Les pratiques honteuses de l’Inserm en matière de droit du travail

C’est une situation honteuse et absurde que celle-ci. Sous prétexte de manque de crédit, on licencie quelqu’un de compétent et qui aurait pu apporter un plus indéniable dans un service de recherche. Il faut d’urgence réformer ce genre de pratiques afin que ceci ne soit plus possible. Si c’est par manque d’argent que l’on réalise ces licenciements, il faudra peut être penser à engager des mesures de licenciement économique, y compris à l’intérieur de la fonction publique. Il n’est pas possible que l’on ait une telle muraille entre quelques salariés et fonctionnaires hyper-protégés, et des fonctionnaires hyper-mal-protégés. Une réforme urgente est nécessaire quoiqu’il en soit.

Si cette chercheuse est réellement indispensable, il ne me paraît pas incongru de licencier un fonctionnaire qui ne l’est pas…

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A l’Inserm, une chercheuse « indispensable » doit partir après onze ans… et douze CDD
LE MONDE | 03.01.2013 à 11h15 • Mis à jour le 03.01.2013 à 14h30 Par Yan Gauchard – Nantes, Correspondant

Elle est l’une des rares figures du monde de la recherche médicale à s’être rebellée et à avoir porté l’affaire devant la justice. Audacieuse mais « pas suicidaire », elle préfère ne pas exposer son nom pour ne pas contrarier de prochains entretiens d’embauche.

A 32 ans, cette ingénieure, mariée et mère de deux enfants, a enchaîné onze années de contrats à durée déterminée dans un centre de recherche en cancérologie à Nantes avant de se retrouver sur le carreau. Pour l’heure, « c’est la galère », dit-elle – après douze CDD, et six avenants prolongeant ces contrats, « au sein d’une seule et même équipe de recherche médicale ».

La même unité, mais des employeurs pluriels : l’association de recherche du centre hospitalier universitaire (un an) ; l’Inserm (deux ans) ; le centre hospitalier universitaire, CHU (trois ans) ; le Centre national de la recherche scientifique, CNRS (six mois) ; puis encore l’Inserm (quatre ans et demi). Son dernier contrat a expiré le 23 septembre 2012.

CONGÉ DÉFINITIF

Longtemps, elle a cru à un CDI, « jusqu’à ce que le couperet tombe ». Et que l’administration lui signifie son congé définitif. « On m’a certifié que cela n’avait rien à voir avec mes compétences et mon investissement, mais qu’il s’agissait d’une aberration administrative. Désormais, j’ai trop d’ancienneté pour signer un nouveau CDD. Il n’y a pas le budget pour pérenniser mon poste, juste les crédits pour lancer un nouveau CDD. »

La mort dans l’âme, elle a abandonné ses travaux. Elle menait notamment une étude clinique importante sur 200 patients, sous la conduite d’un professeur de médecine, au sein du service de réanimation du CHU. Un programme destiné « à prouver l’efficacité d’un traitement permettant de redonner un système immunitaire compétent à des personnes accidentées de la route », sujettes parfois à de graves infections. Après son départ, le programme a inévitablement tangué, de l’aveu même d’un membre de l’équipe. « Au moins le temps de retrouver une personne capable de prendre sa suite. Après, former une personne à un programme de recherche spécifique demande encore plus de temps. »

Le 5 octobre 2012, l’ingénieure a saisi le tribunal administratif de Nantes. Au terme d’un référé-suspension, la justice a enjoint au président-directeur général de l’Inserm de procéder au réexamen de son dossier. La requête reste vaine. Me Rémi Bascoulergue, avocat de l’intéressée, est catégorique : « La loi du mars 2012, dite loi Sauvadet, stipule que la continuité des différents contrats effectués même pour des établissements différents doit être prise en compte. »

En refusant d’accorder un CDI à sa cliente, « l’Inserm bafoue non seulement l’autorité de l’Etat, mais également celle du tribunal de Nantes », dénonce-t-il. Me Bascoulergue a écrit à Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour lui demander d’user de son autorité hiérarchique.

DISETTE BUDGÉTAIRE

Lise Caron, chercheuse au CNRS, a aussi interpellé la ministre, dénonçant « les dégraissages » effectués par les établissements publics « afin d’éviter de passer en CDI les précaires ». « Nos laboratoires vont se vider de personnels qualifiés et expérimentés », redoute Mme Caron, qui estime qu’il y a « plus de 15 00 salariés précaires à Nantes participant à des programmes de recherche pointus pour le compte de l’Inserm, du CHU ou de l’université de Nantes ». Dans le domaine de la santé, égrène celle qui est aussi secrétaire régionale du Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (affilié à la CGT), « les laboratoires comptent jusqu’à 40 % de contractuels ».

Directeur de recherche à l’Inserm de Nantes, Frédéric Altare a délivré, dès septembre 2010, une attestation en faveur de l’ingénieure nantaise. Dans ce courrier, il précise que l’activité de l’intéressée est « indispensable à l’unité, ce qui est d’ailleurs confirmé par le renouvellement systématique de ses contrats à durée déterminée depuis son arrivée dans l’unité ».

Le cas de cette salariée, note-t-il, est emblématique. « Les laboratoires ne sont plus financés par leur tutelle qu’à un maximum de 20 %. Pour fonctionner, il faut trouver des crédits extérieurs. » Disette budgétaire oblige, « les possibilités de recrutement de statutaires sont très limitées ».

La nouvelle loi sur les durées de CDD, dont le principe est de protéger les personnels, est « une bonne chose sur le fond. Sauf que l’Etat n’a pas abondé les budgets en conséquence pour pérenniser ces postes ». Résultat : les équipes de recherche perdent « des personnels compétents ». Cette situation-là, dit-il, est « très inconfortable pour tous, mais c’est hélas le quotidien d’un laboratoire français ». L’ingénieure nantaise sera fixée sur son sort à l’issue d’une nouvelle audience devant le tribunal administratif le 22 janvier. Contacté, l’Inserm n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Yan Gauchard – Nantes, Correspondant


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