Quand l’Etat gère particulièrement mal son patrimoine

Il y a des opérations qui posent question. Ainsi, l’Etat vend-il régulièrement des terrains et bâtiments à la SNI, dont le rôle n’est pas de défendre l’intérêt général. Ces ventes posent problèmes dans le sens où elles se font souvent bien en dessous du prix du marché. De plus, dans quelques cas, les baux cédés à la SNI sont cassés, dans la mesure où bâtiments et terrains rejoignent d’autres finalités.

L’Etat cède donc son patrimoine à prix bradé, ce qui pose bien évidemment question car l’argent de l’Etat est l’argent du contribuable.

Ces opérations permettent-elles à certains de s’enrichir indument avec l’argent du contribuable ? La justice serait bien avisée de répondre à cette question.

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 7 Janvier 2014

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Les mauvaises affaires immobilières de l’Etat
La Cour des comptes dénonce la vente bradée de terrains et de biens pour combler les déficits publics

L’obsession de la réduction du déficit, conjuguée à celle de l’allégement de l’Etat, peut parfois amener celui-ci à se dépouiller de son patrimoine à ses dépens. En témoigne un récent référé de la Cour des comptes, rendu public fin 2013, qui vise au premier chef la Société nationale immobilière (SNI), devenue en 2004 filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Au moins sur deux séries d’opérations immobilières, il apparaît, comme le soulignent les magistrats financiers, que  » les intérêts de l’Etat paraissent avoir été insuffisamment préservés « .

La SNI est, avec près de 300 000 logements gérés, le premier bailleur de France. Elle n’a cessé, depuis 2005, d’élargir son périmètre, en prenant le contrôle d’autres acteurs du secteur. Pour le président du directoire, André Yché, également membre du comité de direction de la CDC, la logique d’entreprise doit se substituer à la logique de l’intérêt général. Dans un ouvrage publié en 2011, Logement, habitat et cohésion sociale. Au-delà de la crise, quelle société voulons-nous pour demain ? (Mollat), il plaidait pour une forme de privatisation du logement social.  » Le modèle HLM, avec ses contraintes, est en décalage avec un monde où la valorisation foncière et immobilière est la règle « , expliquait-il dans un entretien au Monde du 15 février 2011.

Le référé de la Cour des comptes montre qu’il a parfaitement su s’appliquer ce principe. Mais que l’Etat, lui, en sort passablement lésé. Les observations des magistrats de la Rue Cambon se suffisent à elles-mêmes.

Ils évoquent tout d’abord un programme d’aménagement de la SNI sur un terrain acheté à l’Etat en 2004 dans le 15e arrondissement de Paris, au prix de 19 millions d’euros hors taxes (HT). Après l’avoir aménagé et créé un parking en sous-sol, la SNI a  » revendu une surface commerciale de 6 000 mètres carrés à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance-vieillesse (Cipav) pour un prix de 44,4 millions d’euros HT « ,  » vendu des installations sportives (gymnase) à la Ville de Paris pour un prix de 5,9 millions d’euros HT) « ,  » construit 35 logements en accession libre pour un prix global de 34,4 millions d’euros TTC « ,  » construit 142 logements sociaux qui font l’objet de réservations par les ministères, la Ville de Paris et des organismes du 1 % « .

La conclusion de la Cour des comptes est sans ambiguïté :  » Même en tenant compte des coûts des travaux, de la conduite du projet et du portage financier, le prix de vente du terrain à la SNI est faible, compte tenu du rendement de l’opération et du poids habituel de la charge foncière dans les opérations conduites dans le centre de Paris.  » D’autant que, pour la SNI, vu sa position, l’opération est quasiment sans risques. Pour les magistrats,  » il importe donc de prévoir systématiquement une clause de retour à meilleure fortune et de partage des résultats en cas de cession d’un bien foncier de l’Etat à fin d’aménagement « .

