzami, conseiller juridique en chef pour l’Amérique du Nord à la DB de 2004 à 2009, est devenu ensuite chef du département des mises en application à la SEC. Il est vrai enfin que leur patron à tous deux, Richard Walker, conseiller général à la DB jusqu’à cette année, avait été chef du département des mises en application à la SEC de 1998 à 2001…

Si l’on prenait M. Ben-Artzi à la lettre, on rapprocherait sa dénonciation de celles de récents pantouflages, comme lorsque Michel Sapin, ministre des finances, a nommé le 3 août comme directeur de son cabinet Thierry Aulagnon, ancien directeur pour l’Europe de la banque d’investissement de la Société générale.

A ceci près que si l’on l’examine de plus près, le cas de M. Ben-Artzi perd beaucoup de sa belle clarté.

Chargé d’examiner en 2010 le risque d’un portefeuille de produits dérivés de sa banque, M. Ben-Artzi avait insisté pour recourir à un modèle qu’il avait utilisé lorsqu’il travaillait chez Goldman Sachs. Son évaluation suggéra que la DB avait été au bord de la faillite en 2009, ce qui était alors passé inaperçu. Sa direction attira son attention sur les différentes évaluations faites alors par la banque – selon des critères jugés valides par les responsables de l’audit. M. Ben-Artzi jugea ces explications inadéquates – d’autant que d’autres établissements avaient à l’époque valorisé leurs positions correctement selon lui, et étaient apparus en difficulté. Il contacta alors directement la SEC pour faire part de ses préoccupations.

Pantouflage

Ayant appris sa démarche, son supérieur, Robert Rice (visé, on l’a vu, par l’accusation de M. Ben-Artzi aujourd’hui), le convoqua et l’interrogea sur le sens de celle-ci, l’informant que la SEC avait été avisée de possibles irrégularités et qu’un cabinet d’avocats enquêtait à ce sujet à la demande de la banque elle-même. M. Ben-Artzi fut, par la suite, convié à une réunion de deux heures avec M. Rice et l’un des partenaires du cabinet d’avocats pour examiner la question.

On est donc loin, on en conviendra, du schéma classique où un employé découvrirait une malversation, la signalerait à des employeurs faisant la sourde oreille, et alerterait le régulateur en désespoir de cause. Dans le cas de M. Ben-Artzi, son employeur a prêté l’oreille à ses arguments, a consenti des efforts raisonnables pour y répondre et a continué à l’associer au processus d’examen alors qu’il le court-circuitait.

Le pantouflage est un fléau qui entrave la bonne marche des affaires par le conflit d’intérêts : il doit être combattu. Les lanceurs d’alerte jouent un rôle capital ; ils doivent être protégés au mieux contre d’éventuelles représailles. Mais tous parmi ceux-ci ne sont pas forcément exemplaires.

Par Paul Jorion

Please follow and like us: