Le conflit d’intérêt doit être interdit concernant les décisions sur la santé des Français

La malbouffe rend malade… La malbouffe tue…

En ce sens, il relève de l’intérêt général de protéger le citoyen en lui donnant une information juste et indépendante.

C’est l’indépendance des décisions qui est remise en cause ici, ce qui est INACCEPTABLE !

Quand on est homme ou femme politique, la protection de l’intégrité physique du citoyen est obligatoire et doit se faire dans une rigueur irréprochable !

Le conflit d’intérêt doit donc être combattu avec force et véhémence afin de remettre le citoyen au coeur des décisions de ses représentants !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 9 juillet 2016

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Scandale autour de l’étiquetage alimentaire

Les conflits d’intérêts minent une étude pour une meilleure signalétique lancée par le ministère de la santé

Un étiquetage clair sur ses produits ? L’industrie agroalimentaire n’en veut surtout pas. Depuis dix ans, elle lutte contre la mise en place de logos colorés, inspirés des feux de circulation, qui révéleraient la vraie nature de certains aliments transformés : trop gras, trop salés, trop sucrés. Que tous les consommateurs puissent faire leurs courses de manière éclairée sans pour autant être diplômés en nutrition, telle est l’idée. Quitte à choisir entre deux pizzas, autant opter pour celle qui porte la couleur verte, donc la plus saine, et non celle étiquetée en orange. Cet outil pourrait être ajouté à la panoplie des mesures de santé publique destinées à enrayer l’augmentation des maladies cardiovasculaires, de l’obésité (17 % des Français), ou du diabète, dont l’incidence a quadruplé depuis 1980 pour atteindre 422 millions de personnes dans le monde.

Si l’industrie refuse des pastilles de couleurs sur ses emballages, c’est parce qu’elle en redoute une en particulier : l’écarlate de la  » stigmatisation « , selon ses propres termes. Car la couleur rouge pourrait aussi servir de support pour fixer des taxes, à l’instar de la  » taxe soda  » sur les boissons sucrées. Quand la Commission européenne s’engage sur la voie d’une harmonisation de l’étiquetage alimentaire dans l’Union en 2006, la Confédération européenne des industries alimentaires et de la boisson se mobilise pour développer ses propres logos (les repères nutritionnels journaliers) et contrer le système de feux tricolores qui est envisagé. Dans la presse européenne, elle revendique avoir dépensé 1 milliard d’euros pour son lobbying finalement victorieux : en 2011, le principe d’un étiquetage obligatoire est abandonné.

Puisque les Etats membres restent libres de proposer un étiquetage facultatif, la ministre de la santé, Marisol Touraine, décide de remettre la question au goût du jour. Une équipe de chercheurs de Paris-XIII/Inserm développe pour elle un système à cinq couleurs ; en 2014, il figure dans la loi santé. Mais, même facultatif, il est rejeté par l’industrie. Faisant peser ses 170 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans les débats parlementaires, l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), qui défend les intérêts de 16 000 entreprises, des PME aux multinationales, distribue aux députés des listes d’amendements  » clé en main « . Puis la grande distribution s’en mêle à son tour : Carrefour développe son  » système d’étiquetage nutritionnel simplifié « .

Les deux acteurs économiques jouent la montre. Ils réclament une étude en  » conditions réelles d’achat  » pour comparer les différents systèmes. Alors que la ministre avait assuré, fin 2015 devant l’Assemblée, qu’ » il n’y a pas d’expérience qui soit nécessaire « , elle finit par faire cette concession pour, dit-on au ministère,  » mettre tout le monde d’accord « .

Juges et parties

Début 2016, Mme Touraine charge sa direction générale de la santé, la DGS, de mener une étude qui doit comparer quatre systèmes d’étiquetage alimentaire : celui de la grande distribution, celui de l’agroalimentaire, les feux tricolores appliqués au Royaume-Uni et le système à cinq couleurs. Deux comités ont été mis en place pour en superviser, pendant plusieurs mois, l’organisation et la réalisation. Mais l’enquête du Monde montre que l’accumulation des conflits d’intérêts en leur sein jette le doute sur l’impartialité de l’évaluation.

C’est Mme Touraine qui fixe la composition de la première instance, le comité de pilotage. A sa tête, elle place le plus haut fonctionnaire de son ministère, le directeur général de la santé, Benoît Vallet, qui partage le fauteuil avec Christian Babusiaux, nommé au titre de  » président de chambre honoraire à la Cour des comptes « . Or, comme l’avait relevé Le Canard enchaîné en février, M. Babusiaux est depuis avril 2015 le président du Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS).

Celui-ci se présente comme un  » lieu d’échange entre la communauté scientifique et les acteurs économiques  » ayant pour mission  » l’étude et la mise en valeur d’une alimentation source de plaisir et de santé « . Lancée en mai 2010, cette organisation de lobbying scientifique réunissait au sein de son  » collège fondateur  » les industriels de l’agroalimentaire (ANIA), AGIS (plats préparés), Kraft Foods (chocolat, -biscuits, confiserie ; maintenant Mondelez) et la Fédération nationale des industries des corps gras (huiles et margarines). Le FFAS organise des événements de relations publiques et, surtout, favorise une proximité entre universitaires et acteurs économiques au sein de ses groupes de travail.