Deuxième série d’opérations épinglée par la Cour des comptes : la cession de terrains de l’Etat sous baux emphytéotiques intervenue en 2009 au profit de la SNI. Celle-ci est l’héritière de la Société de gestion immobilière des armées (Sogima), dont la fonction était le logement des agents de l’Etat et, en particulier, de ceux de la défense.

Le ministère de la défense mettait à sa disposition des propriétés domaniales pour une longue durée, pouvant aller jusqu’à quatre-vingts ans, à charge pour l’opérateur, moyennant une redevance symbolique, de construire et d’entretenir des bâtiments d’habitation. A l’échéance du bail, l’Etat doit récupérer les terrains qui sont restés sa propriété avec les bâtiments édifiés dessus.

L’opération est en principe équilibrée. Mais, comme le souligne la Cour,  » cet équilibre est altéré au profit de l’opérateur et au détriment des intérêts patrimoniaux à long terme de l’Etat si le retour des terrains et bâtiments n’a pas lieu comme prévu à l’expiration des baux emphytéotiques et si l’opérateur peut se les approprier en cours de bail « .

C’est ce qui s’est passé en 2009. La SNI soumet à France Domaine une liste de 60 terrains sous bail emphytéotique et 4 domaniaux dont elle souhaite se porter acquéreur de gré à gré.  » Ces ensembles immobiliers étaient souvent récemment construits et réhabilités, 24 immeubles faisaient l’objet d’un conventionnement social, la plupart étaient des logements intermédiaires (PLI) « , note la cour.

Le premier ministre, François Fillon, accepte de recourir à la procédure de gré à gré.  » Décision juridiquement contestable « , constate la cour.  » L’Etat s’est placé lui-même dans une situation de faiblesse dans cette opération, poursuit-elle. La SNI était de facto en position d’unique demandeur. Les contrats de baux emphytéotiques concernés ne contenaient aucune clause de sortie en cours de bail. « 

France Domaine et le ministère de la défense ont finalement accepté de se délester de 32 sites sur les 64 proposés.  » La règle de prudence consistant à ne pas vendre à un prix inférieur à la valeur du terrain nu n’a pas été respectée dans au moins 18 cas, remarque la Cour des comptes dans son référé. La SNI a ainsi pu faire des acquisitions très avantageuses. « 

Ainsi, à Paris, dans le 18e arrondissement, 88-94, boulevard Ney, un terrain de 16 367 mètres carrés portant 290 logements et 306 places de stationnement, évalué à 41 millions d’euros, a été cédé à la SNI pour 8,1 millions. A Montpellier, la SNI a obtenu un ensemble de 10 hectares pour 8,45 millions d’euros, alors qu’un terrain voisin était valorisé à 4,5 millions l’hectare.

 » Ces opérations montrent la nécessité de mieux préserver les intérêts de l’Etat « , conclut la cour, qui a demandé aux ministres de l’économie, du budget et de la défense de lui communiquer leurs réponses. Dans sa réplique, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, tout en  » prenant acte  » des observations de la cour, renvoie sur le ministère des finances pour ce qui concerne la valeur des biens cédés. Les ministres de Bercy et le gouvernement, pour l’heure, observent un étonnant silence. De même que la CDC, présidée depuis juillet 2012 par Jean-Pierre Jouyet.

Pourtant, les opérations relevées par la Cour des comptes soulèvent de multiples problèmes. Tout d’abord sur le rôle et la fonction de la SNI, filiale immobilière de la CDC, institution financière publique. A tout le moins, les observations des magistrats financiers interrogent sur son comportement et sa gestion, dont l’intérêt général ne semble pas être le critère premier. Ensuite, sur le choix de l’Etat d’accélérer la vente de ses biens immobiliers pour réduire – en partie – le déficit public et renflouer son budget. Mais à quel prix ? Entre l’objectif de désendettement et la préservation des intérêts de l’Etat, il y a là un délicat équilibre à trouver.

Patrick Roger


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