Ce beau pays démocratique qu’est la Russie !

Depardieu décidément avait bien raison : la Russie est bien un merveilleux état démocratique ! On le voit à la manière du pays de traiter ses opposants politiques : un peu trop d’ambition et hop, en prison ou une inéligibilité à vie !

Décidément, c’est un bien beau pays ! A quand Poutine Nobel de la paix ?

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 20 Juillet 2013

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REPORTAGE
Le Kremlin garde à l’oeil l’opposant Alexeï Navalny
Condamné à cinq ans de détention en colonie pénitentiaire, l’avocat a été remis en liberté sous contrôle judiciaire
Moscou Envoyé spécial

Alexeï Navalny est libre, vingt-quatre heures après sa condamnation à cinq ans de prison. Ce coup de théâtre surréaliste est intervenu vendredi 19 juillet, après l’examen à Kirov d’un appel du parquet. Le même procureur qui avait requis six ans contre l’avocat, au cours du procès, estimait soudainement qu’il pouvait être remis en liberté, sous contrôle judiciaire. Motif invoqué : sa candidature à la mairie de Moscou. Souriant dans la cage du prévenu, l’ennemi numéro un du Kremlin a demandé à ce qu’on vérifie l’identité du procureur, au cas où il s’agirait d’un sosie. Puis il a remercié les manifestants, sortis dans la rue la veille au soir.

Jeudi matin, il a fallu attendre plus de trois heures, dans l’enceinte du petit tribunal de Kirov, avant que la sentence ne tombe, au terme d’un procès à sens unique. Le juge a fini par égrainer les condamnations : cinq ans de détention en colonie pénitentiaire pour Alexeï Navalny, quatre pour son co-accusé, l’entrepreneur Piotr Ofitserov. Les deux hommes étaient reconnus coupables de détournement de fonds au détriment d’une entreprise forestière, à l’époque où l’avocat était conseiller du gouverneur de la région. Le jugement prononcé, les miliciens ont emmené les accusés en détention. Malgré sa libération sous contrôle judicaire, l’avenir de l’avocat demeure sombre : difficile d’imaginer une annulation de la condamnation.

Jeudi, peu avant 19 heures, à Moscou, les manifestants ont commencé à s’agglutiner sur les trottoirs, devant la Douma (Chambre basse du parlement), aux coins de Tverskaïa et le long de la place du Manège, fermée par la police. Ils étaient des milliers, furieux, mais sans rage révolutionnaire. Ils n’étaient même pas assez radicaux pour interrompre la circulation sur Tverskaïa, les Champs-Elysées de Moscou. Il est vrai que les cordons policiers sont dissuasifs.  » Un pour tous, tous pour un « , lançait la foule, reprenant le slogan favori d’Alexeï Navalny.  » Li-ber-té !  » et  » Poutine voleur !  » remportaient aussi un franc succès. Régulièrement, les protestataires s’applaudissaient, pour se rassurer et s’entendre vibrer collectivement.

Jana Tchebovskaïa, 27 ans, est une représentante typique de cette génération moscovite, éveillée à l’action après les fraudes aux élections de décembre 2011. Enseignante d’anglais et d’espagnol, elle a inscrit sur son tee-shirt blanc  :  » Pour Navalny et pour moi « .  » On a tous un sentiment bizarre, poursuit-elle. Personne n’est étonné, mais c’est terrifiant.  » Jana porte un regard nuancé sur l’avocat.  »  Ce n’est pas mon héros, son nationalisme ne me plaît pas, mais il n’y aura jamais de candidature idéale. Et il a fait beaucoup de bonnes choses avec son fonds contre la corruption. « 

Non loin de là, Alexeï Lebedev, lui, tient fièrement une feuille de papier. Elle précise qu’il est un  » frère de Navalny « . Spécialiste en marketing sur Internet, âgé de 29 ans, il estime que  » Poutine est un froussard en s’en prenant de cette façon à Navalny.  » Selon le jeune homme, très vindicatif,  » tout est devenu clair après les fraudes  » de décembre 2011.  » Il s’agit d’un pouvoir d’occupants, dit-il. Ils se sont barricadés à Moscou, où se trouve l’argent, tandis que le reste du pays se dégrade. Ils prennent les gens pour du bétail. « 

Malgré cette colère partagée, les perspectives de l’opposition restent incertaines. Près de 200 personnes ont été interpellées jeudi, en fin de manifestation. Beaucoup ont été relâchés dans la nuit. Une poignée avait tenté, en vain, de débuter une occupation, sur une place non loin du siège des services secrets, le FSB. Quant à Alexeï Navalny, son destin est en suspens. Le jugement marquera-t-il, déjà, la fin de sa carrière politique ? Ou bien va-t-il le propulser dans une nouvelle dimension, celle de prisonnier politique, de figure intransigeante prête au sacrifice de sa liberté ? Si le jugement est confirmé en appel, l’avocat deviendra inéligible à vie. L’état-major d’Alexeï Navalny, enregistré mercredi comme candidat à la mairie de Moscou, a dans un premier temps annoncé son retrait. L’élection du 8 septembre serait alors vidée de sa substance.

Le rebondissement de vendredi n’y change rien. Alexeï Navalny rejoint l’ancien patron du groupe Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, sur le banc des persécutés. Détenu depuis dix ans, ce dernier pourrait subir un troisième procès, en 2014. Leurs rapports avec Vladimir Poutine sont dissemblables. L’ancien oligarque a fait partie du cercle des puissants, qui ont bénéficié des privatisations douteuses des années 1990. Mais il n’a pas voulu respecter le contrat que l’ancien agent du KGB a imposé à ses semblables : la prospérité contre une absolue loyauté.

Le cas d’Alexeï Navalny est autre. Il n’est pas un acteur familier pour Vladimir Poutine, qui n’a aucune culture numérique et voit la société civile comme une bande d’agités, stimulés par l’Occident.

La dernière attaque d’Alexeï Navalny a visé un homme-clé du pouvoir : le patron des chemins de fer russes, Vladimir Iakounine. Sur son site, à deux jours du jugement, l’avocat a publié un schéma des sociétés offshore utilisées par ce cadre du régime. Aucune réaction officielle contre M. Iakounine, qui menace à présent de porter plainte contre l’avocat. Au printemps, Vladimir Poutine a pourtant lancé la  » renationalisation des élites  « , destinée à déclarer leurs biens immobiliers à l’étranger et à rapatrier les fonds cachés. Visiblement, la sévérité du pouvoir est un missile à tête chercheuse.

Piotr Smolar


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