La curieuse attribution des rôles de juges et parties se poursuit avec les quinze membres du comité de pilotage de l’étude. Parmi eux, on trouve quatre représentants de la grande distribution et de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), hostiles aux systèmes colorés au point que cette dernière avait affirmé son intention de les  » combattre « . Le terme martial figurait dans une note -interne de février 2015, que Le Monde s’est procurée.

Faut-il alors s’en étonner ? Le -comité de pilotage a confié au FFAS la mise en œuvre de l’étude.  » Le Fonds français n’a jamais pris position pour un logo ou contre un logo, assure M. Vallet. Par ailleurs, les industriels ne sont pas partisans de l’un des systèmes. « 

Cette étude devrait coûter 2 millions d’euros – moitié sur fonds fournis par l’industrie et la distribution, moitié sur fonds publics pourvus par le ministère de la santé et l’assurance-maladie. La responsabilité en est donc confiée au directeur général du FFAS, Daniel Nairaud. Ni ce dernier ni M. Babusiaux n’ont souhaité répondre aux questions du Monde.

Une deuxième instance a été mise en place pour élaborer le protocole de l’étude et garantir la rigueur des opérations : le comité scientifique. Ses membres, des universitaires issus de plusieurs domaines, ont, eux, été choisis par MM. Vallet et Babusiaux.  » Vous vous assurerez, avait écrit Mme Touraine à ces derniers le 2 février, que les membres de ce comité présentent toute garantie de compétence, d’indépendance, d’objectivité et d’impartialité.  » Or, gênés par les conditions de l’étude et les liens de certains membres avec les industriels, trois d’entre eux ont déjà démissionné avec fracas.

 » Le fait de demander une étude grandeur nature et d’analyser l’effet d’une mesure sur les comportements est une façon de gagner du temps, typique des stratégies de lobbying « , explique Karine Gallopel-Morvan, professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique (Rennes), l’une des démissionnaires. D’ailleurs, quand bien même les systèmes à couleurs l’emporteraient, rien n’obligerait les industriels à les appliquer.

Sur les dix experts restant, six collaborent avec la grande distribution et l’agroalimentaire, que ce soit dans le cadre de leur activité d’enseignants-chercheurs ou à titre personnel.

L’industrie laitière est particulièrement bien représentée : -Danone et Nestlé ont chacun des liens avec quatre de ces six experts. L’industrie du sucre, aussi, avec l’Institut Benjamin Delessert, une structure qu’elle finance et qui a noué des collaborations avec quatre scientifiques.

Tout cela figure clairement dans les formulaires de déclaration d’intérêts que ces six experts ont fournis au ministère. Leur participation au comité scientifique a donc été validée en toute connaissance de cause par la DGS. A noter que, même si les montants n’apparaissent pas, une journée de conseil est en général rétribuée entre 500 et 2 000 euros.

Plusieurs d’entre eux, cependant, n’ont pas tout dit. Si les omissions sont d’autant plus fâcheuses que la loi les punit désormais de 30 000 euros d’amende, certaines d’entre elles concernent le FFAS. La déclaration de Nathalie Rigal (université Paris Ouest) est seulement incomplète ; quatre de ses collègues taisent en revanche tout rapport avec l’organisation. Au total, les six experts liés à l’industrie sont aussi liés au FFAS. Benoît -Vallet réfute une quelconque -situation de conflits d’intérêts.

Monde à l’envers

Vendredi 8 juillet, le nom du  » prestataire  » chargé de la réalisation de l’étude sur le terrain et choisi par le FFAS devait être avancé lors du comité de pilotage. D’après nos informations, il s’agirait de LinkUp, une agence de conseil que le FFAS connaît fort bien. Car LinkUp est tout à la fois donateur et prestataire du FFAS, membre de deux de ses groupes et bénéficiaire d’un financement de 24 900 euros. Et surtout Link-Up a participé au développement du système d’étiquetage de la grande distribution… qu’elle va maintenant évaluer.

Dans cet écheveau d’intérêts contradictoires, un grand absent : Serge Hercberg. Directeur du Programme national nutrition santé depuis 2001, indépendant de tout lien avec l’industrie, c’est lui qui a supervisé l’élaboration du système à cinq couleurs pour le ministère. Mais dans ce monde à l’envers où les porteurs d’intérêts commerciaux seraient de meilleurs garants de l’impartialité de la démarche scientifique, M. Hercberg a été disqualifié pour conflit d’intérêts parce qu’impliqué… dans le système d’étiquetage proposé à Marisol Touraine par la recherche publique. Deux poids, deux mesures.

Stéphane Horel, et Pascale Santi


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